Loisirs en prison: entre émancipation et contrôle

En 5 secondes Que nous apprennent les loisirs sur l’incarcération des femmes? C’est la question que s’est posée Alexis Marcoux Rouleau dans son doctorat.
Les loisirs atténuent temporairement ce mal-être, mais ils n’effacent pas la réalité de l’enfermement.

Au Québec, la question de l’incarcération des femmes suscite depuis longtemps débats et dénonciations. Après la fermeture en 2016 de la prison Tanguay de Montréal et celle en janvier dernier du secteur féminin du Centre de détention de Québec, la prison Leclerc de Laval est aujourd’hui le seul établissement pénitentiaire pour les femmes condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans.

Or, cette prison est vivement critiquée pour ses conditions de détention jugées déplorables par plusieurs, allant de la salubrité douteuse aux fouilles à nu abusives en passant par les soins de santé négligents. 

Alexis Marcoux Rouleau, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, s’intéresse depuis longtemps à ces questions, plus précisément au contrôle social et pénal de populations marginalisées. 

Dans son doctorat réalisé sous la direction de la professeure Marion Vacheret, iel a voulu mieux comprendre le milieu carcéral féminin par la lunette des expériences de loisirs des détenues.

Ancrée en sociologie du milieu carcéral, sa thèse visait à réfléchir aux fonctions individuelles et institutionnelles des loisirs dans les prisons pour femmes. «Souvent éclipsés par les discussions sur le travail ou les programmes de réinsertion, les loisirs occupent pourtant une place importante dans le quotidien carcéral», soutient Alexis Marcoux Rouleau. 

Une fonction à double tranchant 

Pour mener sa recherche, Alexis Marcoux Rouleau a rencontré 34 femmes incarcérées, réparties entre l’établissement de Laval et celui de Québec – avant sa fermeture –, ou fréquentant une maison de transition et leur a demandé ce qu’était pour elles un loisir en prison. 

Les réponses ont révélé que, derrière les barreaux, presque tout peut devenir un loisir: travailler, faire de l’art-thérapie, écrire une lettre, téléphoner à sa famille, participer à des activités mère-enfant.  

D’une part, indique Alexis Marcoux Rouleau, les loisirs deviennent une brèche symbolique dans l’espace-temps de la prison: «Ils permettent de “sortir”, sans quitter les murs, des tensions avec les autres détenues et le personnel, du contrôle constant et de la douleur d’être séparées de leurs proches.» 

D’autre part, si les loisirs jouent un rôle essentiel dans le mieux-être des détenues, voire dans leur capacité d’agir, la prison elle-même les utilise comme outil de gestion. 

«Priver une détenue d’une activité peut servir de sanction disciplinaire tout comme conditionner l’accès à certains loisirs à un “bon comportement”. Dans certains cas, les loisirs sont instrumentalisés pour transformer les femmes, en les orientant vers des activités censées favoriser la réinsertion sociale.»  

Autrement dit, ce qui peut représenter un moment d’émancipation pour les détenues sert aussi au maintien de l’ordre pour l’établissement pénitentiaire, selon Alexis Marcoux Rouleau. 

 

La souffrance, toujours 

Cette double fonction, tantôt libératrice, tantôt coercitive, rend la relation des femmes aux loisirs profondément ambivalente, montre la thèse d’Alexis Marcoux Rouleau. Elles y trouvent à la fois une bouffée d’air salvatrice et le rappel constant de la cage dans laquelle elles vivent. 

Et une chose semble unanime dans les témoignages recueillis: la souffrance est omniprésente. «Les loisirs atténuent temporairement ce mal-être, mais ils n’effacent pas la réalité de l’enfermement. Chaque activité terminée ramène inévitablement les détenues à la dureté de leur quotidien», affirme Alexis Marcoux Rouleau. 

À ses yeux, ces résultats amènent une fois de plus à se pencher sur la logique punitive de la prison et les objectifs de réhabilitation: «Améliorer l’offre de loisirs est nécessaire, mais insuffisant. Le véritable enjeu réside dans le recours même à l’incarcération. Comment espérer réinsérer socialement des personnes en les désinsérant d’abord de leur communauté?»

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