D’autres regards sur la maternité

«Ces langues que parlent les femmes: mers insondables, eaux troubles, troublées et troublantes», de Caroline Boileau

«Ces langues que parlent les femmes: mers insondables, eaux troubles, troublées et troublantes», de Caroline Boileau

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

En 5 secondes

L’exposition «Les engendrements», présentée à la Galerie de l’Université de Montréal jusqu’au 6 avril, déconstruit les mythes liés à la maternité.

«Souvent, la naissance est évoquée comme l'un des évènements les plus heureux dans la vie d’une femme, mais on oublie de discuter des différentes formes de violence que peuvent subir les mères avant l'arrivée de l'enfant», déclare Marianne Cloutier, chargée de cours au diplôme d’études supérieures spécialisées en arts, création et technologies de l’Université de Montréal et commissaire de la nouvelle exposition Les engendrements, présentée à la Galerie de l’Université jusqu'au 6 avril. 

Cette exposition, qui fait suite à celle intitulée Réappropriations: acte 1, est le fruit d'une résidence à la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur la réappropriation de la maternité: libérer la parole et le corps des femmes des artistes Heidi Barkun, Caroline Boileau, Kimberley de Jong et Hermione Wiltshire. Par des installations, dessins, vidéos, sculptures et performances, elles explorent les nombreux non-dits de la maternité, ayant recueilli plusieurs dizaines de témoignages personnels qui révèlent également les diverses pressions sociales et politiques exercées sur le corps des femmes. 

Mettre des mots sur les maux

Détail de 'Leurs mots' d'Heidi Barkun

Détail de «Leurs mots», d'Heidi Barkun

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

L'exposition s’ouvre sur une petite salle rose bonbon qui évoque une clinique de fertilité et dont les murs sont recouverts de milliers de mots prononcés par une dizaine de femmes ayant suivi un processus de fécondation in vitro. Ces mots expriment leurs motivations, appréhensions et détresses et les multiples violences médicales qu'elles ont subies. Parmi les témoignages poignants, on peut lire des phrases telles que «Si ça ne marche pas, c’est parce que tu ne le souhaites pas», «Si ça ne marche pas, c’est sûrement parce que vous êtes trop grosse», «Le médecin m’avait dit: “Vous avez eu une chlamydia à 18 ans, madame.” Depuis deux mois, je suis traumatisée. Puis là, finalement, c’est mon conjoint qui avait un problème de spermatozoïdes». 

D’autres témoignages ont donné vie à des œuvres telles que l'installation Ces langues que parlent les femmes: conciliabules, palables et palaver, de Caroline Boileau, où s’entremêlent notes d’entrevues et dessins fantastiques à l’aquarelle, les espoirs, les souffrances, les blessures de celles qui ont eu un enfant ou en ont désiré un. 

En découdre avec la maternité

Détails de "(M)other"de Kimberley de Jong

Détail de «(M)other», de Kimberley de Jong

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Sur un drap blanc pendent de longs filaments rouge sang. En s’approchant de l’installation (M)other, de Kimberley de Jong, on s’aperçoit qu’il s’agit de mots grossièrement cousus sur un drap d’hôpital comme «change», «care», «solitude», «joy» ou encore «danger», exprimant la palette d’émotions ressenties par différentes personnes découvrant la parentalité. 

En face, dans l’œuvre 12 millions, d’Heidi Barkun, on aperçoit une myriade d’autres fils sommairement cousus. Les fils dépassent, comme si la cicatrisation n’avait pas pu se produire. Ici, des centaines de paquets de seringues assemblées de façon rudimentaire atteignent le plafond et représentent les multiples injections d’hormones reçues par les femmes qui ont eu recours à la fécondation in vitro. 

Plus loin, c’est aussi par la couture qu’Hermione Wiltshire évoque la matérialité des traces physiques et les violences sur le corps des femmes dans la vidéo Actions pour la réparation du savoir. «Elle a demandé à des femmes qui ont vécu des violences obstétricales ou subi une épisiotomie, c’est-à-dire une opération consistant à pratiquer une incision de quelques centimètres au bas du vagin afin de faciliter le passage du bébé, d’apporter des vêtements portés pendant leur grossesse. Elle les a ensuite invitées à réparer ce vêtement pendant leur entrevue et a filmé la réparation. Le geste devient une métaphore de la guérison des traumatismes physiques et émotionnels vécus», explique la commissaire Marianne Cloutier.

Quand la transmission du savoir est bloquée

«J’ai posé deux questions et je me suis tout de suite fait répondre: “Mais coudonc, tu fais quoi dans la vie pour me poser des questions comme ça?” J’ai arrêté de parler et je me suis dit OK, ici je n’ai pas le droit de poser des questions. Je n’ai pas le droit de savoir ce qui se passe dans mon corps et ce que tu me proposes comme traitement», témoigne une femme à propos de son expérience de procréation médicalement assistée dans l’œuvre Leurs mots, d’Heidi Barkun. L’artiste révèle par son travail la grande vulnérabilité de femmes qui s’en remettent au corps médical et se trouvent sans réponse.  

Plus loin, l’œuvre Ces langues que parlent les femmes: la table des colères, de Caroline Boileau, qui a fait une résidence à la bibliothèque de médecine de l’Université de Montréal, donne à voir des représentations d’utérus extraites de livres anciens de médecine. Les formes grotesques et bien éloignées de la réalité montrent ainsi que la mauvaise connaissance du corps des femmes a contribué aux violences obstétricales.

Pour un nouveau partage des savoirs

"12 millions" d'Heidi Barkun

«12 millions», d'Heidi Barkun

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Dessinant des sorcières à l’aquarelle pour illustrer la manière dont les sages-femmes étaient jadis perçues, Caroline Boileau nous invite à réfléchir sur l’évolution du rôle des femmes en médecine. Heidi Barkun a quant à elle récupéré plusieurs centaines d’éprouvettes et d’autre matériel des laboratoires de biologie de l’Université pour l’œuvre 12 millions, symbolisant de la sorte les nouveaux liens qui peuvent se créer entre l’univers médical et le corps des femmes.  

L’exposition se clôt par un petit espace confortable de médiation réalisé par des étudiantes en design de la Faculté de l’aménagement de l’UdeM. Là, on peut consulter des ouvrages qui ont fait partie des recherches des artistes, comme Nullipare, dirigé par Claire Legendre, professeure au Département des littératures de langue française de l’Université. De petites tables équipées de crayons sont également à la disposition des parents qui voudraient voir cette exposition sur la maternité accompagnés de leurs enfants.

  • "Ces langues que parlent les femmes – mers insondables, eaux troubles, troublées et troublantes" de Caroline Boileau

    «Ces langues que parlent les femmes: mers insondables, eaux troubles, troublées et troublantes», de Caroline Boileau

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • "12 millions" d'Heidi Barkun

    «12 millions», d'Heidi Barkun

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • "Ces langues que parlent les femmes: la table des colères" de Caroline Boileau

    «Ces langues que parlent les femmes: la table des colères», de Caroline Boileau

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Informations pratiques

La Galerie de l’Université de Montréal est située au 2940, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, salle 0056. L’entrée est libre. 

Elle est ouverte du mardi au samedi, de 10 h à 17 h, et le jeudi jusqu’à 19 h. 

Les horaires des performances sont les suivants: le 1er février à 17 h 30, le 8 février à 17 h 30, le 24 février à 14 h, le 29 février à 17 h 30, le 23 mars à 14 h, le 28 mars à 17 h 30, le 4 avril à 17 h 30 et le 6 avril à 14 h. 

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