Jouer à des jeux vidéos pour prévenir les violences sexistes et sexuelles

Images du haut: extraits de «Freshman Year»; images du bas: extraits de «Decisions That Matter».

Images du haut: extraits de «Freshman Year»; images du bas: extraits de «Decisions That Matter».

Crédit : Courtoisie

En 5 secondes

Des jeux vidéos engagés qui abordent le consentement, l’intimité et les violences sexistes et sexuelles sont à découvrir dans une nouvelle exposition à la BLSH du 24 mars au 1er avril.

Lorsqu'on songe aux jeux vidéos, on a tendance à les associer à la violence. Et quand la sexualité y est présente, on l'associe fréquemment à des représentations violentes ou problématiques. Pourtant, il existe certains jeux vidéos qui abordent avec subtilité et intelligence des sujets liés au genre ou à l'intimité, contribuant ainsi à la prévention des violences sexistes et sexuelles. 

À l’occasion de la Triennale recherche-création de l’Université de Montréal, une exposition inédite à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines (BLSH), organisée par Caroline Bem, professeure adjointe au Département de littératures et de langues du monde de l’UdeM, met en lumière des jeux engagés ayant trait à des questions de harcèlement et de vécu difficile en lien avec les violences de genre. Du 24 mars au 1er avril, les visiteurs pourront venir jouer à une dizaine de ces jeux présentés sur différents supports (ordinateurs, portables, tablettes).  

L'exposition s'accompagne d'un évènement de création de jeux vidéos et d'une journée d'étude sur ces enjeux

Le jeu vidéo comme outil de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles

Caroline Bem

Caroline Bem

Crédit : Courtoisie

«En 2017, l’industrie du jeu vidéo a surpassé tous les autres médias de divertissement en termes de consommation mondiale», dit Caroline Bem. Ce succès en fait un levier puissant comme plateforme pour sensibiliser les jeunes aux violences sexistes et sexuelles, notamment les jeunes hommes, qui constituent une cible prioritaire des campagnes de prévention. 

Certains jeux ont ainsi été conçus dans le cadre de campagnes gouvernementales et non gouvernementales de prévention des violences à caractère sexiste et sexuel ou de projets de recherche universitaire. Mais pas exclusivement. Il existe également des créations indépendantes, disponibles sur des plateformes comme itch.io. «Sur cette plateforme, des anonymes qui ont un statut de développeurs amateurs conçoivent des jeux avec des méthodes très simples: cela va par exemple donner des jeux textuels, très courts», explique Caroline Bem. 

Cependant, la professeure souligne un défi: «Les jeux auxquels le public cible a l'habitude de jouer sont des jeux hautement sophistiqués sur le plan technologique, rapides et souvent violents. Il est peut-être illusoire de penser que leur présenter de petits jeux amateurs avec une esthétique très do it yourself va les toucher.» 

Se mettre à la place de quelqu’un de manière viscérale

«Le jeu vidéo permet de se mettre à la place de quelqu'un de façon particulièrement viscérale», déclare Caroline Bem. La professeure de littérature ajoute: «On ne va pas dire que la lecture ne nous amène pas ailleurs. Bien au contraire! Elle prédispose à l'empathie. Quand je lis Dostoïevski, j’entre dans la peau de ses personnages.»  

Mais elle admet qu’aujourd’hui une grande partie des jeunes vont préférer jouer à des jeux vidéos plutôt que de se plonger dans la lecture de longs romans. «Le support vidéoludique offre la possibilité de nous rapprocher de destins, de situations qui ne sont pas les nôtres et de nous les faire connaître de l'intérieur», indique-t-elle. 

Le jeu vidéo, un espace où l’on peut pleinement choisir d’agir

Le jeu vidéo, par sa nature interactive, repose sur une structure en bifurcation où chaque joueuse ou joueur est constamment confronté à une série de choix. Ces décisions se situent à plusieurs niveaux: du côté des créateurs, qui imaginent les possibilités narratives, et du côté des joueurs, qui orientent leur expérience en fonction des options qui leur sont offertes. «Cette mécanique intrinsèque du jeu vidéo favorise la réflexion éthique: il permet d’expérimenter des situations où l'on peut avoir une influence non seulement sur son propre comportement, mais aussi sur celui des autres», fait observer Caroline Bem. 

