Chronotypes: quand la biologie dicte l’agenda
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Rentrée 2025 Article 3 / 11
Êtes-vous de ces gens qui se réveillent à l’aube, suffisamment énergisés pour courir un marathon, mais qui doivent retrouver les bras de Morphée dès que le soleil a disparu? Ou de ceux qui peuvent rédiger toute une thèse lorsque la nuit les enveloppe, mais qui peinent à ouvrir les yeux quand sonne le réveil?
Dans une société où l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, être noctambule est parfois mal vu. On accuse les couche-tard de manquer de discipline ou d’être paresseux. De l’autre côté du pôle, on peut critiquer les lève-tôt parce qu’ils sont incapables de veiller tard.
Or, dans un cas comme dans l’autre, le manque de volonté n’y est pour rien, il s’agit plutôt de différences physiologiques. Car notre tendance à nous lever tôt ou tard est dictée par notre biologie, plus précisément par notre chronotype.
Et à l’aube de cette nouvelle rentrée, en connaître les tenants et les aboutissants peut être un facteur de réussite.
Un concept profondément ancré dans la biologie
Le chronotype est l’expression individuelle de notre horloge biologique interne, indique Julie Carrier, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre d’études avancées en médecine du sommeil de l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal.
D’un côté, on qualifie d’«oiseaux du matin» les personnes actives dès l’aube, mais fatiguées en soirée et, de l’autre, d’«oiseaux de nuit» celles qui fonctionnent mieux lorsque tout le monde dort.
Les chronotypes ne relèvent pas seulement d’une préférence personnelle, ils seraient notamment influencés par la sécrétion de mélatonine – l’hormone qui facilite l’endormissement en signalant à l’organisme qu’il fait nuit – et la génétique. «Certains gènes associés au rythme circadien régissent l’heure à laquelle nous ressentons naturellement l’envie de nous coucher ou celle de nous lever. Cela explique pourquoi certaines familles comptent plus ou moins d’oiseaux du matin ou de nuit», signale la chercheuse.
Des études en neuro-imagerie ont aussi montré des différences de connectivité et de structure cérébrales entre les lève-tôt et les lève-tard. Cette tendance naturelle est en outre modulée par les habitudes (comme l’exposition aux écrans le soir), les signaux lumineux de l’environnement et l’âge.
«En général, les enfants et les gens âgés ont tendance à être plus matinaux, alors que les adolescents et les jeunes adultes sont plus nocturnes. Mais notre horloge de base reste la même: une personne qui est noctambule à 20 ans continuera de se coucher tard même à 70 ans, simplement un peu moins tard qu’avant», mentionne la professeure.
Les défis du «décalage social»
Julie Carrier le précise: la plupart des individus se situent quelque part entre les oiseaux du matin et ceux de nuit. Cependant, certains se trouvent aux extrêmes du spectre et ils doivent adapter leur horloge interne aux horaires scolaires ou professionnels usuels.
«Le défi, surtout pour les oiseaux de nuit, est donc de trouver un équilibre entre leur biologie et leurs obligations. Dans un monde où les cours commencent à 8 h 30 et où il faut arriver tôt au travail, les chronotypes du soir vivent souvent une privation chronique de sommeil, ce qui peut nuire à leur concentration, leur mémoire et leur productivité. À long terme, les études montrent aussi des liens avec davantage de dépressions, d’anxiété ou de problèmes de consommation, même si la causalité n’est pas encore claire», souligne-t-elle.
À l’inverse, poursuit la chercheuse, si les lève-tôt sont obligés de travailler tard le soir, ils peuvent voir leur vigilance et leur performance décliner.
«C’est un peu comme pour les gauchers: les exigences habituelles de leur environnement ne sont pas conçues pour leur physiologie», illustre Julie Carrier.
Malgré tout, pas une fatalité
Bien que le chronotype soit inscrit dans notre biologie, il peut être modulé, tient à rappeler la professeure. «Même s’il est vrai que la vie est un peu moins faite pour les chronotypes du soir, je veux envoyer un message d’espoir qu’il est possible de s’adapter», dit-elle.
Pour y arriver, la chercheuse indique que la lumière est le signal le plus puissant pour ajuster notre horloge. S’exposer à la lumière naturelle le matin aide les oiseaux de nuit à avancer leur rythme, alors qu’une exposition en soirée permet aux lève-tôt de repousser l’endormissement. À l’inverse, réduire l’exposition aux écrans et aux lumières vives le soir favorise un coucher plus tôt.
Elle ajoute que certains comportements peuvent aussi aider les noctambules, notamment éviter les stimulants en fin de journée, instaurer une routine régulière de sommeil et, si nécessaire, faire une sieste pour récupérer les heures manquantes. Ces stratégies ne transforment pas un couche-tard invétéré en lève-tôt, mais elles permettent de réduire le décalage avec les horaires imposés.
«Mon grand souhait, résume Julie Carrier, c’est que les étudiantes et les étudiants puissent préserver un sommeil de qualité, de sept à neuf heures par nuit, pour relever leurs défis universitaires et ceux d’adaptation.»