Ignis Lithium: pour des batteries bien d’ici
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La valorisation de la recherche à l'UdeM Article 10 / 11
«L’apport et l’expertise de l’Université de Montréal dans la chimie des phosphates pour la filière batterie ne sont pas assez reconnus. Mais les pionniers et leurs innovations sont ici, comme la machine qui a mené aux premiers brevets d’amélioration sur les phosphates», évoque Steeve Rousselot, agent de recherche au Laboratoire Chimie et électrochimie des solides (LCES) du professeur de chimie de l’UdeM Mickaël Dollé. «C’est totalement sous-estimé!» renchérit le doyen desdits pionniers, Michel Gauthier, chercheur invité au département et président fondateur de Phostech Lithium et d’Ignis Lithium.
L’histoire d’Ignis Lithium, deuxième entreprise en 10 ans issue des travaux sur les batteries du LCES, est pourtant particulièrement prometteuse grâce à sa nouvelle technologie de synthèse. Et à l’heure où des choix importants doivent être faits pour assurer la transition écologique et l’indépendance énergétique du Québec, la technologie imaginée et brevetée par l’équipe donne espoir.
Des travaux pionniers
Plus de 95 % de la production mondiale du phosphate de fer lithié destinée aux batteries (notamment celles des véhicules électriques) provient de la Chine. Or, «ce sont des travaux de recherche de l’Université de Montréal qui ont été à la base des brevets de production par la voie solide de ce matériau et qui ont rendu son utilisation possible dans les batteries», raconte Steeve Rousselot, qui est aussi directeur de la recherche et développement chez Ignis Lithium.
Au début des années 2000, des travaux réalisés à l’UdeM et l’obtention d’un brevet mènent à l’incorporation de la première pousse de l’Université, Phostech Lithium, et à la première production industrielle du matériau au monde. Le marché était alors dominé par les ions de lithium composés de cobalt et de nickel. «On savait que le phosphate de fer avait un avenir pour ce type de batterie. À l’époque, les batteries reposaient surtout sur le cobalt et le nickel, deux éléments coûteux, rares et toxiques, et les applications étaient limitées à l’électronique portable», relate Michel Gauthier.
La Chine a toutefois pris les devants en optimisant avec succès les procédés élaborés à l’UdeM pour le stockage de l’énergie, particulièrement crucial pour les véhicules électriques. Ce contexte a entraîné la fermeture de Phostech Lithium et de son usine à Candiac, peu après que la compagnie eut perdu l’exclusivité des brevets. «Nous avions inventé un procédé économique, que les Chinois ont adopté. C’est avec ça qu’ils réussissent aujourd’hui à produire près de deux millions de tonnes par année de phosphate de fer», résume Michel Gauthier.
Persévérer malgré tout
Mais les travaux à l’Université de Montréal ne se sont pas arrêtés là. La même équipe de recherche a par la suite conçu un nouveau procédé de rupture pour la synthèse du matériau par voie fondue, s’inspirant de la sidérurgie et de l’industrie verrière.
«Quand les Chinois se sont mis à percer le marché avec le phosphate de fer lithié, nous nous sommes dit que ça vaudrait quand même la peine de continuer à innover grâce à ce nouveau procédé, qui serait plus économique et qui aurait moins de conséquences sur l’environnement», poursuit Michel Gauthier. «Ce procédé a une telle flexibilité que nous sommes capables de produire le matériau avec les minéraux du Québec, et ce, au même coût que les Chinois», estime Steeve Rousselot.
En effet, le lithium, le fer et le phosphate sont des minéraux exploités au Québec, mais qu’on transforme présentement à l’autre bout du monde. «Et après, nous le rachetons. Plus cher. L’idée est de changer ce modèle», remarque-t-il. De plus, le fer n’est pas toxique, contrairement au nickel, et le procédé mis au point n’engendre pas de rejets toxiques.
De Phostech Lithium à Ignis Lithium
Ces travaux ont ainsi conduit à l’incorporation d’Ignis Lithium en 2022. L’équipe diversifiée (professeur, chercheurs, ingénieurs, avocat) d’Ignis Lithium a pu notamment tirer profit des installations de l’Université de Montréal. «Au lieu de construire un bâtiment, comme c’est la tendance, nous avons préféré utiliser les ressources existantes du réseau de laboratoires que nous connaissions. Nous arrivons donc à faire notre pilotage avec une structure délocalisée qui ne coûte pas trop cher», explique Michel Gauthier. Le laboratoire de Mickaël Dollé a été mis à contribution pour la recherche et le développement d’innovations liées au procédé. D’autres centres de transfert de technologie au Québec et en Ontario sont utilisés pour la mise à l’échelle et pour obtenir une poudre très fine qui peut servir telle quelle dans les batteries. «Le contrat de recherche avec l’UdeM nous permet de bénéficier d’installations de recherche et de caractérisation auxquelles nous n’aurions autrement pas eu accès», souligne Steeve Rousselot.
Après validation de la qualité du matériau par des assembleurs de batteries, la jeune pousse est maintenant à la recherche de grands partenaires pour faire la mise à l’échelle. «C’est beau d’avoir une technologie et des brevets, mais il faut l’amener rapidement sur le marché», croit Michel Gauthier. L’équipe ne veut pas se contenter de la découverte du nouveau procédé, elle cible un développement le plus local possible dans ce secteur hautement stratégique: «Quand on a une bonne idée, on veut la voir reconnaître», conclut-il.