Surdicécité: quand la somme est différente des parties
- UdeMNouvelles
Le 9 juin 2025
- Catherine Couturier
Un article fait le bilan d’un vaste travail international sous la direction scientifique du professeur Walter Wittich, qui visait à définir les critères biopsychosociaux de la surdicécité.
Qu’est-ce que la surdicécité? Plus que l’addition de deux handicaps, la surdicécité crée des défis bien particuliers, puisque la perte d’un des sens est difficilement compensée par un autre. Sa définition variant grandement dans le monde, sa reconnaissance et l’offre de services sont par conséquent à géométrie variable. «Le Québec offre des services de réadaptation spécifiquement pour la surdicécité, alors que, dans certains pays, ce handicap n’est pas du tout reconnu et que le fardeau reste sur la famille», mentionne Walter Wittich, professeur à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal.
L’idée de faire reconnaître la surdicécité comme une déficience unique est née en Europe, sous l’impulsion d’un politicien et père d’une enfant sourde-aveugle. «Dans ses efforts pour trouver des services de santé pour sa fille, il a constaté les difficultés que cela posait d’avoir les services d’un côté pour la vision et de l’autre pour l’audition. Il était temps qu’on en discute sur les scènes politique et internationale», raconte-t-il.
Déterminer des codes
En 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a créé la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, un système de critères qui permet d’harmoniser la compréhension des maladies, mais surtout de définir la façon dont une condition nuit au fonctionnement d’un individu chez lui comme dans la société. «C’est un modèle biopsychosocial qui encadre la façon de penser une maladie, au-delà d’un traitement médical», explique le professeur.
Cette classification comprend plus de 1400 codes qui dépeignent chaque aspect fonctionnel possible pour un être humain. «En théorie, on peut utiliser ce type de codage pour décrire une personne, mais on peut aussi regrouper les codes spécifiques à une maladie», précise-t-il. Au-delà de la barrière de la langue et de la culture, ces codes facilitent la reconnaissance des défis que pose un handicap grâce au langage commun qui est ainsi instauré. «Je peux facilement collaborer avec des gens de partout parce qu’on utilise les mêmes codes», affirme-t-il. C’est donc à la définition de cette batterie de codes prioritaires pour la surdicécité qu’une équipe de recherche multidisciplinaire internationale s’est attelée, sous la direction scientifique de Walter Wittich. Le bilan de l’expérience a été publié dans le British Journal of Visual Impairment.
Un processus en quatre temps
Le processus de définition, encadré par l’OMS, comprend quatre étapes. Après une revue de la littérature pour relever les priorités de la recherche, les scientifiques procèdent à des entrevues avec des personnes sourdes-aveugles de même qu’à un sondage auprès des professionnels travaillant avec ces personnes (de l’ophtalmologiste aux infirmières en passant par les interprètes). La dernière partie ingère la vision clinique en examinant les situations d’évaluation de services. «Dans chaque phase, nous avions besoin d’avoir la représentation de toutes les régions du monde. C’est un travail inimaginable», souligne Walter Wittich.
Tous les codes retenus ont ensuite été présentés au cours d’une conférence de consensus qui a eu lieu en octobre 2024 en Espagne. Après quatre ans de travail, trois listes ont été établies. La liste longue (218 codes) couvre les aspects utiles sur les plans administratif, juridique, etc. «Elle est par exemple employée pour justifier les services qui sont payés par une assurance maladie ou couverts par un ministère de la Santé», indique-t-il. La liste moyenne comprend les codes importants pour la communication clinique interprofessionnelle, tandis que la liste courte (33 codes) contient les choses essentielles à prendre en compte dans un contexte individuel en clinique.
Continuer, malgré les défis
Alors que cette première aventure se termine, le professeur Wittich entame maintenant le même exercice pour les enfants et les jeunes affectés par la surdicécité: «Les causes et les conséquences de la surdicécité sont très différentes chez les enfants et chez les personnes qui ont une surdicécité acquise. Il est donc pertinent d’élaborer une batterie de codes pour eux», estime-t-il. Le processus sera repris pour les personnes qui s’expriment en langue des signes, puis pour les gens de 60 ans et plus.
Le chercheur souhaite que les perspectives uniques des personnes sourdes-aveugles soient (enfin) prises en considération. «Les personnes sourdes-aveugles sont pour plusieurs raisons sous-représentées en recherche», note-t-il. La communication est d’abord complexifiée, car plusieurs n’ont pas appris à lire ou à écrire et que les interprètes sont assez rares. Les personnes sourdes-aveugles doivent aussi souvent se battre pour faire partie de groupes de recherche et qu’on ne décide pas à leur place. «J’ai d’ailleurs dû bâtir une relation de confiance avec les personnes sourdes-aveugles de mon équipe», remarque-t-il. Cet exercice international permettra d’offrir des services réellement adaptés à leurs besoins.
À propos de ces études
L’article «The WHO ICF comprehensive Core Set for deafblindness: A narrative overview of the development process», par Walter Wittich et son étudiante, a été publié dans le British Journal of Visual Impairment.
L’article «Development of the International Classification of Functioning, Disability and Health Core Sets for children and youth with deafblindness: Protocol for a multistudy collaboration across regions of WHO», par Walter Wittich et son étudiante, est paru dans la revue BMJ Open.