Jeunes adultes et médias sociaux: quand se comparer avec les autres mine l'estime de soi

En 5 secondes Une étude réalisée à l'UdeM révèle que les comparaisons dans les médias sociaux minent l'estime de soi des jeunes adultes, mais que l'habitude peut créer un effet protecteur inattendu.

Qui n'a jamais ressenti un pincement au cœur en regardant les vacances de rêve d'un ami sur Instagram ou les réussites professionnelles d'une collègue sur Facebook? Cette sensation familière – et très normale! – vient d'être scrutée à la loupe par une équipe de recherche de l'Université de Montréal qui révèle comment les comparaisons dans les médias sociaux façonnent l’estime de soi chez les jeunes adultes… et pas toujours dans le bon sens.

Quand notre cerveau ancestral rencontre l'ère numérique

Tandis qu’elle étudiait au baccalauréat au Département de psychologie, Justine Le Blanc-Brillon a découvert la théorie de la comparaison sociale: élaborée par Leon Festinger en 1954, elle propose que les humains ont un besoin fondamental d'évaluer leurs opinions, capacités et émotions en se comparant avec les autres.

«J'ai fait plein de liens avec ce que les gens de ma génération vivent par rapport aux médias sociaux», raconte la doctorante, qui amorce sa quatrième année d'études. Ce déclic l'a menée directement au doctorat, sous la direction du professeur Sébastien Hétu.

Ainsi, depuis la nuit des temps, l'être humain se serait constamment comparé avec ses comparses pour apprendre sur lui-même, se développer en imitant des modèles, mais aussi pour se situer dans la hiérarchie sociale.

«Notre cerveau fait des comparaisons d’ordre social de façon naturelle, explique Justine Le Blanc-Brillon. Le hic, c’est que, jadis, nous nous comparions avec un groupe restreint de personnes tandis qu’aujourd’hui, à l’ère des médias sociaux, les jeunes sont bombardés d'éléments qui leur servent de points de comparaison.»

Cette surexposition à une multitude d’éléments de comparaison pose problème, car le contenu des médias sociaux est «très esthétique et purifié», créant des comparaisons ascendantes – quand on se compare avec quelqu'un perçu comme supérieur –, particulièrement dommageables pour l'estime de soi. En quelque sorte, nos mécanismes évolutifs ancestraux se trouvent dépassés par cette avalanche d'images idéalisées.

Deux études pour percer le mystère des comparaisons

Composée de Justine Le Blanc-Brillon, Jean-Simon Fortin et Livia Lafrance – sous la direction de Sébastien Hétu –, l’équipe a effectué deux études auprès de centaines de jeunes adultes âgés de 18 à 35 ans.

La première, conduite en octobre 2021, pendant la pandémie, s'intéressait à 139 jeunes utilisateurs d'Instagram. La seconde, réalisée en juin 2023, soit après la pandémie, concernait 206 jeunes utilisateurs d’Instagram et 207 de Facebook.

Elles visaient à mesurer, par le biais de questionnaires, la fréquence d'utilisation des plateformes, l'exposition aux comparaisons sociales, puis à évaluer l'estime de soi globale et physique des participants et participantes ainsi que leurs symptômes dépressifs.

Les chercheurs avaient particulièrement dans leur mire la quantité de comparaisons sociales et «l'extrémité» des comparaisons – soit l'écart perçu entre soi et les personnes qu’on voit en ligne. Pour les comparaisons ascendantes, plus cet écart est grand, plus la comparaison risque d'être douloureuse.

Des résultats qui ne sont pas que négatifs

Les deux études ont confirmé que les comparaisons sociales ascendantes sont associées à des effets négatifs sur l’estime de soi et les symptômes dépressifs. Cependant, un résultat de la première étude a créé la surprise. Contrairement aux hypothèses de départ et à la littérature existante, l'utilisation d'Instagram était positivement liée à l'estime de soi. Plus les jeunes fréquentaient la plateforme, mieux ils se sentaient dans leur peau.

Cette découverte inattendue s'expliquerait par le contexte particulier de la collecte de données. «Pendant la COVID-19, on a observé un lien positif entre l'utilisation des médias sociaux et l'estime de soi, note Sébastien Hétu. À cette époque, on allait dans les médias sociaux pour communiquer, maintenir ses liens d'appartenance, et le contenu des discussions et des échanges était différent.» En somme, Instagram et Facebook servaient de bouée de sauvetage sociale dans un monde confiné.

La deuxième étude, menée après la pandémie, a donné des résultats plus conformes aux attentes. L’utilisation des deux plateformes était associée à une plus faible estime de soi et à des symptômes dépressifs plus inquiétants. Et fait important, cette relation était attribuable à une plus grande exposition aux comparaisons ascendantes.

L'effet protecteur inattendu de l'habitude

Une découverte particulièrement intéressante concerne l'extrémité des comparaisons. Contre toute attente, les utilisateurs fréquents des médias sociaux tendaient à faire des comparaisons ascendantes moins extrêmes. «Plus on utilise les médias sociaux, moins on fait de comparaisons extrêmes», résume Justine Le Blanc-Brillon.

Selon Sébastien Hétu, cela pourrait s’expliquer par le fait que les grands utilisateurs de médias sociaux «embellissent» leur propre profil et ce qu'ils diffusent, ce qui réduit la comparaison ascendante avec les autres et les préserve, en quelque sorte, de l’effet négatif de l’extrémité des comparaisons sur leur estime de soi.

Une autre possibilité est que l'habitude pourrait modifier nos standards. «Par exemple, plus on est exposé à des personnes aux corps presque parfaits dans les médias sociaux, plus ce type de corps devient la nouvelle norme», poursuit Sébastien Hétu. Cette adaptation pourrait d’une certaine manière protéger contre les effets néfastes de l’extrémité des comparaisons ascendantes.

Vers une utilisation plus saine des médias sociaux

Ces résultats ouvrent des perspectives pour une vision plus nuancée des médias sociaux. «Tout n'est pas mauvais dans les médias sociaux, insiste Sébastien Hétu. L'objectif n'est pas de diaboliser ces plateformes, mais plutôt de distinguer les types de contenu et les différences individuelles qui vont faire en sorte que les effets vont être positifs ou négatifs pour ainsi informer les jeunes et favoriser une utilisation saine de ces technologies.»

Ancienne conférencière du Centre pour l’intelligence numérique en ligne dans les écoles afin de promouvoir une bonne hygiène numérique auprès des jeunes, Justine Le Blanc-Brillon était à même de valider sur le terrain les résultats de ses travaux. À l’instar de ses études, ces ateliers visent le dialogue ouvert avec les jeunes plutôt que l'interdiction pure et simple.

Son projet de recherche se poursuit d’ailleurs avec une troisième étude expérimentale menée dans les laboratoires de l’Université de Montréal.

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