La fin de la culture religieuse

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Mireille Estivalèzes présente le livre «La fin de la culture religieuse: chronique d’une disparition annoncée».

La spécialiste de l’enseignement de l’éthique et de la culture religieuse et professeure de didactique à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal Mireille Estivalèzes publie le livre La fin de la culture religieuse: chronique d’une disparition annoncée aux Presses de l’Université de Montréal. 

Pourquoi avez-vous écrit ce livre?

Le projet de ce livre est né en 2020, lorsque le ministre de l’Éducation de l'époque, Jean-François Roberge, a annoncé un processus de révision en profondeur du programme d’éthique et de culture religieuse sans cependant procéder à un état des lieux de cet enseignement ni même consulter les enseignants qui le mettent en œuvre dans les écoles. De plus, le ministre disait appuyer sa décision sur des critiques d'experts, mais sans jamais dire qui ils étaient, sur quoi reposait leur expertise ni en quoi consistaient leurs analyses. Une telle façon de faire constitue un réel problème à la fois sur le plan intellectuel et sur le plan démocratique. Il me semble, en tant qu'universitaire et que citoyenne, que les décisions politiques qui concernent l’éducation des jeunes doivent être prises sur la base d’analyses rigoureuses, transparentes et particulièrement bien informées. Aussi ai-je voulu mieux comprendre, analyser et contextualiser les objections que le programme, et en particulier son volet de culture religieuse, a suscitées, mais aussi les soumettre à un examen critique exhaustif. J'ai souhaité également favoriser une meilleure compréhension des jeux d’influence et des critères politiques et pédagogiques qui ont guidé le choix d’implanter le programme de culture et citoyenneté québécoise alors que ces critères n’ont guère été explicités sur la place publique. 

Pourquoi l'acquisition de la culture religieuse dérange-t-elle au Québec? Que lui reproche-t-on?

Je montre dans mon livre qu'il importe de situer les discussions sur la place de la culture religieuse dans l'éducation des jeunes dans le débat plus large sur les conceptions divergentes de la laïcité et des libertés de conscience et de religion. D'un côté, la laïcité est comprise comme devant tenir compte de l’existence sociale et historique des religions et reconnaître le rôle qu’exerce la spiritualité dans la vie des individus ou des groupes. Cette conception fait place à la connaissance des religions dans les programmes scolaires et tend à protéger la liberté de religion, entendue surtout comme une liberté individuelle. De l'autre côté, la laïcité est perçue comme ayant d'abord une visée émancipatrice à l’égard des religions, qui devraient être reléguées à la sphère de la vie privée, le regard porté sur les religions est parfois négatif et il faudrait à l'école soit les critiquer, soit ne pas en parler. La liberté de conscience, entendue comme une liberté collective, donne la priorité à l’appartenance citoyenne par rapport à l’appartenance religieuse. C'est cette seconde vision qui a orienté la décision politique de supprimer la culture religieuse des apprentissages scolaires, reflétant dans la société profondément sécularisée qu'est celle du Québec contemporain une réelle méfiance à l'égard du religieux. 

D'où proviennent ces critiques?

Les critiques proviennent de trois groupes et relèvent des discours religieux, politique, laïque et féministe. Le premier groupe est formé de certains parents chrétiens qui considèrent que le simple fait d'exposer leurs enfants à une présentation de la diversité des convictions spirituelles nourrit le relativisme religieux et nuit à leur liberté de religion. Leur opposition s’est cristallisée autour de deux poursuites judiciaires, menées jusqu’en Cour suprême du Canada. Le second groupe est constitué de sociologues nationalistes et de chroniqueurs disposant de tribunes médiatiques puissantes qui jugent que le programme d’éthique et de culture religieuse nuit à l’identité québécoise en privilégiant le multiculturalisme canadien et en faisant la promotion des accommodements raisonnables. Le troisième groupe est composé d'associations qui se considèrent comme les gardiennes vigilantes de la laïcité, rejointes par des militantes féministes. À leurs yeux, le programme met de l’avant une vision trop positive des religions, alors que celles-ci seraient des systèmes oppressifs, sexistes et archaïques, dont il faut dénoncer les nombreux méfaits et le caractère discriminatoire. Ces dernières critiques, qui ont saturé l'espace médiatique, ont joué un rôle déterminant dans la suppression du cours. Elles témoignent pourtant de plusieurs travers de notre époque: confusion entre militantisme et analyse scientifique, tendance au complotisme, polarisation des débats et instrumentalisation idéologique et politique de ceux-ci. 

Est-il encore pertinent de faire une place à la culture religieuse dans les parcours scolaires?

Oui, absolument, et pour au moins trois raisons. Des connaissances structurées sur les religions demeurent indispensables à l’intelligence du monde contemporain, dans lequel les phénomènes religieux continuent d’exercer un rôle essentiel, pensons aux questions de géopolitique par exemple. On peut rappeler également que plus de 80 % de la population mondiale s'identifie à une tradition religieuse, indépendamment de son degré de religiosité ou de pratique. La seconde raison est liée à la compréhension de la société québécoise, où l’influence du christianisme est encore importante, notamment à travers sa langue, sa toponymie, son architecture, sa littérature, ses arts, ses valeurs, ses coutumes, ses fêtes, son calendrier, mais aussi où la diversité des convictions spirituelles va croissant. Il est donc nécessaire de comprendre à la fois les héritages et les défis du vivre-ensemble. Enfin, les jeunes sont porteurs de questions existentielles sur le sens de la vie, auxquelles les religions, comme la philosophie et la littérature, apportent des éléments de réponse précieux. Ce serait une erreur de penser que la postmodernité rend caducs ces questionnements. De plus, l’une des missions essentielles de l’école consiste à élargir les horizons des élèves, à les situer dans une perspective plus large qu’eux, à leur ouvrir les portes de la culture générale dont la culture religieuse fait assurément partie. 

En savoir plus

Mireille Estivalèzes, La fin de la culture religieuse: chronique d’une disparition annoncéePresses de l’Université de Montréal, 2023, 352 p.

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