La santé mentale des jeunes Québécois s’est légèrement détériorée en 30 ans

En 5 secondes La détresse émotionnelle et l'hyperactivité chez les enfants de 11 ans ont augmenté légèrement de 1993 à 2022, selon une étude dirigée par Sylvana Côté, de l’UdeM.
La professeure Sylvana Côté recommande des interventions préventives adaptées aux difficultés ciblées par les écoles tout en soulignant que les garçons ont davantage besoin de soutien que les filles.

Anxiété, nervosité, difficultés de concentration: les symptômes de détresse émotionnelle chez les enfants québécois de 11 ans ont légèrement augmenté de 1993 à 2022. 

C'est ce que révèle une étude réalisée par Ophélie A. Collet, sous la direction de Sylvana Côté, professeure à l'École de santé publique de l'Université de Montréal et chercheuse au CHU Sainte-Justine, et dont les résultats ont été publiés dans la revue European Child & Adolescent Psychiatry. L’étude repose sur l’analyse de données relatives à près de 7000 enfants âgés de 11 ans, répartis en trois cohortes représentatives, soit les années 1993, 2009 et 2022. 

Ces données proviennent de l’Étude longitudinale des enfants de maternelle au Québec, lancée en 1986, l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec, amorcée en 1997, et l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle, entamée en 2016.

 

Le regard des enseignants comme baromètre 

Selon Sylvana Côté, la force de cette étude réside dans l'utilisation du même questionnaire validé, sur trois décennies, au sein de populations représentatives d’enfants.  

«Les enseignants et enseignantes ont un sens du normatif, explique la professeure. Parce qu'ils sont en présence d'un grand nombre d'enfants chaque année, ils sont à même de pouvoir relativiser leur évaluation, de voir les différences entre les comportements des uns et des autres.» 

Le questionnaire sur les comportements sociaux évalue 18 comportements répartis en trois dimensions distinctes. La détresse émotionnelle englobe l'anxiété élevée, l'inquiétude, la nervosité, la tristesse et la tension. Les symptômes d'hyperactivité comprennent l'agitation, la distraction, l'impulsivité et les difficultés de concentration. Enfin, les comportements perturbateurs regroupent l'agressivité, la désobéissance et les conflits avec les autres. 

Chaque enseignante ou enseignant a évalué ses élèves sur une échelle de trois points, selon que les comportements observés au cours des six derniers mois étaient absents, occasionnels ou fréquents. Cette standardisation permet une comparaison directe à travers les décennies, éliminant les biais liés aux changements de critères diagnostiques. 

Une augmentation modeste mais constante

Les résultats révèlent que la détresse émotionnelle et les symptômes d'hyperactivité ont augmenté de 1993 à 2009 et de 2009 à 2022. Les comportements perturbateurs n’ont pas bougé.  

Toutefois, l'ampleur de ces changements demeure modeste. Pour arriver à ce constat, l’équipe de recherche a calculé ce qu'on appelle les «tailles d'effet de Cohen», une mesure qui indique l'importance pratique d'une différence indépendamment de la taille de l'échantillon. 

Pour la détresse émotionnelle, la taille d’effet était de 0,26 entre 1993 et 2009 et de 0,12 entre 2009 et 2022 – des effets classés comme «très petits à petits». Bien que les différences soient statistiquement significatives, l'ampleur réelle du changement reste donc modérée. Ces différences minimes additionnées sur trois décennies montrent néanmoins une tendance observable sur le plan populationnel. 

Fait à noter, les comportements perturbateurs chez les enfants ont évolué différemment: ils ont augmenté de 1993 à 2009, mais ont diminué de 2009 à 2022. Les enfants qui avaient 11 ans en 2022 frappaient, mordaient et se bagarraient donc moins que ceux de 2009, bien que leurs comportements perturbateurs aient été plus élevés que ce qui était rapporté en 1993. 

 

Les inégalités sociales persistent 

Dans toutes les cohortes étudiées, les enfants issus de milieux défavorisés présentent des symptômes plus élevés dans toutes les dimensions, comparativement aux enfants de ménages favorisés. «Ces premiers sont les plus touchés, mais il n'y a pas d'augmentation dans les écarts, ce qui est en soi une bonne nouvelle», souligne Sylvana Côté.  

Les garçons éprouvent globalement plus de difficultés que les filles, selon le personnel enseignant du primaire, c’est-à-dire qu’ils affichent davantage de symptômes d'hyperactivité et de comportements perturbateurs.  

Cependant, aucune différence significative n'a été observée entre les garçons et les filles sur le plan de la détresse émotionnelle. Cela viendrait du fait qu’il s’agit d’enfants prépubères et que les différences entre les sexes apparaissent au cours de l’adolescence.  

 

Plusieurs hypothèses à explorer 

Comment expliquer cette augmentation des symptômes de détresse émotionnelle? 

Sylvana Côté avance plusieurs pistes de réflexion. D'abord, il est possible qu'on parvienne à mieux reconnaître les symptômes qu'auparavant et que ceux-ci entraînent moins de stigmatisation. Il y a eu, au cours des dernières décennies, une sensibilisation accrue aux problèmes de santé mentale en général et à la détresse psychologique en particulier. Lorsque l’on connaît mieux un problème, on le détecte plus facilement.   

«Il y a aussi une amélioration dans la prise en charge des symptômes d’hyperactivité et d’inattention, notamment par la médication, précise-t-elle. Et pour qu’on s’occupe des enfants qui en souffrent, on doit savoir dépister le problème.» 

L'augmentation est peut-être aussi en partie attribuable à un contexte scolaire et social plus exigeant. «Nos attentes quant à la performance scolaire des enfants d’aujourd’hui sont différentes de celles d’il y a 30 ans», ajoute-t-elle.  

Par ailleurs, il est possible que la santé mentale des enfants se soit réellement détériorée avec le temps. «À titre d’exemple, chez les 12 à 18 ans, on note une hausse des visites à l’urgence, ce qui indique une véritable détérioration de la santé mentale chez les jeunes», souligne Sylvana Côté.  

Selon elle, les décideurs devraient soutenir des interventions préventives fondées sur les meilleures pratiques et qui répondent aux besoins ciblés par les écoles. «Nous devons accorder une attention particulière à nos garçons, qui sont plus nombreux que les filles à avoir besoin de soutien», conclut la professeure.

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