Un lien potentiel entre les politiques sociales et la maladie d’Alzheimer sans démence

L'étude démontre qu'une diminution de 1 % de la proportion de gens ayant un revenu équivalant à 50 % du revenu médian augmente de 1 % les chances de ne pas être atteint de démence en présence de la maladie d’Alzheimer.

L'étude démontre qu'une diminution de 1 % de la proportion de gens ayant un revenu équivalant à 50 % du revenu médian augmente de 1 % les chances de ne pas être atteint de démence en présence de la maladie d’Alzheimer.

Crédit : Getty

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Des politiques sociales visant la lutte contre la pauvreté sont associées à un risque moindre de démence chez les gens dont le cerveau présente des altérations typiques de la maladie d’Alzheimer.

Se pourrait-il qu’il existe un lien entre les politiques sociales visant à contrer la pauvreté et la maladie d’Alzheimer sans démence, soit un syndrome susceptible de mener à la démence chez des personnes âgées qui restent cependant cognitivement saines et autonomes? 

C’est ce que laissent entendre les résultats d’une méta-analyse effectuée par une équipe composée notamment de membres de l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) et du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-NIM). 

Rédigée par la Dre Yuliya Bodryzlova, doctorante à l’ESPUM, sous la direction du professeur associé et chercheur au Centre de recherche du CIUSSS-NIM Grégory Moullec, l’étude de type écologique avec méta-analyse publiée récemment dans le Journal of Aging & Social Policy visait à vérifier si les politiques sociales sont associées à l’absence de démence chez les personnes dont le cerveau présente un syndrome typique de la maladie d’Alzheimer.  

Cette méta-analyse repose sur 18 études de cohortes combinées avec des indicateurs de politiques sociales issus de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces études ont été menées de 1991 à 2021.

Des traces d’alzheimer sans démence

Yuliya Bodryzlova

Yuliya Bodryzlova

Crédit : Courtoisie

La démence correspond à un ensemble de symptômes associés à une détérioration progressive des fonctions cognitives qui a des répercussions sur les activités quotidiennes. Cette affection est attribuable à diverses lésions dans le cerveau et la maladie d’Alzheimer en est la cause la plus courante. 

Ainsi, l’équipe de recherche a analysé les données des 18 études reposant sur le parcours de vie des participants dont l’âge moyen lors du décès était de 87 ans ainsi que sur l’autopsie de leur cerveau. Chaque étude comportait, en moyenne, des données sur 109 cerveaux.  

«Les gens étaient examinés à différentes périodes de leur vie, ce qui nous a permis d’obtenir de l’information sur l’évolution du fonctionnement cognitif de leur vivant et sur les changements neuropathologiques de type alzheimer qui étaient observables à l’autopsie du cerveau», explique Yuliya Bodryzlova. 

Puis, l’équipe de recherche a couplé les données des personnes dont le cerveau portait des traces d’alzheimer – sans toutefois être atteintes de démence – avec des indicateurs de politiques sociales qui avaient cours dans les pays où ces gens avaient vécu (États-Unis, Royaume-Uni, Autriche, Finlande, Pays-Bas, Norvège et Suisse). 

Pas moins de 12 indicateurs de politiques sociales de l’OCDE ont été utilisés, dont le pourcentage du produit intérieur brut consacré aux dépenses sociales ainsi qu’aux services destinés aux gens âgés, les dépenses publiques globales en santé et en soins ambulatoires, l’écart de pauvreté, l’indice Gini et les indicateurs d’égalité de genre.  

L’indice Gini, qui mesure l’écart de distribution des revenus dans la population, a été particulièrement utile pour établir un lien entre les politiques sociales et leur effet sur le risque d’être atteint ou non de démence. Il s’étend de 0 à 1, un score de zéro représentant une distribution parfaitement égale des revenus entre les individus et un score de 1 signifiant au contraire qu’en théorie une seule personne posséderait tous les revenus. 

«À titre d’exemple, l’indice Gini au Canada se situe autour de 0,3, tandis qu’il est de 0,6 au Brésil, illustre la médecin chercheuse originaire du Kazakhstan. Le pays où la distribution des revenus est la plus équitable est la Slovaquie, avec un indice de 0,24.»

L’inégalité de revenu et la pauvreté associées à plus de démence

Premier constat: 39 % des cerveaux autopsiés avaient des traces de détérioration cérébrale modérée liée à la maladie d’Alzheimer sans que les individus aient souffert de démence durant leur vie. À l’inverse, seulement 9 % de ceux dont le cerveau laissait voir des affections cérébrales avancées n’avaient pas été frappés de démence. 

Ces résultats étaient similaires tant pour les hommes que pour les femmes, même si celles-ci forment les deux tiers des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer dans la population générale. 

Yuliya Bodryzlova et son équipe ont aussi observé que de faibles inégalités des revenus et des taux de pauvreté réduits combinés avec des dépenses plus élevées pour les soins de longue durée étaient significativement associés à une réduction du risque de démence chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.  

Par ailleurs, les résultats indiquent que chaque augmentation de 5 % de l’indice Gini au chapitre de l’égalité des revenus parmi les gens de 65 ans et plus se traduit par une hausse de 6 % de la probabilité de ne pas souffrir de démence malgré la présence d’affections cérébrales modérées liées à la maladie d’Alzheimer. 

De la même façon, une diminution de 1 % de la proportion de personnes ayant un revenu équivalant à 50 % du revenu médian augmente de 1 % les chances de ne pas être atteint de démence en présence de la maladie d’Alzheimer.

Des conséquences sur le stress

Selon Yuliya Bodryzlova, les politiques sociales plus progressistes «peuvent avoir des conséquences jusque sur les cellules cérébrales parce qu’elles diminuent le stress et favorisent l’inclusion». 

«Le pouvoir des politiques sociales sur la réduction du fardeau de la démence est souvent négligé par les décideurs politiques et les scientifiques», juge-t-elle. Et les lignes directrices de 2019 de l’Organisation mondiale de la santé sur la diminution du risque de déclin cognitif et de démence «sont au mieux inutiles, compte tenu de l’efficacité modérée des interventions individuelles sur les changements de comportement à long terme et du peu d’avancées dans l’élaboration de traitements».

Yuliya Bodryzlova conclut: «Et dans le pire des cas, les politiques sont dommageables, car elles détournent les rares ressources de santé en matière de mise en œuvre d’interventions efficaces à l’échelle de la population. Nos résultats pourraient donner une nouvelle orientation aux interventions destinées à réduire le fardeau de la démence en agissant sur la pauvreté, les inégalités des revenus et les services de santé financés par l’État.» 

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