Pour une ville festive inclusive

En 5 secondes Le professeur Jean-Pierre Chupin et l’étudiante Laurène Smith ont présenté les recherches de l’UdeM sur la notion d’inclusion dans les activités festives aux Entretiens Jacques Cartier, tenus à Lyon.
Les groupes qui se trouvent exclus des grandes fêtes urbaines sont plus nombreux que le reflètent les chiffres de fréquentation.

Montréal comme Lyon sont reconnues comme des villes festives, où se tiennent de multiples évènements chaque année. Mais tout le monde n’a pas le droit à la fête. «Les festivals sont des lieux de contradictions. Ce sont des fêtes censées être ouvertes à tout le monde; pourtant, elles excluent», affirme d’emblée Laurène Smith, étudiante de maîtrise en architecture sous la direction du professeur Jean-Pierre Chupin, de l’Université de Montréal.

Pour tenter de répondre à la question «La ville festive est-elle inclusive?» et pour parler de leurs travaux de recherche, ces représentants de l’École d’architecture de l’UdeM ont participé aux Entretiens Jacques Cartier 2025, qui avaient lieu cette année à Lyon du 6 au 8 octobre. «L’an dernier, j’avais organisé à l’occasion des Entretiens une série de tables rondes sur la sensibilisation à l’accessibilité universelle. Dans le prolongement de cette réflexion, l’organisme Cité anthropocène nous a proposé de nous pencher sur la ville festive», résume le professeur, qui travaille sur la question de l’inclusion dans l'organisation des villes.

La fête pour tous, vraiment?

Devant un auditoire majoritairement étudiant, la conférence du 6 octobre à laquelle ils ont participé rassemblait des gens aux multiples points de vue: chercheurs de différentes disciplines, activistes, artistes, directeurs et représentants de festivals, etc. «Il nous faut absolument trouver des façons de sortir des silos de pensées et d’expertises parce que les problèmes complexes comme ceux qu’on observe dans les limites de la ville festive ne sont pas réductibles à quelques instructions techniques», estime Jean-Pierre Chupin. Difficultés d’accès pour les personnes âgées, à mobilité réduite, en situation de handicap cognitif ou perceptuel; sentiment d’insécurité ressenti par de nombreuses femmes dans les lieux publics, rejet des minorités et des personnes itinérantes: les groupes qui se trouvent exclus des grandes fêtes urbaines sont plus nombreux que le reflètent les chiffres de fréquentation.

La journée du 6 octobre a été l’occasion de dresser un bilan des obstacles à l’inclusion. «Une des choses qui est ressortie, c’est que les injonctions du discours sécuritaire constituent un frein majeur à l’ouverture des festivités. Au nom de la sécurité, on met en place des dispositifs d’exclusion», souligne le professeur. On oublie ainsi trop facilement que les personnes itinérantes sont systématiquement déplacées lors des grands évènements. Un festival peut accentuer les tensions urbaines entre les quartiers centraux et la périphérie, et rares sont ceux qui prennent en compte les besoins des individus vivant des situations de fragilité, dont les gens âgés et les jeunes enfants. «Les festivals sont éphémères et ne répondent pas aux besoins permanents; mais ils donnent une idée de ce que pourrait être la ville inclusive», avance Laurène Smith. 

Même des approches qui se disent inclusives peuvent avoir des effets pervers. «On n’a pas de solution claire. Proposer un safe space pour protéger l’expérience des femmes, par exemple, repose sur un discours sécuritaire et crée des formes d’exclusion, tout comme le fait de grouper les personnes en situation de handicap dans des îlots protégés renforce la stigmatisation», constate Jean-Pierre Chupin.

«Standard» pour qui?

Il faut savoir qu’il n’existe aucune règlementation ou obligation au Québec pour assurer l’accessibilité aux évènements festifs. «Ça dépend uniquement de la bonne volonté des organisateurs», rappelle Laurène Smith, dont les travaux de maîtrise en architecture portent précisément sur des structures de spectacle inclusif. 

Et malgré la bonne volonté, les obstacles techniques sont nombreux. En effet, les structures temporaires et préfabriquées installées durant les festivals ne conviennent pas aux besoins variés de la population. «Les bars de festivals sont toujours de la même hauteur, ce qui fait que les personnes en fauteuil roulant ou les enfants ne peuvent y accéder. C’est un exemple banal, mais ces normes compliquent l’inclusion», illustre Jean-Pierre Chupin, qui dirige un grand partenariat financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada sur les problématiques de la qualité dans les édifices et lieux publics. «Ça montre un problème systémique, où la pensée dominée par des “standards” ne correspond finalement à personne», remarque Laurène Smith.

C’est en diffusant ces recherches et en écoutant les témoignages des groupes touchés que les villes pourront être plus inclusives, même en temps de fête. «Être en mesure de comprendre, penser et concevoir de façon inclusive commence par le fait d’inclure des représentants de la diversité en amont des processus», croit Jean-Pierre Chupin, qui note que ces personnes sont absentes des évènements festifs non par manque d’intérêt, mais parce que les lieux ne sont pas accessibles. 

Ainsi, les bonnes intentions ne suffisent pas. «La notion d’inclusion n’est pas une valeur associée au wokisme, c’est d’abord un constat d’échec, et seule la cartographie systématique des expériences vécues dans l’espace public pourra infléchir les résistances et ouvrir les mentalités», conclut-il.

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