Violence et intimidation à l'école: un défi collectif

En 5 secondes Un panel de spécialistes appelle à une mobilisation concertée pour mieux prévenir et contrer la violence en milieu scolaire.
Des années scolaires 2020-2021 à 2024-2025, le nombre d’agressions recensées dans les écoles montréalaises est passé de 60 à 107. Au cours de la même période, un jeune sur cinq arrêté pour terrorisme en Europe avait moins de 18 ans.

Des années scolaires 2020-2021 à 2024-2025, le nombre d’agressions recensées dans les écoles montréalaises est passé de 60 à 107. Au cours de la même période, un jeune sur cinq arrêté pour terrorisme en Europe avait moins de 18 ans.  

Devant cette réalité, quatre experts réunis le 12 novembre à l'Université de Montréal ont croisé leurs regards sur un phénomène qui déborde largement les murs de l'école.  

Animé par la journaliste Maude Goyer, ce grand entretien de la Faculté des sciences de l'éducation (FSE) a rassemblé Diana Miconi et François Bowen, professeurs au Département de psychopédagogie et d'andragogie, Isabelle Ouellet-Morin, professeure à l'École de criminologie, et Fady Dagher, directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Leur constat: la violence en milieu scolaire est d'abord un problème collectif et systémique. 

 

Comprendre pour mieux intervenir 

Selon Diana Miconi, l'intimidation se définit par des actes répétés qui nuisent à une personne dans un contexte de déséquilibre des pouvoirs, souvent motivés par la haine. Isabelle Ouellet-Morin a ajouté que la victime vit une grande détresse, aggravée par un sentiment d'impuissance. François Bowen a précisé que «toute forme de violence n'est pas de l'intimidation, même si toute violence est intentionnelle et vise à atteindre quelqu'un, que ce soit socialement, psychologiquement ou physiquement». 

Le professeur a ainsi distingué l'agressivité proactive – calculée, répétée et recourant aux habiletés sociales pour nuire – de l'intimidation réactive, marquée par l'impulsivité et un répertoire limité de réponses sociales. «Sur le plan éducatif et en intervention, ça permet de savoir sur quoi travailler», a-t-il dit. Dans les deux cas, le renforcement d'apprentissages socioémotionnels s'impose. Les plus jeunes sont généralement plus réactifs, alors que les adolescents adoptent davantage de comportements proactifs. 

Isabelle Ouellet-Morin a insisté sur la dimension multisystémique des facteurs de risque. Il peut s’agir «de violence familiale, d’un historique de violence dans le quartier, de normes sociales qui encouragent ou découragent certains comportements… Ça va au-delà des personnes», a-t-elle souligné. 

Fady Dagher a complété le tableau en rappelant que les chiffres des agressions dans les écoles montréalaises comprennent les voies de fait, les agressions sexuelles et les vols qualifiés. Il a déploré l'absence de coordination entre le ministère de l'Éducation et les services policiers dans le partage de ces données et s'est interrogé sur le rôle des policiers sociocommunautaires présents dans les écoles depuis 1998, «qui jouent parfois un rôle de travailleurs sociaux qu'ils ne devraient pas assumer». 

 

De nouveaux visages de la violence 

La violence en milieu scolaire revêt aujourd'hui des formes qui inquiètent particulièrement les spécialistes. 

Diana Miconi a parlé de la montée des violences idéologiques et extrémistes, un phénomène mondial qui «force à essayer de comprendre ce qui est au-delà des jeunes, ce qui est plus large, systémique». Les motifs d'intimidation peuvent être multiples – timidité, différence physique, identité de genre, orientation sexuelle, origines ethniques, religion –, mais ils s'inscrivent toujours dans un environnement qui les favorise ou non. 

Fady Dagher a évoqué le cas des jeunes radicalisés du Collège de Maisonneuve il y a une dizaine d'années. Il a relaté que «ces 17 jeunes sans antécédent, bénévoles et performants» avaient basculé vers l'État islamique notamment après avoir vu leurs mères marginalisées par un politicien populiste de la région de Québec. «Dans l'esprit du jeune, comment il se déprogramme pour se reprogrammer vers la radicalisation?» a-t-il demandé. Il a rappelé que ce phénomène mondial touche également Marseille, où des enfants soldats sont manipulés par des réseaux criminels. «On fait de bonnes choses, mais il faut innover différemment pour atteindre les jeunes qui restent insensibles à nos interventions», a-t-il plaidé. 

La cyberintimidation constitue un autre visage préoccupant de la violence. Celle-ci s'est déplacée de la cour d'école vers l'univers virtuel, avec une banalisation inquiétante du transfert d'images et de sextos. Le SPVM envisage de créer un poste de patrouille virtuelle pour surveiller cet «angle mort devenu un fléau».  

