Maladie d’Alzheimer: protéine tau, qui es-tu?

Des spécialistes misent sur la compréhension de la protéine tau, une protéine dont l’accumulation serait associée à l’apparition de la maladie d’Alzheimer dans le cerveau.

Des spécialistes misent sur la compréhension de la protéine tau, une protéine dont l’accumulation serait associée à l’apparition de la maladie d’Alzheimer dans le cerveau.

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Le chercheur de l’UdeM Jonathan Brouillette fait le point sur la protéine tau, un acteur crucial dans la neurodégénérescence caractéristique de la maladie d’Alzheimer.

Jonathan Brouillette

Jonathan Brouillette

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Ne plus reconnaître le visage des êtres aimés, voir s’effacer ses souvenirs les plus chers, ne plus arriver à s’orienter, à marcher ou à s’alimenter. Avec ses effets dévastateurs combinant les pertes de mémoire et le déclin des facultés cognitives et physiques, la maladie d’Alzheimer est la hantise de bien des gens.

On estime d’ailleurs que, d’ici 2030, environ un million de personnes au Canada vivront avec cette maladie ou un autre trouble neurocognitif.

À travers le monde, de nombreuses équipes de scientifiques sont à la recherche de pistes thérapeutiques efficaces contre cette maladie. Et dans cette véritable course contre la montre, des spécialistes misent sur la compréhension de la protéine tau, une protéine dont l’accumulation serait associée à l’apparition de la maladie d’Alzheimer dans le cerveau.

C’est le cas de Jonathan Brouillette, professeur au Département de pharmacologie et physiologie de l’Université de Montréal, qui s’intéresse aux mécanismes de propagation de cette protéine.

Dans une récente revue de littérature, il se penche sur la fonction de la protéine tau dans la neurodégénérescence associée à la maladie d’Alzheimer. Nous lui avons posé quelques questions.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la protéine tau et quel est son rôle dans le cerveau?

La protéine tau est importante dans le cerveau pour stabiliser les microtubules des neurones. Ces minuscules tubes creux sont des structures dynamiques, ils s’allongent et se rétrécissent selon le besoin de plasticité, par exemple lorsqu’il y a un nouvel apprentissage. En stabilisant la structure des neurones, les protéines tau permettent le transport des molécules à l’intérieur des cellules nerveuses, ce qui les maintient en vie.

Et quel est son rôle dans la maladie d’Alzheimer?

Dans la maladie d’Alzheimer, la protéine tau est abondante et anormalement phosphorylée dans les neurones. Cette hyperphosphorylation empêche la protéine de bien se lier aux microtubules. La protéine finit plutôt par s’agréger et créer ce qu’on appelle des «enchevêtrements neurofibrillaires». Ces amas ne permettent plus aux neurones de garder leur structure, ce qui mène éventuellement à leur mort.

Comment se propage-t-elle?

Il a été montré que la protéine tau se propage dans différentes régions du cerveau selon un schéma bien hiérarchisé, principalement du cortex entorhinal vers l’hippocampe au début de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, on ne sait pas encore précisément de quelle façon elle prolifère.

Il existe trois grandes hypothèses: une cause structurale – la protéine se répand parce que les diverses régions du cerveau sont reliées –, une fonctionnelle – elle se propage lors de l’activation des régions reliées – et un effet de diffusion – la protéine est libérée par un neurone, puis capturée par un autre dans la même région.

On pense qu’il s’agit d’une combinaison des trois et que l’activation des neurones est particulièrement importante.

Pensez-vous que la recherche progresse bien dans ce domaine?

Oui, il y a de belles avancées. Avant, on pouvait seulement faire une analyse histopathologique du cerveau de la personne décédée pour poser un diagnostic précis. Aujourd’hui, notamment grâce à la tomographie par émission de positons [une technique d’imagerie], on peut voir les enchevêtrements neurofibrillaires de la protéine tau et les dépôts amyloïdes, les deux signatures de la maladie d’Alzheimer, dans le cerveau des personnes vivantes.

Dans notre laboratoire, nous essayons de mieux comprendre les mécanismes de propagation de la protéine tau. Par exemple, en collaboration avec une équipe de l’Université Concordia, nous testons actuellement chez l’animal un modèle mathématique qui servirait à prédire cette diffusion, soit sa vitesse, sa direction, etc.

Si l’on finissait par comprendre cette propagation, on pourrait ensuite penser à des molécules qui viendraient la stopper ou du moins la ralentir, ce qui aurait éventuellement un effet positif sur la vitesse de progression de la maladie. Réduire de seulement deux ans cette progression aurait des bienfaits énormes pour les individus et les sociétés. Environ 34 % des gens atteints de la maladie d’Alzheimer n’auraient plus besoin d’aller en CHSLD, les coûts sociétaux en seraient grandement diminués.

Avez-vous bon espoir que cela arrive un jour?

Je suis certain qu’on va trouver, même si l’on ignore quand. Mais avec les percées de la recherche, on constitue peu à peu un important coffre à outils: de nouvelles molécules qui ciblent les protéines bêta-amyloïdes et la protéine tau sont de plus en plus étudiées et l’on sait maintenant que, en agissant sur les facteurs de risque modifiables que sont l’alimentation, l’activité physique, le tabagisme, le diabète, etc., on peut réduire jusqu’à 40 % les cas de démence.

C’est un peu comme la trithérapie pour le sida: en jouant sur plusieurs facteurs, on finira par avoir une influence significative sur la maladie.

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