Observer la vie en ex-RDA en bas de chez soi

Extrait de «Fêter derrière le mur»

Extrait de «Fêter derrière le mur»

Crédit : Open Memory Box

En 5 secondes

Différentes vidéos d’archives familiales restituent la vie oubliée en ex-RDA. Des extraits sont présentés au Goethe-Institut Montréal dans le cadre du Festival Art souterrain 2023.

Laurence McFalls

Laurence McFalls, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal

Montrer en toute transparence la vie des habitants de l’ancienne République démocratique allemande (RDA), tel est l’objectif du projet de recherche-création OpenMemoryBox. Depuis son lancement il y a trois ans, ce site regroupant la plus grande collection de films familiaux d’Allemands de l’Est a reçu plus d’un demi-million de visiteurs.

Aujourd’hui, cette recherche-création descend dans la rue! Alors que des extraits de vidéos sont présentés dans le cadre du Festival Art souterrain ainsi qu’au Goethe-Institut Montréal, nous avons parlé avec le cocréateur de ce projet, Laurence McFalls, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal.

Comment la petite histoire peut-elle nous faire découvrir la grande histoire?

Des scènes de famille d’Allemands de l’Est très banales ne semblent pas aborder de problèmes politiques. Pourtant, lorsque des personnes parlent des films qu’elles ont donnés, elles ont toujours des réactions similaires. Au-delà des scènes de bonheur, de joie, d’innocence, elles perçoivent des moments de méfiance et la répression sous-jacente. Les difficultés politiques liées à la grande histoire pénètrent dans leur vie au quotidien. 

Les films de famille demeurent ainsi une source de documentation microhistorique pouvant éclairer la grande histoire.

Pourquoi faire descendre OpenMemoryBox dans la rue?

L’accessibilité en ligne de la collection implique une expérience individualisée, d’où l’intérêt de mettre cette ressource filmique en vedette dans des lieux publics, dans des expositions et des festivals. Il s’agit de socialiser l’expérience.

On va prochainement participer à un festival d’histoire publique à Florence. On installera dans un lieu passant un écran sur lequel seront projetés des extraits d’OpenMemoryBox afin de montrer qu’il y a de multiples façons de faire de l’éducation publique, qu’on peut sortir des livres ou d’Internet!

Descendre dans la rue est aussi une manière de stimuler la discussion, de provoquer les gens qui ont des idées préconçues et qui ne se seraient pas forcément confrontés à une réalité qui, finalement, n’est pas si différente de la leur.

Que pouvez-vous nous dire sur l’extrait «Fêter derrière le mur» présenté en ce moment à Montréal au Festival Art souterrain?

À l’occasion du Festival Art souterrain, qui a cette année la fête pour thème, on peut voir à la Place-Ville-Marie et au Centre mondial du commerce jusqu’au 9 avril l’extrait Fêter derrière le mur. 

Il comporte de nombreuses scènes de célébration, mais toujours interrompues par quelques images du mur, ainsi que des scènes de défilés militaires ou d’éléments menaçants de l’occupation soviétique. En même temps, ces images où l’on voit entre autres l’Armée rouge ne sont pas sans rappeler notre époque: on fait la fête alors que la guerre est toujours en arrière-plan.

Pouvez-vous nous parler de la vidéo qui sera présentée au Goethe-Institut Montréal?

La vidéo est projetée sur la façade du Goethe-Institut Montréal côté rue Ontario depuis le 1er avril.

Je lui avais donné le titre Pâques avec Lénine pour inviter les gens à y chercher, comme dans «Où est Charlie?», des traces politiques. Quand on voit ces scènes d’enfants à la recherche d’œufs de Pâques, de lapins ou de poussins et tout le reste, on se dit que, même si c’est une autre époque, cela pourrait se passer dans des jardins du Québec, de plus le temps est le même. Mais l’idée est de mettre en relief la contradiction entre la normalité de la vie quotidienne et des traditions sous un régime qui se voulait révolutionnaire et athée. 

Pensez-vous utiliser votre outil OpenMemoryBox pour montrer des vidéos familiales d’autres pays?

Tout à fait! Nous nous sommes rendu compte que notre outil qui nous permet quasiment de faire l’indexation en temps réel n’existait pas ailleurs pour les films de famille. Ces films qui passent souvent du coq à l’âne sont très complexes à archiver. Parfois, il peut y avoir six mois d’interruption et aucune cohérence entre les différentes séquences, donc les techniques habituelles d’archivage ne fonctionnent pas.

Normalement les films sont archivés avec une description de l’action, mais puisque l’action ici est complètement décousue, ces descriptions sont presque inutiles. Il faut avoir un système qui permet de mettre des marqueurs précisément sur la ligne du temps du film, sinon le film sera difficilement utilisable par des centres de recherche ou des créateurs.

À travers le monde, il existe d’autres archives de films familiaux qui sont des ressources à la fois historiques, culturelles et artistiques. Une certaine modernité est captée par ce médium, qui a disparu aujourd’hui. Notre outil pourrait être ainsi utilisé pour ces films de huit millimètres. Cela couvre une période qui va des années 1930 aux années 1990.

Conjointement avec mes collègues d’études cinématographiques Marion Froger et André Habib, je travaille à établir des collaborations pour traiter des archives d’Italie, de Belgique, d’Angleterre, de France ou encore des États-Unis.

Voir les installations

La vidéo Fêter derrière le mur est présentée au Festival Art souterrain, au Centre mondial du commerce, jusqu’au 9 avril.

La vidéo Fêter avec Lénine peut être vue sur la façade du Goethe-Institut Montréal, 1626, boulevard Saint-Laurent, depuis le 1er avril.

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