François Bowen y a toutefois vu un moyen pour s’adresser aux parents, puisque la cyberintimidation relève des habitudes de vie à l'extérieur de l'école. Diana Miconi a cependant mentionné que la cyberintimidation «n'est pas un monde à part, mais est liée à la violence quotidienne». Isabelle Ouellet-Morin a insisté pour sa part sur ses effets à long terme. «Ce n'est pas juste un problème transitoire de jeunes, c'est une expérience difficile dont les conséquences vont durer longtemps, parfois tout au long de la vie», a-t-elle soutenu. 

Le défi de la concertation

Si les outils et les connaissances scientifiques existent, leur mise en œuvre demeure problématique. «On a de meilleures connaissances scientifiques et d'intervention, de meilleurs outils. Le défi, c'est de mettre en place ces éléments pour prévenir et réduire la violence», a résumé François Bowen. Il a fait observer qu'il existe un cadre juridique, politique, scientifique et des pratiques pédagogiques, «mais y arriver de façon concertée, c'est le principal défi». 

Son collègue Éric Morissette et lui travaillent en collaboration avec les milieux scolaires. Leur approche a révélé que la violence verbale dérange particulièrement les intervenants – personnels enseignant et non enseignant –, qui se sentent impuissants face à elle. Cette collaboration a mené à la création d'une charte de la communication positive et bienveillante, qui a notamment été appliquée à l'école secondaire Jacques-Casault, à Montmagny. Cette charte comprenait la mise en place de pairs influenceurs à partir de suggestions venant du milieu. Un outil que d'autres écoles peuvent adapter à leur contexte. 

 

Des pistes prometteuses 

Pour sa part, Isabelle Ouellet-Morin a dit miser sur les données pour guider l'action. «Si j'avais une baguette magique, je créerais des systèmes apprenants avec des données dynamiques dans le temps pour mesurer et s'adapter», a-t-elle affirmé. L'université pourrait, selon elle, être «l'architecte de la réception des données» grâce à ses installations et son indépendance intellectuelle. François Bowen a ajouté qu’au-delà du partage de données «il faut créer davantage de partenariats pour accompagner les écoles, avec une vision unifiée rassemblant tous les acteurs». 

Parmi les outils qui ont conduit à des résultats intéressants, les panélistes ont cité le projet +Fort Ensemble, qui offre une formation en ligne gratuite en cinq modules interactifs, accessible sur le site de la FSE.  

«Les outils les plus utilisés sont ceux qui augmentent le sentiment de compétence face aux situations de violence, a soutenu Isabelle Ouellet-Morin. Ce sont des interventions vivantes qu’il faut évaluer constamment, ce n’est jamais terminé!» 

Lorsqu’il dirigeait le Service de police de Longueuil, Fady Dagher a expérimenté une approche qui se poursuit depuis sept ans: réunir dans une même salle les parents d'un agresseur et ceux d'une victime. «C'est très dur, a-t-il reconnu, mais le bilan est positif. On dit la vérité avec le consentement des deux parties et cette approche a permis d'empêcher les récidives et de créer une solidarité entre les parents.» Des psychologues accompagnent les familles avant, pendant et après ces moments éprouvants. 

Dans la même veine, Diana Miconi a mis en lumière l'importance d'ouvrir des espaces d'expression dans les écoles, malgré l'inconfort. «Face à la banalisation de la violence chez certains jeunes, il faut risquer le dialogue», a-t-elle déclaré.  

Son équipe accompagne d’ailleurs les milieux scolaires pour créer des espaces où le respect est présent, mais où chacun peut exprimer des idées qui dérangent. «Dans une démocratie, on ne cherche pas le consensus, on a le droit de penser quelque chose qui dérange les autres, a poursuivi la professeure. À travers cette démarche, les jeunes apprennent à respecter différents points de vue: ils ne sont pas toujours d'accord, c’est souvent inconfortable, mais ils apprennent à comprendre et ils ont moins peur.» 

Au final, les panélistes se sont entendus sur un point essentiel: la solution passe par une vision à moyen et long terme qui ne mise pas d'emblée sur une approche sécuritaire.  

«En prévention primaire, on devrait éviter l'approche sécuritaire avec la police, ça ne marche pas, a conclu Diana Miconi. Il faut gérer les situations avant d'appeler la police. Ce sont des adolescents! Il y a une souffrance derrière ces gestes et il faut prendre le temps de découvrir ce qu'il y a de sous-jacent.» 

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