Représentation des femmes voilées dans la pornographie américaine

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De multiples stéréotypes transparaissent dans un nouveau genre pornographique prolifique.

Dans un contexte américain d’islamophobie grandissante à la suite des attentats du 11 septembre 2001, un sous-genre pornographique qui met en scène des femmes voilées a connu une hausse de popularité. Ces vidéos, diffusées sur des plateformes en ligne, obtiennent des millions de vues.

Martine Boulanger s’est interrogée sur ce phénomène dans son mémoire de maîtrise intitulé «Représentation des voiles islamiques et des femmes les portant dans la pornographie en ligne états-unienne entre 2001 et 2020», réalisé sous la direction de Julianne Pidduck, professeure au Département de communication de l’Université de Montréal. Elle a ainsi analysé les 15 vidéos pornographiques américaines parmi les plus populaires produites entre 2001 et 2020.

Une pluralité de voiles

Selon la chercheuse, ce genre pornographique n’aurait fait l’objet jusqu’ici que d’une seule publication scientifique, en 2013, soit l’article Voiler les beurettes pour les dévoiler: les doubles jeux d’un fantasme pornographique blanc, par E. Fassin et M. Trachman, qui abordent ce phénomène sexuel et social en France.

Il n’est pas question que de la burka ou du foulard islamique. «Les voiles islamiques englobent une pluralité de vêtements et foulards traditionnels se rapportant à l’islam. Le niqab, voile intégral avec une légère ouverture pour les yeux; la burka, vêtement couvrant l’entièreté du corps et de la tête et comportant un grillage pour les yeux; ainsi que le tchador, vêtement traditionnel iranien composé d’un grand morceau de tissu posé sur la tête et laissant le visage à découvert, sont donc complètement différents du hidjab. Ce dernier, qui signifie en arabe “dérober au regard, cacher”, consiste en un foulard qui cache les cheveux, les oreilles et le cou», explique Martine Boulanger.

Dans l’imaginaire collectif, ces multiples voiles marqueraient la différence entre Occidentaux et Orientaux. Ces voiles seraient plutôt portés par des femmes du Moyen-Orient, du nord de l’Afrique, des pays d’Asie du Sud, du Pakistan et de l’Afghanistan.

Un dévoilement inexistant

Contrairement à ses attentes, imaginant le dévoilement comme un élément central des contenus analysés, Martine Boulanger a découvert que les voiles sont majoritairement portés pendant les rapports sexuels. En effet, les voiles ne sont retirés que dans 4 des 15 vidéos de son échantillon.

Le voile est plutôt présenté comme un élément de costume. «Dans l’une des vidéos, l’habit en question s’apparente à un tchador. Il est composé d’une robe à manches longues entièrement noire, additionnée d’une partie couvrant le cou, les oreilles et la chevelure de l’actrice. Le vêtement est cependant trop court pour correspondre aux normes de modestie du tchador», indique Martine Boulanger.

Des femmes stéréotypées

Dans les films analysés, les femmes sont représentées comme identiques, interchangeables. «Le voile n’est pas simplement un objet, c’est aussi une manière de montrer que les femmes qui le portent sont pareilles parce qu’elles le portent toutes. Par exemple dans une vidéo, le personnage du beau-père confond sa femme et sa belle-fille parce que toutes les deux sont couvertes d’un voile et habillées de façon identique techniquement», déclare Martine Boulanger.

Voilées, elles sont des femmes fétichisées dans un régime d’opposition binaire. «Dans ces différents scénarios, le nous prend donc son sens par opposition à l’autre: on oppose l’Occident à l’Orient, l’États-Unien à l’étranger, l’homme à la femme, le laïc au musulman, le personnage découvert à la femme voilée. Ces contraires sont nécessaires pour donner un sens, mais relèvent également de pôles de pouvoir cadrant un rapport entre le bon et le mauvais, le dominant et les dominées», poursuit-elle.

Les femmes sont objectifiées. «On va réduire la femme à un produit consommable comme de la nourriture. Ainsi, le sexe de la femme est comparé à du baba ganoush, ce qui est complètement ridicule. La femme devient un bien qu’on peut consommer», dit la chercheuse.

La construction d’un rapport de domination

Dans ces scénarios, le voile permet de construire un rapport de domination. «Le voile est aussi une manière de dire “Cette femme-là est une femme soumise. Je vais pouvoir, en tant qu’homme américain, l’utiliser pour obtenir une satisfaction sexuelle, mais aussi une satisfaction de pouvoir”», mentionne Martine Boulanger.

Cette violence à l’égard des femmes qui n’ont pas les mêmes droits que les hommes est présentée comme étant érotique. «Dans certaines vidéos, on voit que la femme est montrée comme une subordonnée de l’homme, comme étant le bien de son mari. Il y a cette violence: le fait de ne pas être considérée comme un être humain à part entière», conclut-elle.

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