Variations de température de l’eau: certains poissons s’adaptent plus vite que d’autres

Dans le sens des aiguilles d'une montre: le flétan européen, le poisson zèbre, l’épinoche à trois épines et le cténolabre. Ces quatre espèces de poissons ont fait l'objet du projet de recherche de Jérémy De Bonville.

Dans le sens des aiguilles d'une montre: le flétan européen, le poisson zèbre, l’épinoche à trois épines et le cténolabre. Ces quatre espèces de poissons ont fait l'objet du projet de recherche de Jérémy De Bonville.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Le chercheur en sciences biologiques Jérémy De Bonville a analysé la capacité de quatre espèces de poissons à s’acclimater aux variations de température de leur habitat marin.

Lorsqu’ils sont soumis à une augmentation de la température de l’eau de leur habitat, le poisson zèbre, l’épinoche à trois épines et le flétan s’acclimatent plus rapidement que le cténolabre, qui vit dans des eaux plus profondes. 

C’est ce qu’a observé le doctorant Jérémy De Bonville au cours de ses travaux de recherche réalisés sous la direction de la professeure Sandra Ann Binning, du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Ses conclusions, qui ont fait l’objet d’une publication récente dans le Journal of Thermal Biology, découlent notamment d’observations faites au cours de stages effectués en Scandinavie.

Du laboratoire à la mer

Jérémy De Bonville, doctorant au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal

Jérémy De Bonville, doctorant au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal

Crédit : Courtoisie

L’acclimatation thermique est la capacité à s’adapter à des hausses de température dans son environnement. 

Pour étudier cette acclimatation chez les poissons, le chercheur a d'abord travaillé avec des poissons zèbres (Danio rerio) en laboratoire durant un stage à l’Université norvégienne de sciences et de technologie. Il a ensuite poursuivi ses observations à la station de recherche de Kristineberg, en Suède, cette fois avec trois espèces marines qu’il a lui-même pêchées, soit l'épinoche à trois épines (Gasterosteus aculeatus), le cténolabre (Ctenolabrus rupestris) et le flétan européen (Platichthys flesus). 

«Ces espèces viennent d'environnements différents, explique Jérémy De Bonville. Les deux premières vivent en milieu côtier à un ou deux mètres de profondeur, tandis que le cténolabre se retrouve dans des eaux plus profondes, où les températures sont plus stables.»

Mesurer la tolérance thermique maximale

Jérémy De Bonville a lui-même pêché les poissons à l'étude, dont des spécimens d'épinoche à trois épines, à l'aide d'une seine. Pour ce faire, il devait porter des gants de protection afin d'éviter les piqûres de méduses.

Jérémy De Bonville a lui-même pêché les poissons à l'étude, dont des spécimens d'épinoche à trois épines, à l'aide d'une seine. Pour ce faire, il devait porter des gants de protection afin d'éviter les piqûres de méduses.

Crédit : Courtoisie

Pour comprendre jusqu'où ces poissons peuvent supporter la chaleur, le doctorant et ses collègues scandinaves les ont placés dans des aquariums et ont progressivement augmenté la température de l'eau «à raison de 0,3 °C par minute, jusqu'à ce que le poisson perde son équilibre et tombe sur le côté. On les remettait ensuite dans une eau plus fraîche, où ils retrouvaient leur état normal en une trentaine de minutes», précise celui qui est aussi chargé de cours au Département de sciences biologiques. 

Cette méthode permet de déterminer la température maximale qu'un poisson peut tolérer, mais aussi comment cette tolérance peut évoluer. «Selon notre hypothèse, un poisson habitué à une eau à 20 °C pourrait, par exemple, supporter un maximum de 35 °C, mais s'il s'acclimate à une eau à 25 °C, sa tolérance maximale pourrait atteindre 38 °C», illustre le chercheur. 

Par la suite, l’équipe de recherche a soumis les individus de chaque espèce à des augmentations de température de 5 °C – par exemple de 18 à 23 °C – en prenant la mesure de leur tolérance thermique maximale à différentes périodes, soit après 3, 6 et 24 heures, puis après 4, 10 et 21 jours.

Des stratégies qui varient selon l'habitat

Les poissons habitués aux eaux peu profondes, comme l'épinoche à trois épines et le poisson zèbre, s’acclimatent plus rapidement aux changements de température.

Les poissons habitués aux eaux peu profondes, comme l'épinoche à trois épines et le poisson zèbre, s’acclimatent plus rapidement aux changements de température.

Crédit : Courtoisie

Les résultats montrent que les poissons habitués aux eaux peu profondes, comme l'épinoche à trois épines et le poisson zèbre, s’acclimatent plus rapidement aux changements de température. «Ces deux espèces parviennent à modifier leur tolérance thermique après seulement trois heures, et l’épinoche a atteint la plus haute tolérance: 34,2 °C, soit 1,4 °C de plus qu’au stade initial», indique Jérémy De Bonville. 

Le cténolabre s’est acclimaté après six heures et a haussé sa tolérance thermique de 2,8 °C, celle-ci atteignant 31,7 °C, sans toutefois parvenir à un état stable après 10 jours. 

Pour ce qui est du flétan, il a été le plus lent à s’acclimater, soit après quatre jours, et sa tolérance thermique a augmenté de 1,2 °C, atteignant elle aussi un maximum de 31,7 °C. 

Ces deux dernières espèces utilisent par ailleurs d’autres stratégies pour faire face aux augmentations de la température de l’eau. «Le flétan peut creuser dans le sable pour se cacher, tandis que le cténolabre préfère se déplacer vers les eaux plus froides en profondeur. Ces comportements leur permettent d'éviter les eaux trop chaudes plutôt que de s'y acclimater», souligne Jérémy De Bonville. 

Du côté des poissons zèbres, qu’on trouve à l’état naturel dans les rivières de l’Inde, les spécimens juvéniles et adultes ont modifié leur tolérance rapidement, soit en trois heures, et ils ont complété leur processus d’acclimatation en uniquement quatre jours.

Des enseignements précieux

La station de recherche de Kristineberg, en Suède

La station de recherche de Kristineberg, en Suède

Crédit : Courtoisie

Si les résultats de ce projet de recherche permettent de mieux comprendre comment les poissons réagissent aux variations de température de leur habitat, peut-on conclure qu’ils pourraient s’adapter plus facilement qu’on le croit au réchauffement climatique?  

«Nous n’en sommes pas là, avertit Jérémy De Bonville. Nos résultats nous donnent des pistes d’information sur les stratégies que des espèces peuvent utiliser, selon leur environnement naturel: certaines misent sur une acclimatation physiologique rapide, d'autres sur des comportements d'évitement.» 

Le doctorant insiste d’ailleurs sur le fait que d’autres facteurs environnementaux sont à considérer dans leur capacité à s’acclimater, dont la présence de parasites. 

Il participe d’ailleurs à un projet d’une étudiante de maîtrise, Andréa Serres, mené à la Station de biologie des Laurentides de l’UdeM, sur le crapet-soleil. «Nous examinons l'influence des parasites sur sa capacité d’acclimatation à des hausses de température et les résultats préliminaires sont intrigants: les populations vivant dans un lac sans parasites s'acclimatent plus vite et supportent des températures plus élevées que celles des lacs où les parasites sont présents», conclut-il.

À propos de cette étude

L’article «Dynamics of thermal tolerance plasticity across fish species and life stages», par Jérémy De Bonville, Sandra Ann Binning et leurs collègues, a été publié dans l’édition de janvier 2025 du Journal of Thermal Biology.