Opérer les cataractes de poissons menacés d’extinction permet d'accroître leur longévité

Les trois espèces de poissons qui ont servi à l’expérience: le bar rayé («Morone saxatilis»), le loup tacheté («Anarhichas minor») et le loup de l'Atlantique («Anarhichas lupus»).

Les trois espèces de poissons qui ont servi à l’expérience: le bar rayé («Morone saxatilis»), le loup tacheté («Anarhichas minor») et le loup de l'Atlantique («Anarhichas lupus»).

Crédit : Getty

En 5 secondes

L’opération des cataractes – ou lensectomie – sur des poissons en danger d’extinction permet d'augmenter leur longévité, selon une étude menée par la vétérinaire Claire Vergneau-Grosset, de l’UdeM.

Il n’y a pas que les humains qui peuvent être atteints de cataractes en vieillissant. C’est le cas de certains animaux, dont les chiens, les chats, les chevaux… et les poissons en captivité. 

Et il peut être judicieux d’opérer ces cataractes chez les poissons des aquariums publics dont l’espèce est menacée d’extinction pour leur procurer une meilleure santé et les aider à vivre plus longtemps. 

Bien que rarissimes, de telles interventions ont été effectuées au cours des 20 dernières années, mais aucune étude n’en a mesuré les effets à long terme.  

C’est cette lacune qu’ont voulu combler la Dre Claire Vergneau-Grosset, professeure en médecine zoologique à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, et sa résidente Julie Pujol en menant des travaux dont les résultats ont été publiés dans la revue Veterinary Sciences en octobre dernier. 

La vétérinaire et les membres de son équipe ont fait des lensectomies sur 11 poissons appartenant à trois populations en danger ou menacées d’extinction, soit le bar rayé (Morone saxatilis) du fleuve Saint-Laurent, le loup tacheté (Anarhichas minor) et le loup de l’Atlantique (Anarhichas lupus).

Les signes cliniques de cataractes chez les poissons

Cataracte à l'oeil droit d'un loup Atlantique

Différents signes apparents permettent de détecter la présence de cataractes chez le poisson, dont la perte d’appétit, des difficultés à s’orienter et un cristallin blanc et opaque - comme c'est le cas pour ce loup de l'Atlantique.

Crédit : Claire Grosset, service de médecine zoologique, et Aquarium du Québec

À l’état naturel, ces poissons vivent surtout près des côtes nord-ouest de l’océan Atlantique ainsi que dans l’estuaire du Saint-Laurent. Mais les individus qui ont été opérés étaient hébergés à l’Aquarium du Québec. 

«Ils avaient tous plus de 10 ans, soit davantage que l’espérance de vie à l’état naturel, et c’est probablement un facteur qui a contribué à l’apparition de ces cataractes, combiné avec des facteurs nutritionnels, explique Claire Vergneau-Grosset. Dans la nature, un individu atteint de cataractes ne survit pas longtemps: soit il devient une proie facile, soit il devient anorexique et meurt de faim en raison des difficultés qu’il éprouve à trouver de la nourriture.» 

Le diagnostic de cataracte chez les poissons repose sur des signes cliniques apparents: outre la perte d’appétit, les poissons pouvaient avoir des difficultés à s’orienter, leurs cristallins étaient blancs et opaques… et la couleur de leur peau devenait plus foncée. 

«Tout comme les caméléons, ces poissons ont des cellules pigmentaires, les mélanophores, qui permettent de changer de couleur pour s’adapter à l’environnement, dit la médecin vétérinaire. Et puisque les cataractes les empêchent de distinguer les couleurs, leur peau devient plus sombre, voire noire.»

Opérer les cataractes d’un poisson

Opération des cataractes des poissons

Lors de l'intervention, l’animal est installé sur une table et sa respiration est contrôlée par une pompe qui alimente ses branchies en eau.

Crédit : Claire Grosset, service de médecine zoologique, et Aquarium du Québec

Dans le cadre de ce projet de recherche, la plupart des 11 poissons opérés l'ont été à un seul œil, quelques-uns aux deux yeux.  

L’intervention consiste à retirer le cristallin de l’œil (chez le chien, on en nettoie le contenu). Pour ce faire, l’équipe médicale place d’abord le poisson dans un bac d’eau pour l’endormir complètement à l’aide d’une poudre anesthésiante. 

Puis, l’animal est installé sur une table trouée et sa respiration est contrôlée par une pompe qui alimente ses branchies en eau. 

Suivant les conseils de l’ophtalmologiste Maria Vanore, la Dre Vergneau-Grosset procède à l’extraction du cristallin en effectuant une incision dans le limbe afin de pouvoir disséquer les fibres et les muscles entourant le cristallin. La cornée est ensuite suturée et l’on donne un anti-inflammatoire au patient aquatique.  

«Plusieurs études ont démontré que les poissons ressentent de la douleur et notre équipe élabore des traitements à cet égard, souligne la professeure. Notre collègue Juliette Raulic a d’ailleurs remporté un prix pour son projet de résidence concernant une nouvelle molécule – le robénacoxib – qui se donne par injection tous les trois jours plutôt que quotidiennement, ce qui permet d’atténuer le stress chez le poisson.»

Une qualité de vie et une longévité améliorées?

Docteures Julie Pujol et Claire Vergneau-Grosset

Les vétérinaires Julie Pujol et Claire Vergneau-Grosset

Crédit : Docteures Julie Pujol (courtoisie) et Claire Vergneau-Grosset (Aquarium du Québec)

L’objectif de cette recherche était de vérifier si la lensectomie, qui est un trauma en soi, contribue au mieux-être et accroît la longévité des poissons atteints de cataractes. Est-ce bien le cas?  

«La réponse est oui, affirme Claire Vergneau-Grosset. Nos résultats indiquent que 73 % des poissons opérés ont recommencé à s’alimenter, retrouvé un état corporel normal et semblaient cliniquement normaux, avec une survie médiane d’environ un an, ce qui est positif pour des poissons de cet âge. De plus, ils retrouvent leur sens de l’orientation et leur peau redevient plus claire, puisque leur vision s’améliore.» 

Trois poissons sont morts dans les mois suivant l’opération, mais ils présentaient principalement des problèmes non reliés à la chirurgie, comme des tumeurs gonadiques.  

Par ailleurs, les lensectomies effectuées au cours de cette étude ont été réalisées à l’aide de loupes qui multiplient par trois la taille des objets, ce qui est loin des outils de précision qu’utilisent des ophtalmologistes. 

«Nous sommes des généralistes et nous employons les instruments à notre disposition, tient à préciser la professeure. De plus, l’opération ne vise pas à redonner une vision parfaite au poisson, qui n’a pas besoin d’avoir une vue aussi précise que le chien par exemple: on veut qu’il se débrouille dans son environnement, pas qu’il soit capable de lire un journal!»  

Claire Vergneau-Grosset insiste également sur le fait que la lensectomie chez les poissons est valable lorsque les individus appartiennent à une espèce dont la survie est menacée: «On ne ferait pas cette opération de routine sur un poisson rouge», conclut-elle.