Mieux comprendre la crise des surdoses

En 5 secondes Après le décès de son fils, Phoudsady Vanny a choisi d’agir. Son témoignage et celui du professeur Jean-Sébastien Fallu rappellent l’urgence de mieux comprendre et de prévenir les surdoses.
Selon Jean-Sébastien Fallu, la première étape pour mieux intervenir consiste à comprendre quelles sont les substances qui circulent,  où est-ce qu'elles circulent et de quelle façon.

Sa journée de travail terminée, le jeune Nikian a avalé un comprimé avant d’aller rejoindre ses amis au parc. Il croyait avoir pris du Dilaudid, un analgésique à base d’hydromorphone. Mais la pilule, contrefaite, contenait en réalité un nitazène, un opioïde de synthèse des centaines de fois plus puissant que la morphine. L’adolescent de 19 ans ne s’est jamais réveillé. 

«L’histoire de mon fils rappelle tragiquement celle du jeune Mathis Boivin, décédé après avoir obtenu de la drogue du même fournisseur», confie Phoudsady Vanny, diplômée en arts et sciences de l’Université de Montréal. Pour elle, il est urgent de mieux informer les jeunes et leurs parents et, surtout, de cesser de stigmatiser les adolescents qui expérimentent. «La mort de mon fils a été un réveil brutal: la crise des surdoses ne se limite pas au quartier Milton-Parc. Elle touche tous les quartiers, même les plus privilégiés. Et si cela est arrivé dans notre famille, cela peut arriver à n’importe qui», dit-elle. 

 

Transformer la douleur en action 

Depuis cette tragédie, Phoudsady Vanny cherche à briser les tabous entourant ce sujet afin de prévenir d’autres drames. Elle estime que les causes, multiples et complexes, mériteraient d’être mieux comprises pour éviter que de telles situations se reproduisent. «Mère de cinq enfants d’âge différent, je constate d’une génération à l’autre combien l’environnement devient de plus en plus difficile avec les changements politiques, écologiques et économiques, explique-t-elle. Certains jeunes se demandent comment ils vont subvenir à leurs besoins, s’ils vont être capables un jour d’avoir une maison. Parfois, même un chagrin d’amour à l’école peut déclencher de grandes souffrances. Alors, tragiquement, certains finissent par ne plus avoir envie de penser à tout ça et cherchent à fuir un peu la réalité et à s’anesthésier de la vie.» 

Au fil des mois, elle a choisi de transformer sa douleur en action. «Je fais le choix de rester du côté des vivants, raconte-t-elle. Et quand mon plus jeune fils, qui avait alors 10 ans, a dit à la mort de son frère cette phrase bouleversante: “Maman, Nikian a été sacrifié pour qu’on sauve d’autres enfants”, ça m’a portée.» Elle marque une pause. «Ça m’a portée très loin. Et je me suis dit que je devais agir», ajoute-t-elle. 

C’est ainsi qu’elle est partie à la rencontre de spécialistes, comme Jean-Sébastien Fallu, professeur en psychoéducation à l'Université de Montréal, pour mieux comprendre les causes profondes de la crise des surdoses et réfléchir à des pistes d’action. 

Depuis, on l’a entendue sur des plateaux télévisés, à la radio, dans les journaux, mais aussi dans les écoles, où elle sensibilise les élèves aux dangers des opioïdes et aux réalités de la consommation adolescente. Et elle milite activement à l’échelon politique sur ce sujet. «Il faut que tout le monde soit au courant, que les parents sachent ce que leurs enfants consomment. Parce que ça commence avec les produits qu’on a simplement dans sa pharmacie comme de la codéine, des sirops contre le rhume qu’on peut mélanger avec de la liqueur. Alors il faut, à un moment donné, se regarder et faire preuve de bienveillance. Ne pas stigmatiser l’enfant qui consomme ou qui expérimente», déclare-t-elle. 

Elle insiste sur notre responsabilité collective: «Quand vous voyez qu’un ami de votre enfant ne semble pas bien, vous pouvez lui demander comment ça va. Vous pouvez passer un coup de fil à l’autre parent aussi. On parle tout le temps de “village pour élever un enfant”, mais peu de personnes appliquent ce concept. Il faut qu’on y retourne. C’est par cette ouverture du cœur que les enfants ne se sentiront pas jugés.» 

 

Comprendre pour prévenir

Pour le professeur Jean-Sébastien Fallu, cette crise est avant tout une crise de santé publique. «Les ressources que l’on consacre à cette crise n’ont aucune commune mesure avec les besoins, observe-t-il. On agit souvent trop tard, et la stigmatisation empêche encore beaucoup de jeunes et de familles d’en parler ouvertement ou de demander de l’aide lorsque c’est nécessaire.» 

Selon lui, au-delà du courage pour agir rationnellement sur des sujets controversés et de la mise en œuvre de solutions novatrices, la première étape pour mieux intervenir consiste à comprendre la réalité: quelles substances circulent, où et comment. Or, les données disponibles au Québec demeurent partielles et datent parfois. 

«La crise évolue très vite. Les produits changent, les habitudes d’usage aussi. Si l’on ne suit pas ces tendances de près, on risque de se tromper de cible ou d’agir à contretemps», mentionne-t-il. 

Phoudsady Vanny partage cette conviction: «J’aimerais qu’on distribue chaque année, de façon anonyme, davantage de questionnaires dans les écoles. Il faudrait savoir ce que les jeunes consomment, depuis quand et avec qui. Ça permettrait de mieux comprendre les tendances et de mieux accompagner les jeunes.» Jean-Sébastien Fallu précise qu’«il y a bien des questionnaires que les jeunes remplissent environ tous les deux ans, mais l’échantillon est malheureusement trop restreint. On peut alors seulement dégager des tendances générales pour les substances les plus courantes. Les consommations émergentes ou moins répandues passent souvent sous le radar, même si elles sont significatives en nombre absolu et en termes de risques». 

Le rôle clé de la recherche 

Pour que ces paroles citoyennes trouvent un véritable écho, la recherche doit pouvoir suivre le rythme du terrain. Pour Jean-Sébastien Fallu, une approche intégrée alliant surveillance, recherche et prévention permettra d’avancer. 

«Un véritable suivi scientifique des usages des drogues permettrait de repérer plus rapidement les nouvelles tendances et d’adapter nos interventions. C’est la base de toute stratégie de santé publique: savoir ce qui se passe, où et pourquoi», affirme-t-il. 

Un maillage entre la recherche, les écoles, les services de santé et les organismes communautaires permettrait ainsi de transformer les connaissances scientifiques en actions: programmes de prévention, outils d’éducation, accompagnement des familles et des jeunes à risque. Et pour Jean-Sébastien Fallu comme pour Phoudsady Vanny, cela passe par une approche et une éducation positives en matière de drogues.

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