«Rétroviseur», par Carl Leblanc
- Revue Les diplômés
Le 27 avril 2023
- Virginie Soffer
Le roman Rétroviseur débute par la fin: Michel est mort. La vie de Michel est ensuite détricotée chapitre après chapitre jusqu’à son commencement dans ce surprenant roman d’apprentissage.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre?
Dans un monde où l’injonction d’aimer l’autre et de célébrer la diversité est omniprésente, j’ai souhaité m’intéresser à cet «autre» dévalué que je désignerai ainsi: le ressortissant du passé. Dans nos vies chronocentrées, c’est pratiquement un réfugié!
Je crois que pour saisir le réel, comprendre le présent, il faut se plonger dans le passé que la littérature rend le mieux, celui singulier de quelques personnages, celui du particulier sans qui la science de l’humain serait encore plus lacunaire. Ce qui m’a poussé, c’est la conviction qu’aucune vie n’est vaine et que raconter la plus modeste, c’est, là aussi, comprendre l’humain.
À travers la microhistoire d’un homme et de sa famille, avez-vous voulu raconter l’histoire du Québec?
Non. J’ai voulu d’abord et avant tout raconter l’histoire d’un jeune homme qui a rêvé de jouer un rôle d’intellectuel et qui réalise sur le tard qu’il est d’abord un fils. Et peut-être même n’est-il essentiellement que cela. C’est donc l’histoire du «fil à la patte», cette vieille tension entre ce qu’on pensait pouvoir devenir et ce qu’on est effectivement devenu; l’écartèlement de tous les individus entre l’inné et l’acquis et l’angoisse que peut alimenter cette apparence de force du déterminisme. Si le Québec est présent, c’est parce que Michel y est né et qu’il y a vécu.
Pourquoi avez-vous choisi de dérouler le fil narratif de votre roman à rebours?
Parce que je crois que l’existence humaine est fondamentalement tragique. En racontant à l’envers, cela me donnait l’impression de raconter très précisément comment nous vivons, c’est-à-dire en regardant derrière, en accumulant tout ce bagage sur nos épaules et parfois en ployant sous cette charge. Il est vrai toutefois que je vieillis et que, les promesses s’étiolant, mon passé devient une valeur plus sûre en quelque sorte… Pendant un temps, j’ai voulu mettre en exergue ce passage connu de Kierkegaard: «La vie ne peut être comprise qu’en regardant en arrière, même si elle doit être vécue en regardant vers l’avant, c’est-à-dire vers quelque chose qui n’existe pas.»
Comme vous, le protagoniste quitte la Gaspésie pour étudier à l’Université de Montréal. Est-ce inspiré de votre vécu?
La Gaspésie, je la connais bien. C’est mon berceau. Il est plus simple de dépeindre ce que l’on connaît intimement. Cela reste toutefois un décor. L’exil que vit Michel est à l’image de ce qu’a vécu un Québécois sur deux dans sa génération. Au-delà de l’exil géographique, c’est l’exil culturel qui est le plus troublant et qui creuse un fossé entre Fabien et Michel. Cette étrangeté créée au sein d’une famille m’a toujours bouleversé. Le déficit d’éducation de la génération de mes parents a été comblé. Ce fossé n’existe donc pas entre mes enfants et moi. Il s’en forme d’autres!
Sinon, Michel n’est certainement pas moi. Ce n’est pas une autobiographie! Mon enfance m’a offert toutefois de superbes anecdotes qui m’ont servi pour les chapitres sur la jeunesse de Michel. Je me suis inspiré de ce que j’ai vu et noté depuis toujours. La littérature est un amalgame, une appropriation, le suc de nos observations, tous ces beaux mots de l’invention et du détour fictionnel nous permettant d’atteindre la cible: une vérité humaine.
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Rétroviseur
Carl Leblanc
Philosophie 1990
Boréal, 2022
344 pages