Que peut le droit pour l’indemnisation des victimes de marée noire en Afrique?

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Les mécanismes internationaux mis en place pour indemniser les victimes de marées noires en Afrique sont souvent insuffisants et inadaptés aux réalités africaines.

Raymond Tchassem Nzalé

Raymond Tchassem Nzalé

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En 2016, le déraillement au Cameroun d’un train affrété par une filiale d’une grande multinationale française fait plus de 50 morts et au-delà de 500 blessés. La manière dont ce tragique accident ferroviaire a été géré a marqué Raymond Tchassem Nzale, doctorant en droit à l’Université de Montréal sous la direction des professeurs de la Faculté de droit Hugo Tremblay et Guy Lefebvre. «J'ai eu le sentiment que les victimes n'étaient pas, bon gré mal gré, suffisamment protégées, notamment par le gouvernement local, dont la mission foncière est pourtant de veiller sur ses concitoyens», déplore-t-il. Et si une marée noire résultant d’une opération internationale de transport maritime d’hydrocarbures se produisait dans un pays africain, qu’adviendrait-il? s’est demandé le doctorant. Alors que l’espace maritime africain peut apparaître comme le théâtre d’affrontements à peine voilés de la part de grandes puissances ou compagnies étrangères, quelles indemnisations des victimes seraient envisageables?  

Les résultats des travaux de Raymond Tchassem Nzale sont présentés à l’occasion du 91e Congrès de l’Acfas.  

Des fonds prévus pour les victimes de marées noires

En vertu de la Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, adoptée par l’Organisation maritime internationale (OMI) des Nations unies, les propriétaires de navires sont, de plein droit, responsables des dommages liés à la pollution causée par les hydrocarbures qu’ils transportent. Ils doivent de ce fait indemniser les victimes de marées noires en premier ressort.  

L'OMI a également créé les Fonds internationaux d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, financés par les propriétaires de cargaisons établis sur les territoires de leurs États membres respectifs. Il s’agit, d’une part, du Fonds de 1992 et, d’autre part, du Fonds complémentaire de 2003, né des insuffisances du Fonds de 1992. Ces fonds agissent en cas d’absence de réparation imposable au propriétaire du navire pollueur ou lorsque ces mécanismes de réparation sont inefficaces. «Les États et les Fonds sont tenus de s'assurer que les victimes perçoivent une indemnisation intégrale des préjudices qu'elles ont subis. Les conventions internationales prévoient également le principe de la coopération obligatoire entre les États», explique Raymond Tchassem Nzale.  

Des limites à l’indemnisation

L'Organisation maritime internationale fixe le principe de la réparation intégrale, mais elle offre également aux investisseurs la possibilité de limiter leur responsabilité jusqu'à un certain plafond. De la sorte, si un propriétaire de navire a souscrit une garantie de limitation de responsabilité et que les dommages sont supérieurs à la limite que les Fonds internationaux d'indemnisation sont censés payer, les conventions afférentes disent tout simplement qu’on répartit les sommes disponibles équitablement entre les victimes. Cela est problématique, mentionne Raymond Tchassem Nzale: «Par exemple, s’il y a 10 victimes et que chacune a droit à 10 000 $, mais qu’il n'y a que 80 000 $, elles ne pourront pas recevoir chacune 10 000 $. La somme sera répartie de façon proportionnelle entre les différentes victimes, ce qui pose un problème au regard même de la réparation intégrale.» 

De surcroît, chaque État a ses propres procédures, ce qui entraîne une inégalité de traitement entre les victimes. Les règles peuvent être moins favorables dans certains pays par rapport à d'autres, ce qui crée des disparités dans l'indemnisation des victimes. En principe, lorsqu'une catastrophe survient, les victimes sur le territoire concerné entament des démarches d'indemnisation auprès des autorités judiciaires locales compétentes. Si elles ne sont pas satisfaites de l'indemnisation offerte par ces États sur le fondement de la convention de 1992 sur la responsabilité civile du propriétaire du navire, elles peuvent alors solliciter les Fonds internationaux d'indemnisation pour compléter leur réparation.  

Les victimes peuvent aussi directement saisir le Fonds de 1992. Ce dernier sera alors tenu de payer l’intégralité des réparations dues conformément aux plafonds légaux fixés, y compris la part payable par le propriétaire du navire pollueur. Quelle que soit l’option choisie, si les ressources indemnitaires disponibles s'avèrent insuffisantes malgré l’intervention des Fonds, les victimes se retrouvent sans recours supplémentaire. 

L’inopérabilité du droit international de la responsabilisation des marées noires en Afrique

Bien que le problème des marées noires soit mondial, il se présente différemment dans les pays en développement, particulièrement en Afrique, pour plusieurs raisons. D’une part, les lois régissant la responsabilité en cas de marées noires ne correspondent pas aux réalités africaines. «Ces conventions ont été adoptées juste après la décolonisation de l'Afrique et les modifications ultérieures ont eu lieu durant la guerre froide, période où la voix de l'Afrique était souvent ignorée dans les forums internationaux», observe Raymond Tchassem Nzale. De ce fait, ces conventions, d'origine occidentale, ne prennent pas suffisamment en compte les contextes sociaux, économiques et politiques africains, bien qu'elles aient une portée universelle. 

En outre, la plupart des États africains sont économiquement dépendants des multinationales étrangères, notamment dans le secteur maritime. Bon nombre d’États africains, confrontés à des difficultés sociales et économiques élémentaires, ne se trouvent pas dans un contexte favorable à la prise en considération des préoccupations environnementales contemporaines et au respect rigoureux des droits de la personne. Par exemple, le Liberia serait devenu le premier pavillon de complaisance au monde en 2022, alors que la majorité de ses navires appartiennent, en réalité, à des entreprises étrangères. En cas de marée noire causée par un navire appartenant à une grande puissance étrangère, il est peu probable que les victimes seraient indemnisées conformément aux exigences conventionnelles.  

Au demeurant, «les mécanismes actuels du droit international ne semblent pas suffisamment efficaces pour contraindre ces puissances à respecter leurs obligations en matière d'indemnisation. Par conséquent, en dehors des théories traditionnelles du droit international souvent apprises, le régime actuel de responsabilité des marées noires ne fonctionne pas de la même manière partout. Si l’on veut trouver des solutions, il faudrait d’ores et déjà admettre l’incapacité du droit à régler tout seul le problème et prendre en compte une perspective interdisciplinaire en ajoutant des composantes économiques, géopolitiques et sociologiques», conclut Raymond Tchassem Nzale. 

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