Des métaux rares convoités, mais aux effets mal connus sur le plan environnemental
- UdeMNouvelles
Le 17 juin 2025
- Martin LaSalle
Une étude réalisée par une équipe de recherche de l’UdeM révèle que les métaux de technologie moderne entrent en compétition dans les organismes aquatiques, ce qui atténue leurs effets biologiques.
Lanthane, cérium, yttrium… Ces noms aux consonances mystérieuses désignent des métaux des terres rares devenus stratégiques dans un monde hyperconnecté: ils sont présents dans nos téléphones cellulaires, nos éoliennes et nos voitures électriques et ils sont au cœur d'une guerre commerciale sino-américaine.
Mais au-delà des tensions politiques internationales, des scientifiques s'inquiètent: que savons-nous vraiment des conséquences de l’extraction de ces métaux des terres rares sur l’environnement?
C'est ce que cherche à élucider Kevin Wilkinson, professeur au Département de chimie de l'Université de Montréal. Avec ses étudiantes Laurianne Pagé et Marie-Hélène Brunet, il vient de publier une étude qui s’intéresse aux interactions complexes entre ces métaux et les organismes aquatiques.
Leurs résultats, publiés dans la revue Environmental Pollution, révèlent des mécanismes qui pourraient changer la façon d'évaluer les risques environnementaux.
Une géopolitique des métaux rares qui s'invite au laboratoire
«Le lanthane, le cérium et l'yttrium sont des métaux que Donald Trump convoite, dit d'emblée le professeur Wilkinson. La Chine contrôle près de 80 % de la production mondiale de ces terres rares et a récemment annulé ses exportations vers les États-Unis, ce qui a poussé l'Amérique du Nord à reconsidérer ses propres sources, notamment au Canada.»
Dans les Territoires du Nord-Ouest, près de Yellowknife, la mine Nechalacho représente l'un des projets les plus avancés d’extraction, tandis que d’autres gisements ont été repérés au Québec.
Réalisée en collaboration avec Environnement et Changement climatique Canada, l’étude menée par l'équipe montréalaise s'est concentrée sur ces trois métaux et leurs interactions avec Chlamydomonas reinhardtii, une algue microscopique qui sert de modèle pour comprendre les mécanismes d'absorption des métaux par les organismes vivants.
«Cette algue est utilisée dans notre laboratoire depuis plus de 20 ans, explique Kevin Wilkinson. C'est l'une des premières algues dont le génome a été entièrement décrypté, ce qui nous permet de comprendre ses mécanismes moléculaires quand elle est exposée aux métaux.»
Une compétition avantageuse pour l’environnement
Les résultats obtenus en laboratoire ont révélé un phénomène contrintuitif: la présence simultanée de plusieurs métaux rares ne multiplie pas leur bioaccumulation lorsqu’ils sont en contact avec Chlamydomonas reinhardtii. Au contraire, ils entrent en compétition pour leur prise en charge par les cellules de l’algue, réduisant mutuellement leur absorption.
«On ne s'attend pas à ce que la toxicité soit liée à la somme des métaux, soutient le professeur de chimie. Il y a un effet bénéfique associé aux mélanges de ces métaux, plutôt qu’un effet additif. Le pire aurait été que deux contaminants aient la somme des effets sur l'organisme, ce qui n'est pas le cas ici.»
L'eau dure, un bouclier naturel pour certaines régions
L'équipe a également découvert que les ions présents naturellement dans l'eau, comme le calcium et le magnésium qui déterminent sa «dureté», offrent une protection contre l'absorption de ces métaux stratégiques.
Les expériences ont montré que même des concentrations modérées de calcium peuvent réduire de façon marquée l'absorption de ces métaux par les organismes. Dans les environnements naturels près des mines, où les rapports entre calcium et métaux rares peuvent atteindre de 10 000 à 100 000 pour 1, cet effet protecteur devient crucial.
«Or, au Québec, nos eaux douces contiennent peu de calcium et de magnésium et possèdent donc un effet protecteur moindre. C’est ce qu’on a vu dans le passé quand la province a été plus touchée par les pluies acides que les États-Unis», rappelle le chercheur.
Ainsi, avec l’extraction de métaux rares sur leur territoire, les régions aux eaux douces comme le Québec et la Scandinavie sont plus vulnérables aux risques de pollution par ces métaux que celles où les eaux sont dures.
Un réseau de recherche pancanadien
Pour extraire les métaux des terres rares, l'industrie broie les roches contenant les minerais – processus qui augmente la surface de contact et permet d'extraire les métaux recherchés, mais qui libère aussi tous les autres éléments présents dans la roche.
Ainsi, les déchets contiennent ces métaux et d'autres types de contaminants et il est possible que leur concentration augmente dans la nature.
Alors que l'exploitation des métaux stratégiques s'intensifie au Canada, le projet mené par Kevin Wilkinson et son équipe s'inscrit dans un effort coordonné de plusieurs équipes canadiennes. Tandis que l'équipe montréalaise étudie les mécanismes d'absorption de ces métaux rares, un groupe en Ontario examine leur toxicité et une équipe québécoise dirigée par le professeur Marc Amyot, du Département de sciences biologiques de l’UdeM, étudie comment ces contaminants remontent la chaîne alimentaire.
«Au laboratoire, nous contrôlons tout, mais sur le terrain, c'est plus difficile, bien que plus réel avec des concentrations plus faibles, reconnaît Kevin Wilkinson. Cette complémentarité entre recherche fondamentale et études de terrain permettra de mieux comprendre les enjeux environnementaux liés à l'exploitation de ces métaux stratégiques.»
Il conclut: «Notre équipe s’affaire actuellement à observer la contamination de ces métaux à la suite des processus de recyclage des produits électroniques, car il n’y a pas de solution miracle: dans un contexte où la transition énergétique nécessite ces métaux pour les technologies vertes, comprendre leur impact environnemental devient crucial pour éviter de résoudre un problème écologique en en créant un autre.»
Au sujet de cette étude
L’article «Competitive interactions among the rare earth metals (lanthanum, cerium, and yttrium) lead to quantitative decreases in biouptake by Chlamydomonas reinhardtii», par Laurianne Pagé, Marie-Hélène Brunet et Kevin Wilkinson, a été publié dans la revue Environmental Pollution.