Expliquer la revictimisation sexuelle chez les adolescentes agressées dans l’enfance

En 5 secondes Une étude montre comment le stress post-traumatique et la consommation de substances augmentent le risque de revictimisation sexuelle chez les adolescentes.
Certaines adolescentes ayant subi des abus sexuels dans l’enfance sont plus à risque d’être à nouveau victimes de tels actes de violence à l’adolescence.

Pourquoi certaines filles ayant subi des abus sexuels dans l’enfance sont-elles plus à risque d’être à nouveau victimes de tels actes de violence à l’adolescence? 

Une étude menée auprès de quelque 4000 adolescentes québécoises met en lumière deux facteurs qui contribuent à augmenter ce risque: les symptômes de stress post-traumatique et la consommation d’alcool et de drogue. 

Cette étude a été réalisée par Queeny Pognon, doctorante au Département de psychologie de l’Université de Montréal, et sa directrice, Isabelle Daigneault, ainsi que Valérie Théorêt, postdoctorante en criminologie à l’UdeM, et Martine Hébert, professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal. 

 

Une question née du terrain

«J’ai commencé à travailler auprès de victimes d’agressions sexuelles dès mon baccalauréat en psychologie», confie Queeny Pognon. Elle a ainsi rencontré des adolescentes qui, après de premiers abus sexuels durant l’enfance, étaient revenues en thérapie après avoir été victimes d’autres agressions sexuelles. «Je voulais comprendre pourquoi ces situations se reproduisaient et comment on pouvait agir pour diminuer leur risque de revivre de la violence sexuelle», déclare-t-elle. 

En explorant la littérature scientifique, elle découvre que près d’une fille sur deux ayant subi des abus sexuels dans l’enfance risque d’en vivre à nouveau au cours de sa vie. Les recherches montrent que l’adolescence et l’âge adulte figurent parmi les périodes où le risque d’agressions sexuelles est particulièrement élevé. «C’est extrêmement choquant, dit-elle. On parle de jeunes filles qui revivent ce type de violence. Mon but était de trouver des leviers pour leur redonner du pouvoir.» 

Une étude auprès de 4000 adolescentes

L’étude repose sur une vaste base de données recueillies en 2011 auprès d’élèves du secondaire à travers le Québec, un échantillon représentatif de milieux francophones et anglophones, publics et privés. Queeny Pognon s’est concentrée sur 3985 adolescentes âgées de 14 à 18 ans qui ont vécu au moins un évènement adverse dans l’enfance, comme de la négligence, de la violence physique ou sexuelle. 

Les participantes ont répondu à un questionnaire portant sur différents types de violence sexuelle: les agressions avec contact, mais aussi le harcèlement sexuel, souvent minimisé dans la recherche. «Le harcèlement sexuel est une forme de violence qu’on banalise trop souvent, rappelle la chercheuse. On pense que c’est “moins grave”, mais ses effets sur l’estime de soi, l’image corporelle et la santé mentale sont bien là, surtout à l’adolescence, lorsqu’on cherche à se construire.» 

Ainsi, chez les adolescentes ayant été victimes d’abus sexuels dans l’enfance, 35 % ont à nouveau été victimes de violence sexuelle avec contact (par exemple une tentative de pénétration), contre 7 % chez celles n’ayant pas été agressées sexuellement durant leur enfance. «C’est énorme, souligne Queeny Pognon. Et pour le harcèlement sexuel, le premier groupe d’adolescentes y est presque deux fois plus exposé.» 

Le rôle du stress post-traumatique et de la consommation

Pour comprendre ces chiffres, Queeny Pognon et ses collègues ont examiné le rôle du stress post-traumatique et de la consommation de substances dans la revictimisation sexuelle. 

«Les adolescentes ayant été victimes d’abus sexuels présentent plus souvent des symptômes de stress post-traumatique: hypervigilance, cauchemars, dissociation, évitement… Et elles sont également plus susceptibles de consommer de l’alcool ou de la drogue», explique Queeny Pognon. Or, ces deux éléments sont associés à un risque plus élevé de revictimisation. 

Les symptômes de stress post-traumatique peuvent altérer la capacité à reconnaître le danger ou à réagir dans une situation à risque de violence sexuelle. La consommation, souvent utilisée pour apaiser la détresse, peut quant à elle exposer les jeunes filles à des contextes moins sécuritaires. 

Mais Queeny Pognon tient à préciser que «ce n’est pas parce que l’on consomme ou qu’on manifeste des symptômes qu’on “provoque” la violence. La responsabilité incombe toujours aux agresseurs. Ces facteurs ne sont pas des causes, mais des conséquences de la violence sexuelle subie dans l’enfance qui sont exploitées par les personnes qui commettent des agressions sexuelles». 

Une dimension sociale et culturelle

Pour la chercheuse, ces résultats ont également d’autres origines. «Durant leur enfance, on apprend aux filles à être gentilles, à éviter les conflits, à taire leurs besoins. On leur apprend moins à poser leurs limites», observe-t-elle. 

Dans ce contexte, certaines adolescentes peuvent banaliser des comportements inappropriés ou hésiter à reconnaître une situation d’abus, surtout quand l’agresseur est une personne de confiance, ce qui est malheureusement fréquent. Cette difficulté à reconnaître les comportements à risque de violence sexuelle se pose particulièrement chez les jeunes filles ayant subi une agression sexuelle durant l’enfance. Ce type d’expérience peut, en effet, altérer leurs croyances envers elles-mêmes, le monde et la sexualité, ce qui peut amener une normalisation inconsciente des relations sexuelles moins consensuelles par exemple. 

«La violence sexuelle s’inscrit dans une culture où certains comportements sont tolérés et où les victimes se sentent encore jugées ou blâmées. C’est une culture qu’il faut changer, on doit déconstruire les mythes reliés à la violence sexuelle», fait remarquer la doctorante. 

Redonner un pouvoir d’agir

Au cœur du projet de recherche de Queeny Pognon, il y a la volonté de rompre le sentiment d’impuissance souvent ressenti par les adolescentes victimes d’agressions sexuelles. «Beaucoup ont l’impression que c’est de leur faute ou qu’elles ne pourront jamais s’en sortir. Travailler sur les conséquences modifiables – comme le stress post-traumatique ou la consommation –, c’est une façon de leur redonner du pouvoir», mentionne-t-elle. 

Les pistes d’intervention ne manquent pas. La thérapie cognitivo-comportementale axée sur le trauma s’est montrée efficace pour atténuer les symptômes de stress post-traumatiques chez les jeunes. Les groupes de soutien entre survivantes peuvent aussi aider. «Être dans un environnement avec des personnes qui ont traversé cette même réalité, pouvoir se confier dans un environnement qui est sécuritaire, ça peut permettre de diminuer un peu ces séquelles et de se sentir mieux accompagnée, moins seule dans cette situation-là», illustre la chercheuse. 

«Mon but n’est pas de montrer du doigt les adolescentes agressées sexuellement, mais de mieux comprendre les mécanismes de la revictimisation sexuelle pour mieux les soutenir, insiste la chercheuse. La prévention doit se faire sur plusieurs plans: celui des symptômes pour réduire leur souffrance et leur redonner du pouvoir, celui de l’entourage et de la communauté des survivantes et, surtout, celui des normes sociales qui permettent encore trop souvent à la violence d’exister.» 

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