Quand une œuvre de fiction dévoile les dessous de l’ère Poutine
- UdeMNouvelles
Le 6 novembre 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Pour la première fois, le Département de science politique propose la lecture d’un roman pour comprendre les fondements des phénomènes politiques en général et la Russie de Poutine en particulier.
Cet automne, les étudiantes et étudiants du cours POL 1000 ont pu s’initier d’une façon différente aux fondements de la science politique: en lisant une œuvre de fiction.
Depuis un an, Frédéric Mérand, directeur du Département de science politique de l’Université de Montréal, et Martin Carrier, chargé de cours et conseiller aux programmes d’études au même département, cherchaient un moyen de renouveler les lectures et les thèmes abordés dans ce cours d’introduction pour capter davantage l’intérêt de la communauté étudiante.
Ils ont ainsi pensé intégrer aux lectures obligatoires Le mage du Kremlin, un roman du politologue italien Giuliano da Empoli paru en avril 2022 aux Éditions Gallimard.
«Nous en avions assez des manuels, nous avons donc pensé à un roman. J’étais justement en train de lire cet ouvrage et j’ai été happé par ses thèmes tout à fait pertinents pour ce cours, des notions abstraites parfois difficiles à expliquer», se rappelle Frédéric Mérand.
Incursion dans les coulisses du pouvoir
Le mage du Kremlin met en vedette un conseiller de Vladimir Poutine qui revient sur ses années aux côtés du dirigeant russe. Ce personnage est inspiré de Vladislav Sourkov, qui a été l’éminence grise de Vladimir Poutine et qui est largement considéré comme le principal idéologue du Kremlin des années 2000.
On s'infiltre alors dans les hautes sphères du pouvoir russe, on découvre les méthodes brutales de Poutine, la manipulation médiatique, le chaos comme levier, la consolidation d’un pouvoir autoritaire.
Bien que romancée, l’œuvre permet de mieux comprendre des évènements réels comme les guerres en Tchétchénie, le conflit dans le Donbass et l’organisation des Jeux olympiques de Sotchi. Elle ouvre une fenêtre sur le peuple russe et sa mentalité, entre théâtre politique, conquêtes internationales et rencontres mondaines dominées par les oligarques.
«D’un point de vue pédagogique, ce livre fait la lumière sur plusieurs idéologies politiques, comme le nationalisme, l’impérialisme, le communisme ou même le populisme. On en apprend aussi davantage sur les campagnes politiques, sur les façons d’accéder au pouvoir et sur les contrastes entre un régime démocratique et un régime autoritaire», indique Martin Carrier.
Frédéric Mérand ajoute que le roman de Giuliano da Empoli jette un éclairage sur la culture politique russe teintée de ressentiment envers l’évolution de l’Occident. «Cette perspective permet de comprendre par exemple le point de vue de la Russie dans l’invasion actuelle de l’Ukraine. Mais attention, il ne s’agit pas là d’une justification, c’est plutôt présenté avec cynisme et ça invite à réfléchir à la responsabilité du pouvoir», note-t-il.
Un aspect ludique apprécié des étudiants
Si le contenu de ce roman justifie la pertinence de son recours en classe, sa forme confirme son intérêt. Frédéric Mérand considère que l’œuvre «se lit très facilement» et que «le mystère et l’énigme donnent envie de poursuivre jusqu’au prochain chapitre».
Cette opinion semble partagée majoritairement par les étudiantes et étudiants, qui apprécient le côté divertissant de l’ouvrage. «Quelques centaines de pages d’une histoire sont bien plus stimulantes qu’une pile d’articles écrits dans un langage plus froid et clinique», croit Antoine Bessette, étudiant du baccalauréat en études internationales.
Son collègue Shams Boukhechem partage son avis: «À l’inverse de certaines lectures très pédagogiques et parfois lourdes, Le mage du Kremlin nous permet d’aborder la science politique de manière plus aisée et de “vulgariser” en partie la matière. Pour autant, la lecture n’en reste pas moins très enrichissante en étant pleine de notions complexes et centrales à la science politique.»
Aux yeux de Naëlle Petitclerc, aussi étudiante du baccalauréat en études internationales, cette approche novatrice «concrétise plus simplement ce qui se passe dans les coulisses du pouvoir». Et elle ajoute que «la fiction offre à l’auteur la liberté de raconter des évènements avec une proximité des personnages que ne permettent pas les textes scientifiques».
Rappelons que Le mage du Kremlin est un livre à succès, ayant remporté en 2022 le Grand Prix du roman de l’Académie française, en plus de figurer parmi les finalistes du prix Goncourt cette même année.