Un gène caché bouscule les préconceptions

Représentation graphique de l'ADN

Représentation graphique de l'ADN

Crédit : Getty

En 5 secondes

La professeure Sophie Breton et son équipe ont découvert un gène caché dans le génome mitochondrial humain.

Sophie Breton, professeure au Département de sciences biologiques et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la biologie de l’évolution des mitochondries

Crédit : Courtoisie

L’ADN mitochondrial, et son «petit» nombre de paires de bases (environ 16 000, ce qui est considérablement moins que l’ADN nucléaire qui en contient plus de 3 milliards), a été séquencé il y a presque 45 ans. «Lorsque l’ADN mitochondrial a été séquencé, on a vite fait le tour. La communauté scientifique était certaine d’avoir tout compris de ce minuscule matériel génétique», raconte Sophie Breton, professeure au Département de sciences biologiques et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la biologie de l’évolution des mitochondries. 

Pourtant, la professeure avait une intuition. D’autres gènes s’y cachaient peut-être. En effet, les mitochondries proviennent de l’évolution d’une lignée de bactéries, qui possèdent elles-mêmes des gènes cachés à l’intérieur d’autres gènes. «Est-ce que le génome mitochondrial a encore cette caractéristique?», se demandait Mme Breton. C’est ce que son équipe et elle ont réussi à démontrer. Leur découverte a été publiée à la mi-mai dans la revue BMC Biology. «On a trouvé un gène caché dans un autre gène. L’ADN des mitochondries est comme un jeu de poupées russes», compare-t-elle.  

Des mollusques à l’humain

C’est un travail colossal qui a mené à cette découverte. Celle qui a découvert, durant son postdoctorat en 2009, de nouveaux gènes mitochondriaux chez les moules se demandait ainsi s’il n’y avait pas quelque chose aussi du côté des humains. «L’ADN mitochondrial des mollusques est à peu près la même longueur que celui de l’humain. C’est plausible qu’on soit passé à côté de quelque chose», explique Mme Breton. Mais sans formation en recherche sur la santé, «c’était un peu plus difficile de convaincre les collègues et d’obtenir du financement», rapporte-t-elle. 

Après avoir obtenu un poste de professeure à l’Université de Montréal en 2012, elle a reçu du financement pour soutenir ses différents travaux. «Je n’ai pas reçu de financement pour faire cette recherche; j’ai pris des risques et gratté mes fonds de tiroir», remarque-t-elle. Mais grâce, entre autres, à sa chaire de recherche, elle a pu amasser les fonds nécessaires pour vérifier son hypothèse.

À partir de 2018, Sophie Breton et ses collègues Xavier Roucou, de l’Université de Sherbrooke, Christian Landry, de l’Université Laval, et Annie Angers, de l’UdeM, de même qu’une équipe d’étudiants et étudiantes (Laura Kienzle, Stefano Bettinazzi, et Thierry Choquette) ont entrepris des recherches en laboratoire sur le sujet. «Ça a été beaucoup de biochimie, de physiologie, de microscopie, d’analyses bio-informatiques. On n’a pas utilisé d’outils comme CRISPR, mais ça pourrait être intéressant de le faire un jour, pour voir ce qui arrive lorsqu’on empêche les gènes cachés de s’exprimer», suggère Mme Breton. Les gènes cachés, en effet, puisque l’équipe a révélé l’existence d’un deuxième gène caché, qui fera l’objet d’une autre publication au courant de l’année.  

Une découverte qui bouscule

La découverte de Mme Breton et de son équipe remet en question plusieurs certitudes. «Dans le domaine fondamental, il va falloir repenser certaines choses», note-t-elle. D’ailleurs, les réactions à son article sont tranchées. «On ébranle un peu les fondations. Sur Twitter, on se fait encenser et critiquer!»  

Cette découverte ouvre la porte à des applications directes pour mieux comprendre et traiter certaines maladies comme le diabète, le Parkinson et l’Alzheimer ou certains types de cancer qui sont liés aux mitochondries. Dans certains cas, les scientifiques ne comprenaient pas les liens entre une mutation synonyme, ou silencieuse, c’est-à-dire qui ne change pas la protéine, et une maladie. «Mais il se peut que la mutation ne soit pas silencieuse dans le gène caché, qu’elle change la protéine, ce qui permettrait d’expliquer certaines de ces observations énigmatiques», poursuit-elle. Mieux comprendre ces gènes cachés, c’est aussi explorer d’autres cibles thérapeutiques potentielles pour mieux traiter ou guérir ces maladies.  

Sophie Breton espère poursuivre les recherches dans ce domaine en collaboration avec des collègues de différentes disciplines. Elle a d’ailleurs fait des demandes de subventions auprès des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). «Nous aimerions mieux cerner les fonctions du gène qu’on vient de découvrir», souhaite-t-elle. 

De véritables centrales énergétiques

L’ADN mitochondrial est l’ADN contenu dans les mitochondries, qui sont de véritables centrales énergétiques pour les cellules. «Ces centrales énergétiques ont un tout petit ADN. C’est un élément génétique supplémentaire à l’ADN de notre noyau», résume Mme Breton. L’ADN mitochondrial, qui possède 37 gènes seulement, est transmis par notre mère et code des éléments clés dans les mitochondries, nécessaires à la production d’énergie.