Sommeil troublé, diagnostic troublant
- UdeMNouvelles
Le 29 mai 2025
- Catherine Couturier
Comment prédire l’évolution de la maladie de Parkinson ou de la démence à corps de Lewy dans le cerveau? C’est ce que le professeur Shady Rahayel veut élucider.
Au Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CEAMS), le professeur du Département de médecine de l’Université de Montréal Shady Rahayel voit défiler de nombreuses personnes ayant un trouble du comportement en sommeil paradoxal. «La nuit, quand on rêve, on est paralysé, c’est normal. Mais vers 50 ans, certaines personnes vont devenir très agitées dans leur sommeil et donner des coups de poing ou de pied ou encore crier», raconte-t-il. Contrairement au somnambulisme, qui survient durant la phase du sommeil lent et profond, ce trouble se manifeste lors du sommeil paradoxal. «C’est complètement distinct; le somnambulisme touche les plus jeunes», précise-t-il.
Si ce trouble peut être causé par des antidépresseurs ou l’apnée du sommeil, c’est aussi un signe précurseur de la maladie de Parkinson et de la démence à corps de Lewy, deux maladies neurodégénératives de la même famille.
Pour comprendre comment progressent ces deux affections, Shady Rahayel étudie le trouble du comportement en sommeil paradoxal, qui affecte le cerveau en y laissant des patrons distincts d’atrophie. Mais comment cette atrophie commence-t-elle et évolue-t-elle chez les personnes atteintes de ce trouble du sommeil et comment peut-elle prédire le développement de la maladie de Parkinson et de la démence à corps de Lewy? C’est ce que le chercheur et son équipe ont voulu savoir. Leurs premiers résultats ont été publiés dans la prestigieuse revue eBioMedicine (du groupe The Lancet).
Quelque chose qui cloche
Le trouble du comportement en sommeil paradoxal est un premier signe que certains mécanismes dans le cerveau ne fonctionnent plus. Ainsi, près de 90 % des personnes présentant ce trouble souffriront plus tard d’une de ces deux maladies. «Les personnes qui viennent nous voir sont en santé, mais nous, nous savons que quelque chose cloche», constate-t-il.
Méconnue, la démence à corps de Lewy est la démence la plus fréquente dans la population après la maladie d’Alzheimer. «L’individu n’est plus capable de fonctionner dans son quotidien. En plus de la démence, il aura des symptômes parkinsoniens, des hallucinations visuelles détaillées, des fluctuations de conscience, etc.», décrit le neuropsychologue.
À la recherche d’un biomarqueur
Le CEAMS a accès à la plus grande cohorte de personnes aux prises avec ce trouble du sommeil. Mais pour trouver un biomarqueur à l’aide de l’intelligence artificielle, l’équipe spécialisée en neurosciences informatiques avait besoin d’un grand nombre d’images du cerveau obtenues par résonance magnétique. Elle a donc fait appel à 11 centres d’étude sur le sommeil partout dans le monde pour constituer une base de données de 1276 de ces images (de personnes à risque ou atteintes de la maladie de Parkinson ou de démence à corps de Lewy, et de personnes saines).
À l’aide de l’apprentissage automatique et de modèles informatiques, les scientifiques ont réussi à dégager deux trajectoires de progression de l’atrophie dans le cerveau. «Normalement, ce genre d’étude demande de suivre des cohortes annuellement pour vérifier au moyen de l’imagerie par résonance magnétique [IRM] l’évolution de la maladie dans le cerveau. Mais cet algorithme est puissant et permet d’estimer le stade d’avancement de la maladie à partir d’images de différentes personnes», remarque-t-il.
Deux trajectoires
Dans le cerveau, la démence à corps de Lewy semble être associée à une atrophie qui commence dans le cortex et touche ensuite l’intérieur du cerveau. Le deuxième type de progression va plutôt de l’intérieur vers l’extérieur du cerveau et est quant à elle associée au développement de la maladie de Parkinson. «La question, maintenant, c’est de découvrir pourquoi», dit Shady Rahayel. Les prochaines étapes consisteront en effet à mieux comprendre les facteurs qui amènent ce déclin dans le cortex (lésions vasculaires, médicaments, facteurs de vie, etc.).
«Le but, à présent que nous avons mis au jour de nouvelles trajectoires d’évolution, c’est d’être capable de dire si une personne se trouve sur l’une ou l’autre de ces trajectoires selon l’examen d’IRM du patient afin d’optimiser l’offre de soins», fait valoir Shady Rahayel. Il aimerait transposer en milieu clinique ces résultats pour les rendre utiles et définir des marqueurs biologiques fiables au-delà d’une évaluation clinique, qui peut être influencée par des facteurs externes. «Si une personne vient de commencer une nouvelle médication, cela peut par exemple avoir une incidence sur son score à un test de mémoire; les biomarqueurs, eux, sont plus objectifs», note-t-il.
En améliorant la compréhension de la façon dont ces maladies évoluent dans le cerveau, Shady Rahayel espère contribuer à la recherche de futurs traitements.
À propos de cette étude
L’article «Distinct brain atrophy progression subtypes underlie phenoconversion in isolated REM sleep behaviour disorder», par Shady Rahayel et ses collègues, a été publié dans la revue eBioMedicine.