Les abeilles comme bio-indicateurs: les canaris dans la mine

Jouant un rôle central dans l’écosystème, les abeilles sont un véritable bio-indicateur.

Jouant un rôle central dans l’écosystème, les abeilles sont un véritable bio-indicateur.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Une étude se penche sur les effets de la pollution de l’air sur la survie des abeilles pollinisatrices.

Incapables de se fier uniquement aux insectes sauvages pour polliniser leurs champs, les agriculteurs ont de plus en plus recours aux services des abeilles pollinisatrices. Mais les abeilles domestiques, comme leurs comparses sauvages, subissent les contrecoups des changements climatiques, notamment la multiplication des feux de forêt destructeurs.

En 2023, où la saison des incendies de forêt a été sans précédent au Canada comme aux États-Unis, la professeure Liliana Perez, du Département de géographie de l’Université de Montréal, s’est demandé quelles conséquences la pollution de l’air engendrée par ces feux aurait sur les ruches. «La littérature indique que, lorsque la qualité de l’air est mauvaise, les abeilles sont plus désorientées et ont plus de difficulté à trouver les sources de pollen, et leurs temps de déplacement sont plus longs», dit-elle. Les polluants obstruent la lumière du soleil et perturbent la diffusion des phéromones que les abeilles utilisent pour s’orienter.

Jouant un rôle central dans l’écosystème, les abeilles sont un véritable bio-indicateur. Liliana Perez et son équipe ont donc décidé de concevoir un indicateur propre aux abeilles pour mesurer les répercussions de la mauvaise qualité de l’air sur leur survie. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans la revue Communications Earth & Environnement (une des revues du portfolio de la prestigieuse revue Nature). 

Extraire les données pour les faire parler

Liliana Perez

Liliana Perez

Crédit : Courtoisie

Or, la tâche n’était pas simple. «Les données spécifiques sur les abeilles n’existent pas», note Liliana Perez. Les scientifiques ont donc recouru aux données de diverses sources, de l’indice de la qualité de l’air (pour les humains) aux concentrations moyennes d’ozone en passant par l’indice de végétation, la température et les précipitations journalières, la direction et la vélocité des vents de même que la pression atmosphérique. «Nous voulions déterminer quelles variables influaient davantage sur les comportements des abeilles», ajoute la chercheuse.

L’équipe a ensuite fait des analyses statistiques et utilisé un algorithme d’apprentissage automatique existant pour prédire la survie des abeilles et les facteurs déterminants de leur survie. Les analyses ont confirmé que plus la qualité de l’air baissait, plus la survie des abeilles diminuait. 

Outil d’aide à la décision

Carte du risque de mortalité des abeilles pour 2024 au Canada et aux États-Unis

Crédit : Courtoisie

Les résultats ont été transposés sur une carte du risque de mortalité. «L’idée est de renseigner les apiculteurs qui font de la pollinisation par contrat, pour qu’ils évitent de sortir leurs ruches durant des feux de forêt», explique Liliana Perez.

La carte montre des conséquences particulièrement importantes en Californie, où la plupart des cultures bénéficient des services de pollinisation. «Si l’on fait appel à des services de pollinisation malgré la mauvaise qualité de l’air, non seulement les résultats ne seront pas ceux escomptés pour les producteurs, mais les apiculteurs auront plus de mortalité dans leurs ruches», résume-t-elle.

Les apiculteurs sont aussi encouragés à déplacer leurs ruches dans des aires où la canopée est plus riche durant des feux de forêt. «Ça permet aux abeilles de sortir de façon plus sécuritaire, dans un endroit contrôlé. Les ruches gardées dans ces lieux seront plus résilientes», estime la chercheuse. 

Les apiculteurs auront de plus en plus de décisions difficiles à prendre, entre la possibilité d’accepter un contrat au risque de nuire à leur cheptel et perdre un engagement payant, mais garder leurs abeilles pour qu’elles puissent travailler plus tard. «C’est une question de gestion durable. Il faut faire des compromis et prendre ces effets en considération», conclut-elle.

De l’importance de la diversité des habitats

La question de la gestion durable des ruches est une question centrale dans les recherches de Liliana Perez. Dans d’autres travaux menés en collaboration avec IVADO – l’institut de recherche et de transfert en intelligence artificielle – et dont les résultats ont été récemment publiés, la chercheuse et des membres de son laboratoire de géostimulation environnementale (LEGDE) ont comparé les différentes variables altérant la survie des abeilles qui offrent un service écosystémique de pollinisation des cultures au Québec.

Après avoir récolté des données provenant de près de 18 000 ruches, l’équipe de recherche a noté l’importance de diversifier les habitats visités par les ruches. «C’est une des choses essentielles pour assurer la survie à long terme des ruches», affirme Liliana Perez. Par exemple, les abeilles qui passaient trop de temps dans les cultures de canneberge, surtout après la période de floraison, vivaient moins longtemps. «Si l’on demande aux abeilles de polliniser, mais qu'il n’y a pas de floraison, elles vont faire leur travail, mais elles ne peuvent pas se nourrir», constate-t-elle.

La clé? Combiner les habitats. Parce que, si elle a absolument besoin des services des abeilles, la monoculture ne favorise pas à long terme leur survie. «Les abeilles qui travaillent dans des cultures de maïs et de canola, puis dans des champs de bleuets avaient le meilleur taux de survie», souligne-t-elle.

À propos de ces études

L’article «Poor air quality raises mortality in honey bees, a concern for all pollinators», par Liliana Perez et ses collègues, a été publié dans la revue Communication Earth & Environment. 

L’article «Assessing foraging landscape quality in Quebec's commercial beekeeping through remote sensing, machine learning, and survival analysis», par Liliana Perez et ses collègues, a été publié dans le Journal of Environmental Management.

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