Cartographier l’accessibilité pour transformer la ville
- UdeMNouvelles
Le 14 janvier 2025
- Virginie Soffer
L’Atlas du projet CAMMM propose une plateforme numérique pour analyser les disparités d’accessibilité dans les villes et promouvoir une meilleure distribution des services.
L’accès inégal aux transports, aux espaces verts, aux services de proximité et à la sécurité urbaine reflète et aggrave souvent les disparités socioéconomiques. L’Atlas du projet CAMMM (Cartographie de l’accessibilité, de la mobilité et de la multimodalité) s'attaque à ces questions en proposant une plateforme numérique consacrée à l’analyse et à la promotion d'une urbanisation plus équitable.
Pensé et mis en œuvre par Carmela Cucuzzella, professeure et doyenne de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, ce projet a vu le jour avec la collaboration d’Anne Cormier, professeure à l’UdeM, et Pierre Gauthier, professeur à l’Université Concordia. L'objectif initial était de comprendre l'accessibilité des transports en commun dans les villes et leurs quartiers.
Le projet se concentre aujourd'hui sur les questions d'accessibilité plus large dans les villes. La doctorante en architecture de l’Université de Montréal Firdous Nizar et le doctorant en urbanisme à l’Université Concordia Omar Ortiz Meraz participent au projet depuis le début et continuent d’assurer le développement du dispositif de recherche et de visualisation. Cet outil bénéficie également du soutien de l'Autorité régionale de transport métropolitain.
Conçu pour être intuitif, l’Atlas permet à divers utilisateurs – chercheurs, urbanistes, résidants – de répondre à des questions complexes sur leur environnement urbain. Un urbaniste peut, par exemple, désigner rapidement les zones mal desservies par les transports, tandis qu’une résidante peut explorer les offres de logement en fonction de la proximité des services essentiels.
Visualiser des disparités et iniquités dans des villes
L’Atlas du projet CAMMM est une plateforme numérique conçue pour analyser et visualiser des données complexes de villes de manière simple. Les données actuellement disponibles concernent les villes de Montréal, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke et Gatineau.
L’Atlas organise les informations en trois niveaux d’analyse:
- Les quartiers: dans ces unités géographiques, il est possible d’évaluer les conditions de vie générales, comme l’accès aux transports, aux espaces verts et aux services essentiels.
- Les pôles de mobilité: ces centres stratégiques relient les différents moyens de transport et jouent un rôle clé dans la connectivité urbaine.
- Les points d’accès: ces localisations précises, comme les stations de métro ou les arrêts de bus, sont analysées pour leur contribution à l’équité spatiale.
L’Atlas prend en compte plusieurs dimensions pour estimer et comparer l’équité spatiale entre les territoires. Il analyse l’accessibilité multimodale en examinant l’offre de transport en commun, les réseaux cyclables et les installations piétonnières. Ainsi, l’arrondissement de Dollard-Des Ormeaux–Roxboro, qui ne comporte ni station de métro ni station de train, est évalué à 2 sur 10 pour sa multimodalité, ce qui laisse entrevoir un fort potentiel d’expansion.
L’Atlas intègre également la proximité des services en mesurant la distance à laquelle les résidants se trouvent des services essentiels tels que les épiceries, les cliniques et les écoles. La dimension des espaces verts est aussi examinée, incluant leur disponibilité, leur accessibilité et la couverture végétale des quartiers. Enfin, l’Atlas estime l’accessibilité universelle en s’assurant de la conformité des installations destinées aux personnes à mobilité réduite afin de garantir des environnements inclusifs.
Mesurer l’accessibilité urbaine
L’analyse de l’accessibilité, qu’il s’agisse des transports, des services ou tout simplement du déplacement des piétons, révèle des disparités marquées entre les quartiers urbains. «Si l’on considère l’accessibilité dans sa définition la plus large – accès aux épiceries, aux espaces verts, à la sécurité ou à une mobilité diversifiée –, des secteurs comme Le Plateau-Mont-Royal ou le Mile End se distinguent par leur haute accessibilité», souligne Carmela Cucuzzella. Ces quartiers bénéficient d’une proximité des services essentiels et d’une offre variée de moyens de transport.
En revanche, des secteurs comme Westmount, malgré leurs nombreux parcs et espaces verts, présentent des défis particuliers. «Westmount est bâti sur une montagne. L’accès aux aménagements piétonniers et aux transports en commun comme le métro est plus difficile», déclare la professeure. Ces contrastes montrent l’intérêt de l’Atlas, un outil capable de comparer les qualités urbaines à des échelles variées: quartier, ville, voire région.
Chaque requête soumise à l’Atlas apporte des résultats qui permettent d’analyser en détail les caractéristiques d’un territoire. «La force de cet outil, c’est bien d’offrir une compréhension fine des différences entre les quartiers. En combinant les données issues des requêtes, on pourra à terme élaborer un indice global d’équité spatiale», poursuit-elle. Cette approche ouvre des perspectives pour mieux comprendre et atténuer les inégalités urbaines en matière d’accès aux services essentiels.
Des données publiques au service de la communauté
Le projet CAMMM utilise des données ouvertes pour construire ses analyses. Les informations proviennent de sources comme les fichiers GTFS (General Transit Feed Specification), qui offrent une description détaillée des horaires et des itinéraires du transport en commun, les cartes d’OpenStreetMap – une base de données collaborative en libre accès – ainsi que des données municipales et provinciales sur les infrastructures, la densité urbaine et les caractéristiques des quartiers.
Pour l’avenir, l’équipe envisage d’intégrer d’autres indicateurs, comme le coût moyen du logement. «Cela permettrait de comprendre comment les dynamiques économiques et sociales influencent l’équité spatiale», précise Carmela Cucuzzella.
Des perspectives prometteuses pour des villes équitables
Le projet CAMMM a pour ambition d’influencer les pratiques d’aménagement et les politiques urbaines en mettant en lumière les zones les moins bien desservies. En ciblant ces secteurs, il a pour objectif de réduire les inégalités spatiales et d’encourager une distribution plus équitable des services. De plus, la plateforme pourrait favoriser la collaboration entre les décideurs publics et les promoteurs pour concevoir des projets d’aménagement inclusifs tout en sensibilisant la population aux caractéristiques et aux possibilités offertes par son environnement urbain.
Dans une phase ultérieure, un tel outil d’évaluation et de visualisation devrait permettre de constituer un indice d’équité spatiale, une sorte d’indicateur composite capable de résumer la performance d’une ville ou d’un quartier en termes d’accès aux services et de qualité de l’offre. «Bien que nous n’en soyons pas encore là, l’idée d’un indice global est un objectif que nous envisageons sérieusement. Ce serait un moyen puissant d’informer les divers acteurs sur les questions d’équité et d’accessibilité dans nos villes», conclut la professeure Cucuzzella.