Pour un accès aux services de santé mentale plus équitable
Lors d’un premier épisode psychotique, la règle d’or est de privilégier une intervention le plus tôt possible. «La plupart des troubles mentaux surviennent avant l’âge de 25 ans. Plus on intervient tôt, plus c’est facile de le faire et meilleure est la réponse», indique la Dre Amal Abdel-Baki, professeure de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. L’intervention précoce améliore ainsi le devenir des jeunes, en les aidant à mieux fonctionner dans la société et en réduisant leurs symptômes tout comme l’utilisation de services d’urgence et d’hospitalisation.
Alors que les populations vulnérables sont en augmentation, les parcours difficiles et parfois traumatiques des personnes immigrantes les mettent plus à risque de vivre un épisode psychotique. «C’est important de se pencher sur la façon de bien répondre à leurs besoins. Lorsqu’on réussit à les accrocher, les avantages sont aussi grands que pour les personnes qui n’ont pas leurs vulnérabilités sociodémographiques», confie Inès Boujelben, résidente en psychiatrie et étudiante de maîtrise en sciences psychiatriques et addictologie à l’UdeM.
Dans une vaste étude de suivi longitudinale sur cinq ans, l’étudiante a procédé à l’analyse des parcours d’accès aux soins de santé mentale des personnes racisées et immigrantes. Ses conclusions ont été publiées dans la revue Schizophrenia Research.
Un plus grand désengagement?
Des études antérieures ont révélé que les trajectoires d’accès aux cliniques pour premier épisode psychotique des jeunes personnes racisées et immigrantes étaient souvent difficiles et que leur engagement était par la suite plus faible. «Ces études semblaient indiquer qu’on les “perdait”», observe Inès Boujelben. À l’aide d’une grande cohorte – soit 567 individus –, l’étudiante souhaitait explorer les raisons de ce désengagement. «C’est important parce que lorsqu’il y a un désengagement, on sait qu’il y a un grand risque de perdre les améliorations obtenues», ajoute-t-elle.
Pour ce faire, elle a utilisé les données d’une étude observatoire longitudinale qui avait été menée auprès de tous les jeunes adultes de 18 à 30 ans faisant l’expérience d’un premier épisode de psychose admis entre 2005 et 2013 dans deux services d’intervention précoce à Montréal (la clinique JAP du CHUM pour jeunes adultes ayant eu un épisode psychotique et le programme pour premier épisode psychotique de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal).
Sans surprise, elle et son équipe de recherche ont constaté qu’une grande proportion des jeunes, et plus particulièrement les personnes migrantes racisées de première génération, accédaient à des soins par l’entremise des services policiers ou ambulanciers (comparativement aux personnes non racisées non migrantes et même aux personnes racisées immigrantes de deuxième génération). Or, passer par cette voie, plutôt que par la recommandation d’un proche ou d'un professionnel ou par une visite directement aux cliniques ambulatoires, augmente le risque de se désengager par la suite, tous groupes confondus.
Pour plus de nuances
En séparant les jeunes en différents groupes, l’étudiante a toutefois pu nuancer certains constats faits dans la littérature. Ainsi, ce sont surtout les personnes migrantes de première génération qui avaient davantage tendance à quitter la région où leur clinique était située pour retourner dans leur pays d’origine, ces déplacements expliquant peut-être ce qui apparaissait au premier abord comme un abandon. «On avait l’impression qu’on n’arrivait pas à accrocher les jeunes vulnérables, mais finalement, celles et ceux qui demeurent dans la région restaient généralement engagés durant tout le suivi offert de cinq ans. Mais il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles ils quittent la région, ce n’est pas nécessairement une question de désengagement des soins», remarque Inès Boujelben.
Pour mieux interpréter ces résultats, cette étude quantitative sera suivie d’un volet qualitatif. «Le volet qualitatif va aider à comprendre les éléments qui expliquent cette surreprésentation. On pourra mieux définir les cibles d’amélioration, diriger les intervenants, le personnel des cliniques, les équipes policières et ambulancières et les politiques vers des solutions», résume la résidente. «J’aimerais rencontrer des corps policiers et ambulanciers lorsque nous aurons ces résultats qualitatifs en main», évoque la Dre Abdel-Baki.
Parce qu’avec de plus en plus de personnes marginalisées et vulnérables, il est impératif d’améliorer la réponse à leurs besoins. «Les personnes migrantes et racisées sont encore plus à risque de faire un épisode psychotique. Mais quand on réussit à les accrocher, les bienfaits – un meilleur fonctionnement en société et un soulagement des symptômes – sont aussi grands pour tous les jeunes», dit Inès Boujelben. «C’est une question d’équité d’accès aux soins», conclut Amal Abdel-Baki.