Rencontre avec Emmanuelle Charpentier, Prix Nobel de chimie

En 5 secondes Emmanuelle Charpentier, Prix Nobel de chimie, raconte son parcours, ses défis et la découverte de CRISPR-Cas9 à l’occasion d’une rencontre inspirante à l’UdeM.
Emmanuelle Charpentier, Yannice Benazzouk et Julia Chastel

Le 21 août, l’Université de Montréal a décerné un doctorat honoris causa à la biologiste française Emmanuelle Charpentier, codécouvreuse de l’outil d’édition génétique CRISPR-Cas9 et colauréate du prix Nobel de chimie en 2020.

Cette remise de doctorat honorifique a été l’occasion pour la biologiste de participer à une conférence au Complexe des sciences du campus MIL au cours de laquelle elle est revenue sur sa formation et son parcours scientifique, ainsi que sur les honneurs qui ont marqué sa carrière. La discussion, animée par Julia Chastel et Yannice Benazzouk, étudiants en sciences biologiques à la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM, s’est déroulée devant une salle comble.

Enquêtrice ou religieuse?

À 15 ans, Emmanuelle Charpentier avait un penchant pour deux orientations surprenantes: détective ou religieuse! Elle n’était pas catholique très pratiquante, mais une tante religieuse l’intriguait. «La vie monastique me fascinait par son côté spirituel, j’aimais l’idée d’être seule, enfermée, à réfléchir», a-t-elle dit. Avec le recul, elle s’aperçoit qu’elle a passé des jours et des jours à réfléchir en s’isolant en faisant de la recherche scientifique.

Quant au métier de détective, elle trouvait qu’il s’apparentait aussi à celui de chercheur. «Nous sommes comme de petits enquêteurs: nous avons des énigmes et nous essayons de les résoudre. Faire de la science, c’est aussi cela: être curieux, poser des questions et tenter d’y répondre», a-t-elle poursuivi.

«Un jour, je travaillerai à l’Institut Pasteur»

Cette curiosité et ce goût de l’enquête ont fini par l’orienter vers la science. Enfant, elle s’intéressait déjà à de nombreux domaines: les arts et les mathématiques, la physique, la chimie, mais aussi la sociologie et la philosophie. C’est finalement la biologie qui s’est imposée.

À 12 ans, elle avait même formulé ce vœu: «Un jour, je travaillerai à l’Institut Pasteur», sans imaginer qu’il se réaliserait et la mènerait encore plus loin. 

Durant ses études universitaires en biologie, elle a passé ses étés dans les laboratoires à découvrir concrètement le métier de chercheuse. Passionnée, elle s’y est rapidement sentie chez elle, «comme à la maison».

«Je me suis vite rendu compte que cela me plaisait beaucoup. Quand je suis arrivée à la maîtrise, à l’Institut Pasteur, j’ai eu l’impression de retrouver ma maison. C’était agréable de travailler entourée d’autres chercheurs. J’ai compris assez tôt que c’était un milieu unique, où l’on pouvait se développer personnellement à long terme, enseigner, apprendre, écrire, présenter, collaborer, assister à des conférences et faire progresser sa carrière dans le but de diriger ses propres recherches et son propre laboratoire», a-t-elle expliqué.

Des obstacles transformés en défis

Quand l’animatrice Julia Chastel lui a demandé à quels obstacles elle s’était heurtée, la chercheuse a souri: «La liste serait longue.» Elle a évoqué des environnements de travail parfois difficiles, des doutes personnels, mais aussi certaines barrières culturelles rencontrées lors de ses années en Allemagne. «Être une scientifique dans un pays étranger, ce n’est pas toujours facile. Mais il faut apprendre à jongler avec les obstacles. Je les classe en petits, moyens, gros… et ce qui m’a toujours aidée a été de me rappeler que je n’étais pas seule. Faire part de ses doutes à ses collègues et ses amis allège la pression», a-t-elle mentionné. Ce rapport pragmatique à l’adversité a nourri sa résilience et lui a permis de canaliser ses différentes frustrations.

La découverte de CRISPR-Cas9

C’est justement une série de frustrations scientifiques qui a conduit à l’aventure de CRISPR-Cas9. Spécialiste de la microbiologie, de la génétique et de la biologie de l’ARN, Emmanuelle Charpentier étudiait des bactéries capables de se défendre contre les virus. C’est en décortiquant leur système immunitaire qu’elle découvre le potentiel de la protéine Cas9, une «paire de ciseaux moléculaires» guidée par l’ARN.

«Ce qui m’a aidée, ce sont les échecs passés, a-t-elle indiqué. Je savais à quel point les chercheurs manquaient d’outils pour manipuler les cellules humaines. Alors, quand on a vu que CRISPR-Cas9 pouvait servir d’outil universel, je me suis dit bingo.»

La technologie CRISPR-Cas9 permet de couper et de modifier l’ADN avec une précision inédite. Ses applications sont innombrables: thérapies géniques, recherche fondamentale, élaboration de biocapteurs en chimie. «Très vite, nous avons vu qu’il ne s’agissait pas seulement d’une découverte “théorique”. C’était un outil que le monde allait s’approprier», a-t-elle fait observer.

Le prix Nobel vu de l’intérieur

En 2020, la découverte est couronnée par le prix Nobel de chimie, partagé avec sa collègue américaine Jennifer Doudna. Une consécration, certes, mais qu’Emmanuelle Charpentier relativise humblement: «Le Nobel, c’est la reconnaissance ultime. Mais ce n’est jamais le travail d’une seule personne. C’est une découverte qui a pu avoir lieu grâce à des recherches collectives. C'est aussi un concours de circonstances avec un projet qui arrive au bon moment.»

Elle insiste sur le fait que l’essentiel n’est pas dans la reconnaissance apportée par le Nobel: «Ce que je retiens, ce sont les moments de découverte, les eurêka partagés avec mes étudiants. Le Nobel, c’est une médaille. Mais la joie de comprendre quelque chose de nouveau, c’est ce qui reste.»

Et maintenant qu’elle a obtenu cette prestigieuse récompense et toute l’attention médiatique qui l’accompagne, elle ne mène plus de travaux de recherche comme elle le faisait auparavant avec de petits groupes. «Ma satisfaction maintenant, c’est de voir la nouvelle génération, votre génération, qui reprend le flambeau, a-t-elle dit à l’intention des étudiantes et étudiants présents. Je suis aussi admirative de la recherche que mes collègues font avec CRISPR. C’est fascinant de voir en effet à quel point la recherche a évolué avec CRISPR, c'est-à-dire tout ce qui est découvert maintenant grâce à cet outil.»

Une rencontre inspirante

Tout au long de l’échange, les animateurs ont demandé à Emmanuelle Charpentier des conseils quant à leur propre parcours. Celle qui a étudié et travaillé à l’étranger encourage à cultiver la mobilité et l’ouverture internationale: «Il faut savoir partir au bon moment, changer d’environnement. Montrez-vous curieux, enthousiastes, persévérants. Le reste viendra peut-être, par chance, mais toujours grâce à votre passion.»

La rencontre s’est conclue par des questions du public, allant de la place des facteurs de succès en recherche à l’avenir des applications de CRISPR. Emmanuelle Charpentier a livré plus qu’un témoignage scientifique: elle a donné une véritable leçon d’humilité et de curiosité qui restera gravée dans la mémoire de celles et ceux qui y ont assisté.

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