Codifier manuellement les traces de chaussures prélevées sur les scènes de crime, est-ce fiable?
- UdeMNouvelles
Le 12 février 2024
- Martin LaSalle
Le doctorant Vincent Mousseau, de l’École de criminologie de l’UdeM, a validé la fiabilité de la codification manuelle des traces de chaussures prélevées sur les scènes de crime.
Le 21 décembre 1999 au matin, William Fyfe se rend au dépôt de vêtements de la Trinity Church, à Toronto, pour y abandonner trois paires de souliers de sport. Un agent de la Police provinciale de l’Ontario qui le suit en filature récupère les chaussures. L'une d'elles possède une semelle dont l’empreinte correspond en tous points à la trace relevée chez Monique Gaudreau, assassinée dans sa chambre en octobre de la même année.
Le lendemain, les policiers procèdent à l’arrestation de celui qui, de 1979 à 1999, a tué au moins neuf femmes. Le plus sinistre tueur en série que le Québec a connu…
Ce cas sordide illustre l’importance que revêt tout indice matériel susceptible de mener à la condamnation d’un coupable, dont les empreintes de chaussures prélevées sur les scènes de crime. Et, pour que celles-ci soient utilisables, elles doivent être méticuleusement codifiées avant d’être intégrées dans une base de données.
C’est la fiabilité de ce processus de codification manuelle qu’a testée le doctorant Vincent Mousseau dans ses travaux de recherche effectués au sein du service de renseignement criminalistique du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML). Ses résultats ont été publiés dans le Canadian Society of Forensic Science Journal.
S’assurer que tous voient la même chose
«Les traces de chaussures font partie d’un éventail d’informations contextuelles qui peuvent faire avancer les enquêtes, souligne le chercheur. Elles sont rarement présentées en preuve à la cour, mais permettent de préciser certaines hypothèses d’enquête, par exemple en ce qui a trait au nombre de personnes présentes au moment d’un crime, à celles qu’on croyait suspectes et surtout au lien entre des crimes que les policiers considéraient initialement comme isolés.»
Dans le cadre de ses travaux, Vincent Mousseau a participé à la mise en place d’un projet du LSJML – où il travaillait déjà depuis quelques années à titre d’étudiant – visant à analyser la validité de la codification des milliers d’images de traces de chaussures que contient la base de données du Laboratoire.
«Cette base de données ressemble à celle qui existe pour les empreintes digitales et qui peut servir à l’ensemble des corps policiers du Québec, illustre-t-il. Les analystes reçoivent les images des traces de chaussures prélevées et ils scrutent les différents motifs de ces traces, qui ne sont pas toujours optimales: elles sont souvent partielles, la boue ou le sable viennent brouiller la lecture… Il faut donc s’assurer que les personnes qui interrogeront la base de données feront la même lecture de ces données.»
Vincent Mousseau et deux analystes spécialisés du service de renseignement criminalistique du LSJML ont donc extrait un échantillon d’une trentaine d’images de la base de données afin de les étudier tour à tour à l’aide d’une grille d’analyse. Chaque personne devait codifier chacune des images à deux reprises, et ce, à deux semaines d’intervalle.
L’humain meilleur que l’ordinateur, du moins pour le moment!
L’objectif consistait à vérifier si les analyses et le système de codification de chacun se recoupaient au moyen d’un outil qui en mesurait l’uniformité.
«Outre quelques variations mineures, les résultats de deux analystes sur trois se rejoignaient presque parfaitement et les trois analystes sont parvenus à un consensus fort», mentionne Vincent Mousseau.
Et, bien que quelques motifs et formes aient mené à un accord moins large, le système de codification élaboré par les trois analystes présentait un degré de fiabilité satisfaisant.
Mais pourquoi mesurer la fiabilité d’une codification manuelle, tandis qu’il est possible de l’automatiser avec l’ordinateur?
«L’ordinateur parvient à détecter des empreintes identiques, mais seulement dans des conditions optimales, c’est-à-dire qu’il ne doit pas y avoir de bruit de fond sur les images, nuance-t-il. Il n’est pas encore parfaitement capable non plus d’analyser des traces en 3D ni de faire tous les liens que l’humain peut faire.»
Vincent Mousseau conclut: «En somme, notre étude montre que, malgré l’intérêt croissant pour les systèmes de codification automatisés, la codification manuelle des traces et empreintes de chaussures demeure une méthode appropriée pour obtenir de l’information criminalistique.»
Inspiré par Sherlock Holmes!
Attiré par les enquêtes policières depuis l’enfance, Vincent Mousseau a d’abord obtenu un baccalauréat en chimie – profil criminalistique – à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Et dès ses études universitaires de premier cycle, il s’est intéressé aux traces de chaussures des scènes de crime.
Au point où, aujourd’hui, il peut reconnaître presque n’importe quelle marque de chaussures, aussi rarissime soit-elle!
Mais pourquoi avoir porté son intérêt précisément sur les traces de chaussures?
«J’ai été influencé par une citation de Sherlock Holmes, extraite de la nouvelle Peter le Noir, publiée en 1904 par Arthur Conan Doyle, qui va comme suit: “J’ai enquêté sur beaucoup de crimes, mais je n’en ai encore jamais vu qui eussent été commis par une créature ailée. Du moment que le criminel se déplace sur ses deux pieds, il y a toujours un foulage, une dentelure, une éraflure, une modification minime du sol que le chercheur scientifique peut détecter.”»