Comment se déroule la réintégration des migrants mexicains?

En 5 secondes Une étude révèle deux réalités sur le retour au pays de Mexicains. La première génération peine économiquement, mais non socialement. La génération 1.5 réussit, mais affronte un exil identitaire.
Une étude révèle deux réalités sur le retour au pays de Mexicains.

Luis, originaire de Querétaro, vivait au Texas depuis près de 10 ans. Un banal feu rouge brûlé, alors qu’il partait acheter des couches pour son nouveau-né, a suffi pour qu’il soit arrêté par la police puis expulsé. Son histoire illustre celle de milliers de migrants renvoyés de l’autre côté de la frontière. Depuis la crise économique de 2008 et le durcissement des politiques migratoires aux États-Unis, les retours forcés ou volontaires de Mexicains se sont multipliés. 

Pour beaucoup de Mexicains, revenir dans leur pays natal semblait être la promesse d’un nouveau départ. Cependant, une étude qualitative menée par Ana Canedo, professeure au Département de démographie et des sciences de la population de l’Université de Montréal, montre que ce retour ne rime pas toujours avec une réintégration réussie. 

En 2021, à travers 123 entretiens menés dans 23 États mexicains, Ana Canedo a mis en évidence une réintégration fragmentée, vécue de manière très différente selon deux groupes qu’elle a établis: les migrants de première génération, qui ont émigré à l’âge adulte, et ceux de la «génération 1.5», c’est-à-dire des personnes arrivées enfants ou adolescentes aux États-Unis. Les premiers conservent des attaches sociales au Mexique, mais peinent à se réinsérer économiquement, tandis que les seconds réussissent souvent professionnellement, mais souffrent d’un sentiment d’exil social. 

 

La première génération: un retour dans un pays familier, mais sans avenir économique

Pour les migrants de première génération, revenir au Mexique signifie retrouver un univers familier: ils parlent espagnol sans accent étranger, connaissent les traditions locales et réintègrent facilement les réseaux familiaux et communautaires. «Ils avaient passé leur jeunesse au Mexique et étaient reconnus comme Mexicains à part entière. Leur identité n’est pas remise en cause», observe Ana Canedo. 

Mais ce capital social se heurte à une réalité économique. Beaucoup de ces migrants ont travaillé durant des années dans des secteurs peu qualifiés aux États-Unis – agriculture, construction, restauration, usines de transformation – sans posséder de diplômes. «De retour au Mexique, leurs compétences correspondent surtout à des postes faiblement rémunérés où l’offre de main-d’œuvre est abondante et, sans expérience préalable dans le pays, ils sont rarement embauchés. Pour ceux qui retournent dans leurs villages d’origine, ces compétences s’avèrent encore moins adaptées aux emplois locaux», indique Ana Canedo. 

Cesar, expulsé après avoir travaillé pendant 15 ans dans une usine alimentaire, l’explique avec amertume: «Comme dit le proverbe: Te vas al norte y te norteas [“Tu pars au nord et tu te perds”]. C’est exactement ce qui m’est arrivé. J’avais de l’expérience, mais ici, personne ne me la reconnaît. J’ai rapporté quelques dollars, mais ils ont vite été épuisés… Et maintenant?» 

Un autre cas revient souvent: des migrants formés sur des machines ou à des procédés inexistants au Mexique. «Je me souviens très bien d’un participant qui avait passé plus de 15 ans à fabriquer des hameçons de pêche. Mais au Mexique, il n’y a pas d’industrie de ce type. Impossible pour lui de valoriser ses compétences», relate Ana Canedo. 

Beaucoup tentent alors d’ouvrir de petits commerces ou de se lancer dans l’économie informelle, mais les échecs sont fréquents. Sans appui institutionnel, sans accès au crédit, ils peinent à stabiliser leur situation. «Après avoir passé des années à travailler dur et à envoyer de l’argent au pays, ils reviennent pour se retrouver sans perspectives», mentionne la chercheuse. 

