Une œuvre d’art peut-elle révéler la présence d’une maladie neurodégénérative?

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Une équipe de recherche internationale tente de trouver des preuves systématiques de changements dans la production artistique qui seraient liés à des troubles du système nerveux central.

Depuis une trentaine d’années, des scientifiques s’intéressent aux effets des troubles neurodégénératifs sur la façon d’aborder et de produire des œuvres en arts visuels. Ils sont à la recherche des «signatures artistiques» de ces maladies du système nerveux, bref de preuves que l’art est une fenêtre sur le cerveau en transformation.

Or, la littérature à ce sujet fait principalement état de preuves disparates et de cas cliniques descriptifs et subjectifs, basés sur les observations personnelles des auteurs.

Et s’il était possible d’établir de façon objective et scientifique une relation tangible et évidente entre les changements cérébraux dans un contexte de maladies dégénératives et la façon dont les gens font des choix artistiques et expriment leur créativité?

C’est la question qui occupe une équipe de recherche internationale dont fait partie le Dr Alby Richard, neurologue, chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal et professeur au Département de neurosciences de l’Université de Montréal.

En plus d’examiner et d’évaluer les rapports de cas cliniques précédemment publiés, les membres de l’équipe ont étudié sept troubles neurologiques: les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, les démences frontotemporale et à corps de Lewy, la dégénérescence corticobasale, l’aphasie et l’accident vasculaire cérébral.

Il a été demandé à des observateurs externes (des étudiants en psychologie et des novices en art) de juger plusieurs œuvres en arts visuels produites par des personnes atteintes de ces troubles, mais sans leur préciser ce détail. Les juges devaient alors attribuer des points aux œuvres selon divers critères – équilibre des couleurs, complexité, abstraction, symbolisme, réalisme, expressivité émotionnelle, exactitude de la représentation, créativité, capacité technique, etc.

Conclusion? «En appliquant des critères précis de façon minutieuse, nous avons trouvé des patrons dans les œuvres qui concordent avec les changements neurologiques associés aux divers troubles étudiés. Ces signaux ne sont toutefois pas très forts, il est difficile de se prononcer sans équivoque, puisque l’art reste très subjectif», affirme le Dr Richard.

Toutefois, une chose est sûre, des changements dans la façon de produire une œuvre d’art peuvent nous en dire plus sur le rôle du cerveau dans la création artistique.

La relation entre la créativité et le cerveau

Alby Richard

Alby Richard

Crédit : Centre de recherche du CHUM

Alby Richard le rappelle: s’exprimer de façon artistique fait appel à plusieurs circuits neuronaux, comme ceux de la mémoire, des émotions, de la perception, de la motivation et de la récompense. «Ces systèmes doivent parvenir à interagir d’une certaine façon pour donner à l’humain la capacité de produire des œuvres d’art. Lorsque deux ou trois de ces systèmes cessent de fonctionner en raison d’un trouble neurologique, le produit artistique final sera inévitablement différent», note-t-il.

Par exemple, l’étude du groupe de recherche nous apprend que les changements neuronaux attribuables à la maladie d’Alzheimer menaient à des œuvres moins réalistes, moins équilibrées et plus abstraites. Des modifications que le neurologue associe au fait que «plusieurs parties du cortex cérébral sont moins actives dans l’alzheimer et que les personnes ont ainsi plus de difficulté à aller chercher des éléments plus nuancés pour influencer leurs choix artistiques».

Dans le cas de la maladie de Parkinson, l’équipe a remarqué une diminution de la créativité et de la complexité des œuvres, avec des couleurs plus saturées et froides, en plus d’une tendance à la diminution du symbolisme.

«Comme cette maladie est caractérisée par des symptômes moteurs, les patients peuvent prendre des médicaments pour atténuer les tremblements, indique le chercheur. Et nous savons que cette médication peut stimuler différemment certains circuits neuronaux utiles à la créativité.»

Un potentiel outil thérapeutique

En connaissant ces patrons propres à chaque trouble neurologique, serait-il possible pour les professionnelles et les professionnels de la santé de poser un diagnostic en voyant seulement une œuvre? «Ce serait formidable d’être en mesure de repérer des marqueurs artistiques propres au début d’une maladie neurologique, mais malheureusement je ne crois pas que nous en sommes rendus à ce point en termes de connaissances, en partie parce que les variables sont trop nombreuses», rapporte le Dr Richard.

Toutefois, le neurologue estime que les résultats de cette étude pourraient permettre de déceler plus précisément quelles régions du cerveau sont touchées par la maladie déjà diagnostiquée. Ces patrons pourraient donc devenir des barèmes pour déterminer si une personne doit commencer un traitement ou peut participer à une étude clinique.

Alby Richard ajoute que ces données pourraient aussi être utiles à des fins thérapeutiques «par le recours à l’art et aux projets créatifs pour stimuler les circuits endommagés par la maladie et peut-être même parvenir à une neuroplasticité thérapeutique».

Une avenue non invasive prometteuse qui enthousiasme particulièrement le neurologue. Le médecin connaît bien la réalité des patients qui doivent vivre avec la rareté de traitements des maladies neurodégénératives.

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