Claude Amiot, de citoyenne engagée à chercheuse

Claude Amiot

Claude Amiot

Crédit : Photo de courtoisie

En 5 secondes

Grâce à un programme des FRQ, la résidante du Saguenay–Lac-Saint-Jean Claude Amiot mène un projet de recherche aux côtés de la professeure de l’UdeM Annie Pullen Sansfaçon.

Un diplôme d’études collégiales obtenu dans les années 1970.

Voilà le niveau de scolarité atteint par la résidante du Saguenay–Lac-Saint-Jean Claude Amiot, alias madame Claude.

Or, madame Claude est aujourd’hui chercheuse universitaire. Elle mène un projet de recherche dans l’équipe d’Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles.

Cette rencontre a été rendue possible grâce au programme ENGAGEMENT des Fonds de recherche du Québec (FRQ). Ce programme de science participative invite les gens à proposer une idée de recherche afin de la réaliser en étroite collaboration avec une chercheuse ou un chercheur.

Et des idées, madame Claude en avait. Remontons à la source pour comprendre son projet de recherche.

Un intérêt d’abord personnel

Claude Amiot est une femme trans de 68 ans. Elle a amorcé sa transition à 62 ans. Ce n’est pourtant que trois ans plus tard qu’elle a commencé à se sentir bien avec elle-même, à travailler et à s’afficher en tant que femme. L’inconfort provenait surtout de son visage, plus précisément de la barbe, dont l’électrolyse vient à bout après de multiples séances quand les poils sont plus blancs.

Il faut savoir que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec rembourse les frais liés aux chirurgies de l’entrejambe pour les personnes trans et offre aussi la mastectomie pour les hommes trans.

Toutefois, le régime public d’assurance maladie ne couvre pas les interventions jugées «esthétiques» comme la chirurgie du visage, les augmentations mammaires, les entraînements vocaux, la greffe de cheveux et l’épilation au laser.

«Le matin quand je me regardais dans le miroir, mon problème n’était pas mon entrejambe, mais bien mon visage, confie avec un sourire madame Claude. Je me disais que c’était bête, que j’aimerais bien mieux qu’on m’offre l’épilation pour mon bien-être, ma santé mentale et mon développement en tant que femme. Je voulais d’abord passer socialement et pas seulement sexuellement.»

La littérature scientifique montre que les vaginoplasties et les phalloplasties diminuent considérablement la dysphorie de genre, la dépression et les pensées suicidaires chez les personnes trans. Mais qu’en est-il sur le terrain?

Animée par cette préoccupation, madame Claude a fait des recherches sur la question et en a discuté avec son entourage et les membres d’Entraide Trans Saguenay–Lac-Saint-Jean, un groupe de soutien et d’entraide qu’elle préside.

«Dans mes discussions, j’entendais très rarement les gens dire que ce qui pressait le plus était l’entrejambe, se rappelle-t-elle. C’était plus souvent les cheveux, les seins, etc. Et quand je cherchais dans la littérature, je ne trouvais aucune étude qui s’était penchée sur les besoins réels des personnes trans, sur leurs priorités dans leur transition.»

Elle s’est alors demandé si elle ne pouvait pas en mener une elle-même. C’est là qu’intervient le programme ENGAGEMENT, dont elle a découvert l’existence de fil en aiguille et par le bouche à oreille.

Épaulée par Annie Pullen Sansfaçon, madame Claude entreprendra ainsi sous peu une enquête communautaire intergénérationnelle sur les types d’interventions désirées par les personnes trans, leurs barrières et leurs effets.

Le pouvoir de l’émancipation et de la recherche décloisonnée

Annie Pullen

Annie Pullen Sansfaçon

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

Outre ses questions de recherche, madame Claude véhicule un message inspirant: être soi-même peut mener loin.

«Je suis une femme de 68 ans, résidante des régions qui plus est, qui soudainement, et grâce à sa transition, arrive aujourd’hui à vivre une expérience de chercheuse, sans même venir du monde universitaire. Regardez où l’on peut aller quand on est bien avec soi-même!» s’exclame-t-elle avec un enthousiasme contagieux.

À ses yeux, son expérience lui permet non seulement de répondre à des questions qu’elle juge importantes, mais également de s’initier au monde de la recherche: connaître les différents types d’études, leurs subtilités et leurs imperfections, et développer des aptitudes comme l’esprit d’analyse et l’attention aux biais cognitifs.

«La dernière année a changé ma façon de percevoir et d’analyser les situations, même dans ma vie personnelle. J’ai aujourd’hui une vision plus ouverte et la recherche me semble beaucoup plus accessible. Avant, je voyais Annie comme une chercheuse là-haut, mais dès notre première rencontre, le piédestal a pris le bord assez vite! J’ai vraiment le sentiment d’être son égale», raconte madame Claude en riant.

Cette sensation, Annie Pullen Sansfaçon la confirme. Pour la professeure, cette initiative permet de sortir la recherche de sa «tour d’ivoire», en plus «d’accroître la créativité par la coconstruction et de sortir de sa zone de confort».

Une expérience «extraordinaire»

Madame Claude souhaite faire la promotion du programme ENGAGEMENT. Elle invite toutes les personnes, étudiantes comme aînées, qui ont des questions pouvant faire l’objet d’une étude à y postuler.

«Ce serait le fun que d’autres puissent profiter de cette occasion, j’ai tellement une vie extraordinaire! Et si je n’avais pas pris la décision, même tardive, de vivre dans mon genre, je serais probablement assise devant la télé. À la place, je suis chercheuse», affirme-t-elle fièrement.

Affirmée, épanouie, curieuse, allumée, avec un sens aigu de l’autodérision, madame Claude est assurément un modèle qui transcende les générations.

Et l’on a hâte de connaître les résultats de son étude.