Des images qui traversent la nuit
On sait déjà que s’exposer à la lumière des écrans avant de dormir perturbe le cycle circadien. Mais Michelle Carr veut aller plus loin. Elle se questionne sur les effets du contenu des images visionnées avant d’aller au lit, autant sur la qualité du sommeil que sur celle des rêves.
Dans son laboratoire, des volontaires sont invités à regarder des films de genres variés: certains sont apaisants et lumineux, d’autres plus sombres, anxiogènes ou inspirent des sentiments de solitude et de claustrophobie.
La chercheuse et son équipe observent ensuite leurs cycles du sommeil et les récits de leurs rêves. Si cette étude n’en est encore qu’à ses balbutiements, Michelle Carr indique qu’une tendance se dessine: des éléments des contenus audiovisuels se glissent bel et bien dans les songes.
«Notre cerveau utilise nos souvenirs récents et nos images sensorielles récentes comme matière pour rêver. Comme le décrivait déjà Sigmund Freud, il recycle les “résidus du jour”, ces impressions marquantes ou chargées d’émotions pour tisser la trame de nos rêves. Donc, après avoir vu un film d’horreur, il n’est pas rare de retrouver des fragments de scénario dans notre sommeil», souligne la professeure.
Récrire ses cauchemars
Si le cinéma peut devenir la matière brute des rêves, Michelle Carr ajoute qu’on peut aussi, d’une certaine façon, devenir le ou la scénariste de nos songes. C’est l’idée derrière «l’ingénierie des rêves», qui se base sur le recours au rêve lucide, soit un état où l’on devient conscient qu’on rêve, parfois au point de pouvoir modifier le cours de l’épisode onirique.
Ce domaine de recherche encore émergent passionne particulièrement la chercheuse, qui s’affaire à explorer et exploiter le potentiel du cerveau endormi. Avec son équipe, elle a récemment démontré que, en effectuant de manière régulière certains exercices de visualisation et de pleine conscience avant le sommeil, plus d'un quart des participants parviennent à atteindre l’état de rêve lucide dès une première sieste en laboratoire. Avec des techniques plus poussées, comme de légères stimulations lumineuses ou sonores pendant le sommeil, le taux de réussite se voit bonifié.
Un phare dans la vie
Ultimement, ces approches pourraient devenir de véritables traitements pour les personnes souffrant de cauchemars récurrents qui s’accompagnent de détresse au réveil, notamment ceux liés à des traumatismes, des dépendances ou un deuil.
«Un cauchemar, c’est comme un film dont le scénario se répète sans fin, explique la chercheuse. Grâce au rêve lucide, on aide les gens à le réécrire et à transformer une scène de terreur en une expérience positive, voire libératrice.»
Donc, oui, nos rêves sont perméables aux émotions fortes causées par les scènes terrifiantes du cinéma d’horreur. Mais si, au lieu de subir nos cauchemars halloweenesques, on essayait de les diriger? Pourquoi ne pas s’entraîner à transformer ce dangereux poursuivant cagoulé en sympathique vendeur de crème glacée?