Sa journée de travail terminée, le jeune Nikian a avalé un comprimé avant d’aller rejoindre ses amis au parc. Il croyait avoir pris du Dilaudid, un analgésique à base d’hydromorphone. Mais la pilule, contrefaite, contenait en réalité un nitazène, un opioïde de synthèse des centaines de fois plus puissant que la morphine. L’adolescent de 19 ans ne s’est jamais réveillé.
«L’histoire de mon fils rappelle tragiquement celle du jeune Mathis Boivin, décédé après avoir obtenu de la drogue du même fournisseur», confie Phoudsady Vanny, diplômée en arts et sciences de l’Université de Montréal. Pour elle, il est urgent de mieux informer les jeunes et leurs parents et, surtout, de cesser de stigmatiser les adolescents qui expérimentent. «La mort de mon fils a été un réveil brutal: la crise des surdoses ne se limite pas au quartier Milton-Parc. Elle touche tous les quartiers, même les plus privilégiés. Et si cela est arrivé dans notre famille, cela peut arriver à n’importe qui», dit-elle.
Transformer la douleur en action
Depuis cette tragédie, Phoudsady Vanny cherche à briser les tabous entourant ce sujet afin de prévenir d’autres drames. Elle estime que les causes, multiples et complexes, mériteraient d’être mieux comprises pour éviter que de telles situations se reproduisent. «Mère de cinq enfants d’âge différent, je constate d’une génération à l’autre combien l’environnement devient de plus en plus difficile avec les changements politiques, écologiques et économiques, explique-t-elle. Certains jeunes se demandent comment ils vont subvenir à leurs besoins, s’ils vont être capables un jour d’avoir une maison. Parfois, même un chagrin d’amour à l’école peut déclencher de grandes souffrances. Alors, tragiquement, certains finissent par ne plus avoir envie de penser à tout ça et cherchent à fuir un peu la réalité et à s’anesthésier de la vie.»
Au fil des mois, elle a choisi de transformer sa douleur en action. «Je fais le choix de rester du côté des vivants, raconte-t-elle. Et quand mon plus jeune fils, qui avait alors 10 ans, a dit à la mort de son frère cette phrase bouleversante: “Maman, Nikian a été sacrifié pour qu’on sauve d’autres enfants”, ça m’a portée.» Elle marque une pause. «Ça m’a portée très loin. Et je me suis dit que je devais agir», ajoute-t-elle.
C’est ainsi qu’elle est partie à la rencontre de spécialistes, comme Jean-Sébastien Fallu, professeur en psychoéducation à l'Université de Montréal, pour mieux comprendre les causes profondes de la crise des surdoses et réfléchir à des pistes d’action.
Depuis, on l’a entendue sur des plateaux télévisés, à la radio, dans les journaux, mais aussi dans les écoles, où elle sensibilise les élèves aux dangers des opioïdes et aux réalités de la consommation adolescente. Et elle milite activement à l’échelon politique sur ce sujet. «Il faut que tout le monde soit au courant, que les parents sachent ce que leurs enfants consomment. Parce que ça commence avec les produits qu’on a simplement dans sa pharmacie comme de la codéine, des sirops contre le rhume qu’on peut mélanger avec de la liqueur. Alors il faut, à un moment donné, se regarder et faire preuve de bienveillance. Ne pas stigmatiser l’enfant qui consomme ou qui expérimente», déclare-t-elle.
Elle insiste sur notre responsabilité collective: «Quand vous voyez qu’un ami de votre enfant ne semble pas bien, vous pouvez lui demander comment ça va. Vous pouvez passer un coup de fil à l’autre parent aussi. On parle tout le temps de “village pour élever un enfant”, mais peu de personnes appliquent ce concept. Il faut qu’on y retourne. C’est par cette ouverture du cœur que les enfants ne se sentiront pas jugés.»