Les coulisses fascinantes du septième art à travers 100 objets emblématiques
- UdeMNouvelles
Le 4 avril 2024
- Virginie Soffer
Louis Pelletier présente l’ouvrage «Histoires d’appareils: la technologie du cinéma à travers les années et les continents».
Le projecteur Vitak 11 mm, les Bolex H16 de Rose Lowder, la colleuse Smith pour le montage des bandes vidéos 2 po ou la caméra vidéo Sony AVC-3260. Derrière chacun de ces objets techniques se cache une histoire fascinante. Elle est racontée par des archivistes et des experts du monde du cinéma dans le livre Histoires d’appareils: la technologie du cinéma à travers les années et les continents = Tales from the Vaults: Film Technology over the Years and across Continents.
Par la présentation de 100 objets, l’histoire du cinéma défile sous nos yeux. Nous découvrons, par exemple, comment Méliès est devenu le maître des effets spéciaux grâce à sa caméra. Nous discernons aussi en arrière-plan comment les appareils de cinéma ont été utilisés à des fins politiques. Ainsi, la banale caméra d'Abraham Zapruder prend une importance extraordinaire lorsque, le 22 novembre 1963, elle immortalise l'assassinat du président John F. Kennedy et devient une pièce à conviction enregistrée par le FBI.
Ce bel ouvrage bilingue préfacé par le cinéaste Christopher Nolan et par André Gaudreault, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, a été codirigé par Louis Pelletier et Rachael Stoeltje.
Nous avons donné la parole à Louis Pelletier, chargé de cours au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques et professionnel de recherche au Laboratoire CinéMédias de l’UdeM.
Pourquoi ce livre?
L’idée que le cinéma a un passé et que celui-ci mérite d’être conservé est maintenant bien établie. Des centaines de cinémathèques et de services d’archives se consacrent aujourd’hui à la préservation du patrimoine cinématographique. Leurs responsables se sont toutefois longtemps concentrés, en raison du manque de ressources et d’espace, sur les films eux-mêmes, au détriment des appareils. Les caméras, projecteurs et autres outils de cinéma obsolètes ayant échappé aux recycleurs de métaux ont longtemps été – au mieux – déposés dans des recoins d’entrepôts, puis oubliés. Or, on ne peut pas prétendre connaître le cinéma si l’on ne comprend pas les objets techniques ayant permis tant la création que la diffusion des films. Ces archives matérielles témoignent par ailleurs d’une fascinante quête sans fin de nouvelles formes d’images et de représentations de même que de la surprenante ingéniosité des personnes les ayant créées. Plusieurs des appareils décrits dans le livre ont ainsi été bricolés à partir de pièces récupérées à gauche et à droite ou encore modifiés longtemps après leur fabrication afin de les adapter à de nouveaux usages.
Comment avez-vous sélectionné ces 100 objets?
Nous avons lancé à travers le réseau de la Fédération internationale des archives du film un appel incitant les cinémathèques et services d’archives à soumettre des propositions quant à des pièces intéressantes de leurs collections. Nous ne voulions pas uniquement couvrir les objets les plus iconiques de l’histoire du cinéma, comme le cinématographe Lumière ou les caméras Mitchell et Technicolor. Ce sont les parcours uniques des appareils conservés qui nous intéressaient de même que les diverses pratiques souvent oubliées qu’ils permettaient. Nous avons reçu près de 200 soumissions traitant de cinéma de fiction, mais aussi d’animation, de cinéma scientifique, documentaire ou amateur. Nous avons ensuite retenu les 100 propositions se complétant le mieux en termes d’époques, de pratiques et de territoires représentés. Plusieurs des appareils choisis sont en apparence anodins, tels des projecteurs et caméras de formats réduits, des boîtes de transport, etc., mais ils ont une grande importance dans leur contexte local ou national. On y trouve par exemple un exemplaire d’une modeste caméra 16 mm de fabrication ukrainienne ayant permis le tournage des premières actualités du Mozambique indépendant.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire d’un appareil qui vous a particulièrement marqué?
Je m’intéresse entre autres aux dispositifs négligés ou invisibles, comme les obturateurs, qui sont au cœur de presque tous les appareils de cinéma fabriqués depuis le 19e siècle. Ces obturateurs masquent la pellicule entre les moments où chacune des 24 – ou 16, 32, 40… – images défile à chaque seconde dans la caméra ou le projecteur et ils modulent ainsi le scintillement distinguant le cinéma de la vidéo, de la télévision ou des médias numériques. Les récits sur le cinéma affirment souvent que cette composante essentielle avait atteint sa forme définitive en 1903, soit moins d’une dizaine d’années après l’invention du cinéma. Or, les travaux de Guy Edmonds démontrent que les recherches sur ce dispositif se sont poursuivies beaucoup plus longtemps. Guy Edmonds a ainsi soumis une entrée portant sur un obturateur breveté en 1916 par un projectionniste, William Branson, et devant produire une image plus lumineuse et moins scintillante en raison de ses pales asymétriques et translucides. Ces recherches autour du scintillement et de la luminosité de l’image peuvent sembler complètement d’une autre époque. Notre laboratoire a toutefois eu la chance de collaborer avec Douglas Trumbull qui, en plus d’avoir travaillé sur les effets spéciaux de 2001, L’odyssée de l’espace et sur ceux de Star Trek, le film, a longuement réfléchi à la question du cinéma immersif. Il s’est notamment prononcé sur la question du high frame rate, c’est-à-dire la présentation de films à plus de 24 images par seconde, ayant causé bien des débats chez les cinéphiles du 21e siècle en soutenant que des films à 60 ou 120 images par seconde pouvaient conserver leur aspect cinématographique s’ils étaient présentés avec un projecteur faisant usage d’un des dispositifs oubliés présentés dans notre livre, l’obturateur.
À propos de ce livre
Louis Pelletier et Rachael Stoeltje (dir.), Histoires d’appareils: la technologie du cinéma à travers les années et les continents = Tales from the Vaults: Film Technology over the Years and across Continents, FIAF/Technès, 2023, 327 p.