Cartographier la santé des lacs du Canada
- UdeMNouvelles
Le 20 novembre 2023
Des biologistes de l’UdeM établissent, sous forme de carte multicolore, le premier profil social et écologique de plus de 600 lacs du pays indiquant ceux qui doivent être mieux préservés.
Le Canada est le pays du monde qui compte le plus grand nombre de lacs, soit plus de 900 000. Sa population en dépend pour l’eau potable, l’eau d’irrigation des cultures ainsi que pour la pêche, la baignade et le nautisme.
Mais les lacs du Canada et leurs bassins versants sont sous pression. En raison des changements climatiques, de l’intensification de l’agriculture et de l’expansion des villes et des industries, les polluants s’infiltrent de plus en plus dans les habitats aquatiques et menacent la santé des lacs et les services écosystémiques qu’ils fournissent.
Quels sont les lacs utilisés? Dans quel état se trouvent-ils? Sont-ils menacés et, le cas échéant, par quelles activités humaines? Pour répondre à ces questions, une équipe de biologistes de l’Université de Montréal a combiné trois ensembles de données nationales afin de créer la première carte «socioécologique» de l’état de santé général des lacs canadiens.
Son étude, qui portait sur 659 lacs dans 12 écozones du sud du Canada, vient d’être publiée dans la revue Facets.
Dirigés par la professeure Roxane Maranger et des membres de son laboratoire – Andréanne Dupont, Morgan Botrel et Nicolas St Gelais –, les scientifiques ont analysé les renseignements issus de trois ensembles de données nationaux indépendants: le Réseau du CRSNG sur l’état des lacs du Canada (2019), les Rapports sur les bassins versants du Fonds mondial pour la nature (2017) et l’Enquête sur l’importance de la nature pour les Canadiens, de Statistique Canada (1996).
Le premier ensemble, auquel Andréanne Dupont, première auteure étudiante, a travaillé dans le cadre d’une collaboration nationale, fournissait des données sur les caractéristiques biophysiques et chimiques des lacs. Le deuxième a permis d’évaluer le niveau des menaces pour la santé des lacs et le troisième a établi les usages récréatifs que les Canadiens font de leurs lacs, corrigés en fonction des densités de population actuelles.
Au moyen d’une technique de cartographie codée par couleurs, les scientifiques ont pu cerner les régions où les lacs étaient altérés, menacés et utilisés: principalement autour des zones urbaines denses du sud de l’Ontario et du Québec, ainsi que des grandes villes des côtes est et ouest du pays. Les chercheurs et chercheuses ont constaté que les lacs des Prairies sont altérés et menacés, mais semblent moins utilisés.
Les menaces comprennent la pollution, les changements climatiques, les espèces envahissantes, la surconsommation d’eau et la perte d’habitats naturels. C’est dans la région des Grands Lacs et dans le sud des Prairies qu’on a constaté le niveau de menace globale le plus élevé. Dans le cadre de l’évaluation utilisée, les régions situées dans le bassin versant du Saint-Laurent étaient les seules à subir les effets de l’utilisation excessive de l’eau. La pollution constituait une menace généralisée, en particulier le long de la frontière américaine.
La comparaison de lacs dont les bassins versants sont touchés avec des lacs sains de la même région a permis de cibler deux signaux d’alerte précoces de la pression humaine: la pollution par l’azote provenant des engrais agricoles et des eaux usées ainsi que le chlorure issu du sel de voirie. Ces renseignements s’ajoutant à des informations sur les menaces et l’utilisation récréative ont permis de brosser un tableau de l’état d’altération des lacs.
Sur la carte combinée créée par les chercheurs et chercheuses de l’UdeM, plus les lacs d’une région sont problématiques, plus les couleurs sont claires:
- Dans l’est du Canada, la couleur dominante passe du violet dans les régions du nord au magenta dans le sud, ce qui illustre la forte utilisation des lacs de cette région (couleur bleue) aux fins d’activités récréatives comme la navigation en bateau motorisé.
- Au Québec (dans le bassin versant du Bas-Saint-Laurent entre Montréal et Québec) et en Nouvelle-Écosse (dans les environs de Halifax), les couleurs tendent vers le cyan clair, ce qui indique une forte utilisation récréative, qui s’ajoute à une écologie altérée et à un niveau modéré de menace.
- La populeuse pointe du sud de l’Ontario, où vit 20 % de la population canadienne, apparaît en blanc, ce qui révèle que les lacs y sont «altérés, menacés et utilisés de manière intensive», selon l’étude.
- Dans l’ouest du Canada, on observe des gradients de couleur analogues à ceux de l’est, notamment autour de Vancouver et de Victoria, ainsi que de Saskatoon et d’Edmonton. Les teintes tendent toutefois à être plus foncées, ce qui laisse supposer que les menaces de l’agriculture et de l’urbanisation prédominent par rapport à une faible utilisation récréative.
- Dans le sud du Manitoba, les couleurs varient de l’orange au rouge, ce qui donne à penser que la forte présence de menaces n’a eu qu’un faible effet sur l’altération des lacs échantillonnés. Dans le sud de la Saskatchewan, cependant, la couleur dominante est le jaune, ce qui indique des niveaux importants de menace et d’altération.
- Dans le nord du Canada (Québec, Ontario, Saskatchewan, Alberta et Territoires du Nord-Ouest), la couleur qui domine est le brun foncé, l’indication d’«un faible niveau de menace, d’une utilisation récréative faible ou inexistante et de faibles niveaux d’altération des lacs», conclut l’étude.
Ces travaux sont novateurs pour plusieurs raisons, selon Roxane Maranger, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en science et durabilité des écosystèmes aquatiques (niveau 1).
«D’abord, notre étude montre que l’état de santé des lacs varie d’une région à l’autre du Canada. C’est important parce que, pour comprendre l’état d’altération d’un lac, il faut le replacer dans son contexte régional, dit-elle.
«Ensuite, l’étude illustre que l’augmentation des taux d’azote et de chlorure est un indicateur manifeste de l’activité humaine. La pollution par l’azote provenant du ruissellement des engrais agricoles et des eaux usées contribue à l’enrichissement excessif des lacs en nutriments et à la formation d’algues nuisibles. Le chlorure provenant du sel de voirie, quant à lui, réduit la potabilité de l’eau et affecte les organismes qui peuvent vivre dans le lac.
«Enfin, notre étude est la première en son genre à allier des renseignements de nature sociale, soit l’utilisation des lacs à des fins récréatives, à l’état écologique des lacs et aux facteurs qui les menacent, ce qui permet de faire un portrait quantitatif global de la santé des lacs du Canada à l’échelle nationale.»
La démarche que Roxane Maranger et ses collègues du Département de sciences biologiques de l’UdeM ont adoptée dans le cadre de cette nouvelle étude devrait avoir des retombées positives au-delà de la communauté scientifique, a-t-elle ajouté.
«Le fruit de notre travail peut aisément être adapté, est facile à comprendre et peut servir à des intervenants et à des gestionnaires régionaux et locaux pour déterminer les lieux à prioriser aux fins de conservation et de restauration, dit-elle. Il peut aussi leur servir à communiquer plus efficacement l’état de santé global des lacs de leur région aux personnes qui y vivent et les inciter à changer la façon dont elles en font usage.»
À propos de cette étude
L’article «A social-ecological geography of southern Canadian Lakes», par Andréanne Dupont et ses collègues, a été publié le 16 novembre 2023 dans la revue Facets.