Du béton aux arbres à Québec: les résidants disent oui, mais la ville doit suivre

En 5 secondes Une étude éclaire les défis du verdissement et du dépavage à Québec. Alors que les citoyens y sont favorables, la municipalité est confrontée à de multiples freins organisationnels.
Une étude éclaire les défis du verdissement et du dépavage à Québec.

Pourquoi est-ce si difficile de dépaver et de verdir nos villes? Pour le découvrir, une équipe de chercheurs a mené une étude sur ce sujet à Québec. Financée par la Ville dans le cadre du Plan pour une économie verte du gouvernement du Québec et réalisée en collaboration avec l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) par Pierre Paul Audate, professeur au Département de géographie de l’Université de Montréal, Maxime Boivin, conseillère scientifique spécialisée à l’INSPQ, et Geneviève Cloutier, professeure en aménagement du territoire et développement régional  à l’Université Laval, l'étude visait à analyser les freins et les leviers dans la conception et le démarrage de projets de verdissement et de dépavage en milieu urbain.  

En menant 18 entrevues avec des acteurs clés de la Ville de Québec et d'organismes partenaires, et en sondant 770 résidants, l’équipe a mis au jour une réalité paradoxale: les citoyens sont largement favorables au verdissement, mais ce sont entre autres les structures institutionnelles qui limitent sa mise en œuvre effective. 

Un soutien citoyen massif et sous-estimé

Étonnamment, les citoyens ne sont pas un frein au verdissement. L'étude révèle un soutien populaire substantiel: environ 80 % des répondants ont exprimé un appui modéré ou élevé à des projets de verdissement.  

Les résidants sont même prêts à perdre une partie de leurs places de stationnement. L'étude montre que «près de 50 % des personnes sondées sont prêtes à perdre jusqu’à 25 % de cases de stationnement pour qu’il y ait plus de projets de ce type», souligne Pierre Paul Audate, auteur principal de l'étude. Et ce, même si près de la moitié d'entre elles utilisent la voiture comme mode de transport principal. 

Ce constat contraste avec la perception de certains employés municipaux. L’un des principaux obstacles relevés tient justement à la conviction que les résidants refuseront certaines mesures, comme le dépavage. Plusieurs commentaires recueillis en entrevue vont en ce sens, par exemple «Les gens ne renonceront jamais à leur deuxième place de stationnement pour qu’on plante un arbre». Or, l’enquête auprès des citoyens démontre que cette crainte, bien que compréhensible, n’est pas entièrement fondée.

Des silos et des messages contradictoires

Si les résidants sont partants, qu'est-ce qui coince? Le principal obstacle se trouve au cœur même de l'organisation. L'étude dépeint une «structure décisionnelle en silo», dit Pierre Paul Audate. Les grandes orientations sont décidées en haut lieu, mais les équipes techniques, qui possèdent l'expertise pratique, ne sont pas toujours consultées en amont. Heureusement, une solidarité existe sur le terrain: «il y a une structure décisionnelle plutôt horizontale où les différentes équipes vont échanger de l'information, partager des ressources. Mais cette collaboration est informelle», précise le professeur. Cette collaboration dépend donc de la bonne volonté des individus plutôt que d'un processus clair et intégré.

À cela s'ajoute l'argent, le nerf de la guerre. Le verdissement est souvent perçu comme une dépense plutôt qu'un investissement rentable. «La plantation d'arbres et l'amélioration de la canopée n’entraînent pas de retours financiers directs», a-t-on confié aux chercheurs. Ce raisonnement économique à court terme met ces projets en concurrence avec d'autres priorités jugées plus urgentes.

Enfin, ces types de projets se heurtent parfois à des règles contradictoires. Pierre Paul Audate illustre ce paradoxe: «On peut avoir une règlementation pour limiter au minimum les cases de stationnement et une autre qui va imposer l’utilisation de plus de béton. C'est un message contradictoire.»

La force de l'habitude et le manque de connaissances

Au-delà des structures, il y a les individus. Une certaine «résistance au changement» a été observée chez certains employés «habitués à faire des infrastructures en béton» et qui s'inquiètent de l'effet des végétaux sur la durabilité des ouvrages. De plus, un manque de connaissances techniques sur les méthodes de verdissement modernes peut freiner l'innovation. 

Du côté des résidants, la perception est inverse: ils ne comprennent pas toujours pourquoi il est si compliqué de planter plus d'arbres. «Les gens ne sont pas conscients de la difficulté de mettre en œuvre ce type de projet», note un participant interrogé.

Les leviers d'action: comment accélérer la transition verte?

Loin d'être pessimiste, l'étude met en lumière de puissants leviers de changement. 

Le plus spectaculaire est le pouvoir de l'information. Dans le cadre du sondage, l’équipe de recherche a présenté des affiches expliquant les bienfaits du verdissement. Parmi les participants qui n’étaient pas très favorables au départ à ce type de projet, 35 % ont changé d'avis pour le mieux. L'argument le plus convaincant? Celui de la santé. Communiquer clairement les avantages du verdissement est donc une stratégie gagnante. 

Un autre signe encourageant vient de l'intérieur même de l'administration. «Il y a de plus en plus de jeunes qui arrivent avec de nouvelles idées. Souvent ils vont avoir une sensibilité environnementale beaucoup plus élevée par rapport à l'ancienne génération», fait remarquer un participant de l’étude.  

Devant ces constats, la recommandation principale est claire: le verdissement doit devenir une priorité organisationnelle, inscrite dans les budgets et les processus. Il faut changer de paradigme et cesser de voir ces projets comme un coût. Comme le plaide Pierre Paul Audate, «les bienfaits environnementaux et d'autres avantages en lien avec la santé doivent être bien plus valorisés. Et il faut avoir cette vision que c'est un investissement qu'on fait au profit de la santé et du bien-être des citoyens».

Les résidants souhaitent un changement. Le défi est d'aligner la perspective de l’administration sur cette volonté collective. Des projets tels que le verdissement urbain ou le dépavage contribuent directement à la lutte contre les changements climatiques, en réduisant notamment les risques d’inondation liés à l’imperméabilisation des sols et à la dégradation de certaines rues. Comme le conclut Pierre Paul Audate, les municipalités sont en première ligne et «doivent jouer un rôle beaucoup plus proactif dans la lutte contre les changements climatiques». 

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