Stéphanie Chouinard-Thivierge, la criminologue qui traque les zones grises du crime sexuel
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Les nouveaux profs sont arrivés! Article 60 / 67
«Pourquoi une personne en vient-elle à commettre un crime?» Cette question habite Stéphanie Chouinard-Thivierge depuis longtemps. Aujourd’hui professeure de criminologie à l’Université de Montréal, elle consacre sa carrière à y répondre avec nuance et rigueur. Chaque geste délictueux est, selon la criminologue, l’aboutissement d’un parcours de vie complexe.
De la psychocriminologie à la recherche appliquée
Son intérêt pour la discipline s’est cristallisé à l’université, lorsqu’elle a découvert la psychocriminologie, une branche qui marie psychologie et criminologie. «C'était mon cours préféré. J'aimais l'aspect de la psychologie, l’étude des traits de personnalité qu'on peut appliquer à la criminologie», se souvient-elle.
Aussi, l’étude des délinquants sexuels, un sujet source de multiples préjugés, suscite sa curiosité. À la maîtrise, elle choisit de se pencher sur les enfants et adolescents québécois qui ont des comportements sexuels problématiques. Elle élabore alors un protocole de recherche développemental pour comprendre ces comportements dans toute leur complexité. «Parfois, il s’agit de comportements qui sont tournés vers eux-mêmes et parfois, ce sont des comportements violents impliquant des victimes, dit-elle. Donc, je voulais comprendre ce que ces jeunes avaient vécu auparavant pour pouvoir situer le comportement sexuellement problématique dans l’ensemble du parcours de vie.»
Son approche se distingue par sa volonté d’élargir le cadre d’analyse au-delà de la seule victimisation sexuelle. Elle s’attache à examiner tout un éventail de facteurs environnementaux, familiaux et sociaux. «Ce qui m'intéressait particulièrement, c'était de comprendre toutes les expériences de vie d'adversité. J’ai étudié les relations que ces jeunes avaient avec leurs parents, les situations de négligence, les abus psychologiques, physiques, sexuels, aussi l'exposition à des comportements violents dans le milieu familial, etc., explique-t-elle. Je voulais situer leurs comportements dans un ensemble beaucoup plus large de facteurs.»
Cette vision globale l’amène à constater que ces jeunes ne manifestent pas uniquement des comportements sexuels problématiques, ils présentent souvent d’autres troubles du comportement.
Une perspective américaine sur la judiciarisation
Au doctorat, Stéphanie Chouinard-Thivierge étend son champ d’études à la judiciarisation des adolescents auteurs d’infractions sexuelles aux États-Unis. La justice américaine traite les jeunes comme des adultes dans une approche punitive. Des adolescents très jeunes se retrouvent sur des registres publics d’écarts sexuels: leur nom, leur photo, leur adresse sont accessibles à tout le monde. Au Québec, en revanche, la philosophie est tout autre. «Ici, on essaie de protéger le jeune. Il y a la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui mise davantage sur la réinsertion sociale. L’idée, c’est qu’un mineur mérite une seconde chance», fait-elle remarquer.
Dans ses travaux, elle utilise des données issues du vaste projet américain Pathways to Desistance, qui suit des adolescents impliqués dans des crimes graves, dont des crimes sexuels. Ses résultats sont surprenants. Contrairement à l’idée largement répandue, les jeunes qui ont commis un crime sexuel récidivent moins que ceux qui ont été condamnés pour d’autres crimes graves. «Ça permet de clarifier qu’ils ne sont pas nécessairement plus dangereux pour la société. Ce qui contraste totalement avec la vision qu’on a aux États-Unis. Là-bas, on part du principe que c’est irrémédiable», mentionne la professeure.
Elle poursuit désormais ses recherches pour explorer l’influence éventuelle de facteurs comme l’ethnicité sur ces différences. «Selon que l'adolescent appartient ou non à une minorité ethnique, ça pourrait venir moduler l'effet de la judiciarisation», indique-t-elle.
Un intérêt croissant pour la prévention secondaire
Après son doctorat, Stéphanie Chouinard-Thivierge a effectué un stage postdoctoral au Centre for Addiction and Mental Health, en Ontario, où elle a participé au programme de prévention secondaire des abus sexuels d’enfants Talking for Change.
«On a testé un programme de traitement destiné aux hommes qui ont des penchants pédophiles, mais qui ne sont jamais passés à l'acte, raconte-t-elle. Le programme visait à diminuer les facteurs de risque qui pourraient éventuellement les amener à commettre un abus sexuel sur un enfant.»
Cette expérience lui a ouvert de nouvelles perspectives, notamment sur l’importance d’intervenir avant qu’un passage à l’acte survienne. «Ça m'a beaucoup inspirée par rapport à la prévention secondaire, que j'avais un peu moins explorée jusque-là», signale-t-elle.
Une professeure passionnée
Aujourd’hui, la nouvelle professeure de l’Université de Montréal va donner le cours de psychocriminologie: «Je suis vraiment contente que ce soit mon cours coup de cœur! dit-elle. Je l'avais donné aussi comme chargée de cours dans une autre université et j'avais adoré cette expérience.» Elle va également donner un cours sur la violence criminelle l’hiver prochain.
Parallèlement, elle continue d’explorer ces zones grises du crime sexuel, animée par la même passion: «J’aimerais mélanger tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant, mais aussi élargir mes sujets de recherche. J’aimerais beaucoup mettre en place un protocole développemental en prévention secondaire pour suivre des enfants sur plusieurs années», évoque-t-elle. Elle souhaiterait mieux comprendre comment certains enfants, qui ne manifestent pas de comportements problématiques, pourraient évoluer vers des comportements délinquants, sexuels ou non. Elle voudrait cerner les facteurs de risque susceptibles dès la petite enfance d’influencer ces trajectoires. «L’idée serait de suivre une cohorte d’enfants, de mesurer différents facteurs plusieurs fois par année et de voir si, par exemple, un élément présent à 4 ans peut être lié à un comportement délinquant à 14 ans», illustre-t-elle.
Elle espère ainsi concevoir des outils de prévention ou d’intervention beaucoup plus adaptés à la diversité des profils de ces jeunes: «Tous les enfants et adolescents sont différents. Il y a plusieurs trajectoires possibles vers des comportements antisociaux. J’aimerais créer des outils spécifiques pour chaque trajectoire au lieu d’appliquer une solution unique à un groupe très hétérogène», conclut Stéphanie Chouinard-Thivierge.