Les rêves puisent dans la mémoire d’évènements plus lointains en fin de nuit

L'étude de Claudia Picard-Deland montre que, en début de nuit, on rêve à des évènements plus récents et plus la nuit progresse, plus les rêves sont constitués de souvenirs lointains.

L'étude de Claudia Picard-Deland montre que, en début de nuit, on rêve à des évènements plus récents et plus la nuit progresse, plus les rêves sont constitués de souvenirs lointains.

Crédit : Getty

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Les rêves qu’on fait en début de nuit sont surtout façonnés par des évènements inscrits récemment dans la mémoire, tandis que les rêves de fin de nuit font appel à des souvenirs plus lointains.

Si les rêves paraissent souvent bizarres, la majorité fait appel à la mémoire d’évènements tantôt récents, tantôt lointains. Or, une certaine logique semble se dégager: la mémoire d’évènements survenus il y a moins d’une semaine est plus souvent à l’origine des rêves qui surviennent en début de nuit, tandis que ceux qu’on fait en fin de nuit sont davantage alimentés par des souvenirs plus lointains.

C’est ce qui se dégage des travaux effectués par la doctorante en neurosciences Claudia Picard-Deland, de l’Université de Montréal, qui cherchait à comprendre comment les sources de mémoire s’incorporent dans les rêves au cours d’une nuit de sommeil.

Sa recherche, dont les résultats ont été récemment publiés dans la revue Sleep, a été menée à l’Université de Rochester, dans l’État de New York, sous la codirection de Michelle Carr et Wilfred Pigeon, du département de psychiatrie du centre médical de l’Université de Rochester, ainsi que de Tore Nielsen, du Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM.

La littérature scientifique rapporte que 80 % des rêves sont associés à au moins un évènement de la vie éveillée, qu’il soit du passé récent ou lointain ou encore à venir.

«Par exemple, nous pouvons rêver à la maison de notre enfance, à des fragments de conversation que nous avons eue il y a quelques jours ou à un examen qui aura lieu le lendemain», illustre Claudia Picard-Deland.

Les résidus diurnes, c’est-à-dire des éléments d’évènements survenus le jour même, seraient particulièrement fréquents, étant nommables dans 60 à 75 % des rêves.

«L’incorporation des souvenirs dans les rêves n’est toutefois pas uniforme durant une nuit de sommeil, indique Claudia Picard-Deland. Afin de mieux comprendre le rôle central de la mémoire dans la formation des rêves et de faire la lumière sur les fonctions possibles du rêve, nous avons cherché à caractériser comment divers types de mémoire sont intégrés dans les rêves à différents moments de la nuit.»

Une nuit de sommeil ponctuée de 12 réveils provoqués

Claudia Picard-Deland

Claudia Picard-Deland

Crédit : Photo de courtoisie

La chercheuse a ainsi recruté 20 personnes âgées de 18 à 40 ans dont le sommeil a été étudié avec un polysomnographe: tout à tour, les 11 femmes et les 9 hommes qui ont participé à l’étude ont dormi au laboratoire avec des électrodes posées sur le cuir chevelu, autour des yeux et le long de la mâchoire. Cet enregistrement permet de désigner avec précision les stades du sommeil par lesquels chaque personne passe lorsqu’elle dort.

Installée dans une pièce adjacente, Claudia Picard-Deland a réveillé chaque sujet à 12 reprises au cours de la nuit en prononçant son nom dans un microphone. À son réveil, elle lui demandait de décrire son rêve ou toute autre activité mentale qui avait précédé le réveil. Ce protocole de «réveils en série» a permis à la doctorante de recueillir 164 rêves – en moyenne 8 rêves par volontaire – à tous les stades du sommeil, répartis sur trois périodes de la nuit (début, milieu et fin de nuit).

Puis, au petit matin, elle a remis à chaque personne son rapport des rêves faits durant la nuit en lui demandant de nommer les évènements – récents, passés ou futurs – de sa vie éveillée qui semblaient être associés à chacun de ses rêves.

Les sources de mémoire fluctuent au cours d’une nuit de sommeil

Globalement, 87,2 % des rêves des participantes et participants étaient liés à au moins un évènement de la vie éveillée, chaque rêve pouvant combiner plusieurs sources de mémoire, parfois même jusqu’à 10!

«Le résultat le plus intéressant est la confirmation d’études antérieures montrant qu’en début de nuit on rêve à des évènements plus récents et que, plus la nuit progresse, plus les rêves sont constitués de souvenirs lointains. Notre étude permet de plus de préciser que cette tendance est indépendante des stades du sommeil et semble davantage associée aux périodes de la nuit», explique Claudia Picard-Deland.

Par ailleurs, les participantes et participants ont souvent rêvé aux mêmes thèmes plusieurs fois dans la nuit, à partir d’un même souvenir qui se transformait au fil de la nuit.

«Cela pourrait indiquer que la mémoire évolue au cours d’une nuit de sommeil, que les évènements récents de notre vie sont progressivement reliés à d’autres souvenirs et expériences dans nos rêves afin d’être intégrés à notre réseau de mémoire plus élargi», avance-t-elle.

Autre élément intéressant, la moitié des rêves combinaient plus d’un souvenir, surtout au stade 1 ainsi que pendant le sommeil paradoxal, et plusieurs comportaient des souvenirs à la fois récents et lointains.

Les rêves pouvaient également combiner des évènements à venir avec un évènement passé.

Mieux comprendre les fonctions du rêve et du sommeil

L’étude de Claudia Picard-Deland s’ajoute aux nombreuses recherches scientifiques qui ont déjà produit des résultats substantiels sur les mécanismes et les fonctions du rêve. Mais il reste encore beaucoup à découvrir.

Aussi souhaite-t-elle poursuivre ses projets de recherche qui permettraient de mieux comprendre en quoi l’incorporation des sources de mémoire dans les rêves peut aider à consolider la mémoire à long terme.

De fait, comme le mentionne le Dr Tony Cunningham, de la Harvard Medical School, dans un éditorial de la revue Sleep portant sur l’étude de Claudia Picard-Deland, «la recherche sur les rêves ne nous renseignera pas seulement sur la fonction des rêves: elle contribuera à mieux comprendre le rôle du sommeil en général» (traduction libre).

Les quatre stades du sommeil

Le sommeil se décline en quatre stades qui peuvent se répéter de quatre à six fois durant une nuit de sommeil typique:

  • stade 1: phase d’endormissement où le sommeil est léger, pouvant être accompagné de rêves hypnagogiques;
  • stade 2: phase du sommeil lent léger, qui constitue la majeure partie de la nuit;
  • stade 3: sommeil lent profond, dit «récupérateur», qui survient surtout en début de nuit, où l’on rêve moins;
  • sommeil paradoxal: stade où le cerveau est plus actif, où l’on observe des mouvements oculaires rapides et une atonie musculaire (paralysie des muscles), qui survient surtout en fin de nuit et qui donne lieu à des rêves vifs dont on se souvient plus facilement.

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