La génération 1.5: intégration économique, mais fracture identitaire

La situation est presque inverse pour les migrants dits de «génération 1.5». Ils sont arrivés enfants ou adolescents aux États-Unis, ont été scolarisés dans le système américain et souvent socialisés dans cette culture. Leur retour au Mexique les place dans une position très différente. 

Sur le plan économique, ils disposent d’un atout considérable: la maîtrise de l’anglais. Félix, par exemple, voit dans cette compétence une bouée de sauvetage: «L’anglais, c’est ce qui nous distingue. Pas l’anglais scolaire, mais l’anglais de tous les jours, celui qui permet de parler avec des Américains sans accent», dit-il. Cela leur ouvre les portes des centres d’appels, qui se sont multipliés dans plusieurs villes mexicaines. Certains parviennent même à obtenir des emplois en ligne rémunérés en dollars, ce qui leur confère une situation économique enviable, même si la plupart ne bénéficient pas d’avantages sociaux. 

Pourtant, cette réussite professionnelle se paie d’un prix élevé sur les plans social et identitaire. Contrairement aux migrants de première génération, ces jeunes adultes ne sont pas perçus comme Mexicains. «On nous appelle gringos, on nous dit que nous ne sommes pas vraiment d’ici, rapporte Oscar, revenu après une expulsion. Au point que j’ai eu honte de parler anglais. J’ai même dû consulter un psychologue.» 

La génération 1.5 subit surtout une discrimination culturelle: moqueries en raison de l’accent ou du poids, exclusion à cause de tatouages ou du style vestimentaire, suspicion d’appartenance à des gangs. Julio, revenu de Californie, raconte: «On me voyait comme un criminel. Mais ce n’est pas parce que j’ai des tatouages que je vais voler ou faire du mal. Aux États-Unis, tout le monde en a.»

Le rôle de l’État mexicain

Devant ce phénomène, le gouvernement mexicain a mis en place plusieurs programmes: reconnaissance des diplômes, aides à l’emploi, dispositifs de soutien aux rapatriés. Mais selon Ana Canedo, ces initiatives souffrent d’un manque de moyens et de continuité. «Sur le papier, beaucoup de politiques sont excellentes. Dans la pratique, elles n’atteignent pas les migrants, qui ne savent même pas qu’elles existent ou les trouvent trop bureaucratiques», déclare-t-elle. 

Cette déconnexion renforce le sentiment d’abandon. Les migrants de première génération voient s’évanouir leurs efforts économiques; ceux de la génération 1.5 affrontent seuls des blessures psychologiques et identitaires. 

Ana Canedo souligne aussi un phénomène en hausse: l’«autodéportation», c’est-à-dire le choix de retourner au Mexique sans y avoir été contraint. «En 2023, alors que je révisais mon article, Bloomberg publiait un chiffre frappant: parmi toutes les personnes renvoyées des États-Unis entre janvier et fin juillet, seulement quatre pour cent avaient trouvé un emploi, remarque-t-elle. Cela illustre l’ampleur du défi de la réintégration. Le Mexique a déjà connu des vagues de migration de retour, mais pas avec autant de personnes qui prévoient rester durablement dans le pays. Aujourd’hui, alors que le nombre de Mexicains qui reviennent au pays augmente, le gouvernement doit impérativement renforcer son soutien pour faciliter leur réintégration.» 

Changer de regard sur les migrants de retour

Pour Ana Canedo, il est aussi urgent de dépasser la vision simpliste d’un retour au pays qui se solderait naturellement par une réintégration. «Le retour n’est pas une fin, c’est le début d’un autre parcours, insiste-t-elle. Et ce parcours est semé d’obstacles différents selon le type de migration vécue.» 

Elle plaide pour des politiques différenciées: un soutien économique adapté pour les migrants adultes de première génération, un accompagnement psychologique et culturel pour les immigrants de la génération 1.5. Mais au-delà des programmes, elle appelle de ses vœux un changement profond de regard. «Presque chaque famille mexicaine a un proche qui a migré. Pourtant, la société continue de les traiter avec distance, parfois même avec mépris. Il faut reconnaître que la migration fait partie de notre histoire collective. Et cela passe par une reconnaissance de la diversité des expériences de retour», conclut-elle. 

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