Des jeux vidéos peuvent ainsi permettre d’appliquer les stratégies d’intervention qu’un témoin de préjudice sexuel utiliserait: distraire l’auteur de l’agression, dénoncer son comportement, demander de l’aide, apporter du soutien à la personne concernée. «C’est ce que proposent par exemple Mary Flanagan et son équipe dans le jeu Ship Happens, qui est basé sur une recherche scientifique approfondie sur le sujet et qui représente l’un des outils les plus aboutis du genre à ce jour», affirme Caroline Bem. Ce jeu pourra être vu pour la première fois à l’occasion de cette exposition. 

Jouer à des jeux d’empathie

«La femme qui ne supportait pas les ordinateurs...»

Le jeu «La femme qui ne supportait pas les ordinateurs...» nous plonge dans une expérience de harcèlement en ligne.

Crédit : Courtoisie

Parmi les jeux présentés à la BLSH, beaucoup encouragent le joueur ou la joueuse à se mettre à la place d’autrui pour développer son empathie. Ainsi, La femme qui ne supportait pas les ordinateurs... nous plonge dans une expérience de harcèlement en ligne. Le jeu met en scène une développeuse victime de comportements hostiles de la part d’hommes en ligne sur des forums de discussion, et même de l’ordinateur lui-même, qui va vouloir essayer d’être le seul prétendant! Ce jeu a été écrit par une femme, Chine Lanzmann, il y a presque 40 ans, en 1986. Grâce au travail d’un technicien qui a transféré ce jeu sur un ordinateur actuel, il sera possible d’y jouer à la BLSH. 

On pourra aussi avoir accès à des jeux plus récents comme Another Lost Phone: Laura’s Story, conçu en 2017 par le studio français Accidental Queens. Au centre de ce jeu, qui se joue sur un téléphone intelligent, il y a un téléphone perdu qu’on vient de trouver. La mission du joueur ou de la joueuse est de rendre le téléphone à sa propriétaire. Mais en naviguant à l'intérieur du téléphone, on se rend compte que cette personne vivait de la violence conjugale, comment faire alors pour l’aider? 

Créer des jeux vidéos qui traitent du consentement

En parallèle de l'exposition, un atelier de création de jeux, du 28 au 30 mars, sera ouvert à tous, y compris aux personnes qui n’ont aucune formation en développement. Il permettra de réfléchir à des thèmes tels que les relations intimes, les vécus liés au genre et la prévention des violences sexuelles. 

Pour celles et ceux qui ne pourraient y participer, une journée d’étude sur l’intimité et les jeux vidéos proposera le 27 mars un atelier plus court, d’une durée de deux heures, animé par Kenzie Gordon, travailleuse sociale et doctorante à l’Université de l’Alberta, qui travaille sur l'influence des jeux vidéos dans la lutte contre les violences sexuelles et de genre. Son atelier, centré sur la conception de jeux abordant la question du consentement, se déroulera sans recours à la technologie, uniquement avec du papier, des crayons et une approche basée sur l’imagination et la conceptualisation. 

Informations pratiques

Exposition 
Du 24 mars au 1er avril
Au 3e étage de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines (BLSH) 

Journée d’étude «Intimité, sexualité et jeux vidéos» 
Le 27 mars de 9 h à 17 h
Amphithéâtre de la BLSH (local 2078) 
Sur inscription  

Atelier de création de jeux vidéos 
Du 28 au 30 mars, de 8 h à 20 h
Au Carrefour interculturel et interdisciplinaire (local C-8056 du Département de littératures et de langues du monde)  
Sur inscription  

Cocktail de clôture de l’exposition  
Le 1er avril de 17 h à 21 h
Local 3091 de la BLSH 

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