La qualité en architecture, urbanisme et paysage

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Le professeur Gonzalo Lizarralde présente son livre «La qualité en architecture, urbanisme et paysage: théories et pratiques critiques».

Dans La qualité en architecture, urbanisme et paysage: théories et pratiques critiques, Gonzalo Lizarralde, professeur à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, propose une réflexion sur les transformations actuelles de nos villes et les débats qu’elles suscitent. Devant les défis majeurs que représentent les changements climatiques, la dégradation écologique accélérée et les inégalités sociales, le professeur d’architecture nous invite à redéfinir la notion de qualité en architecture tout en réévaluant les concepts d’urgence, de nécessité et de viabilité. 

Nous nous sommes entretenus avec lui.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre?

Il existe un intérêt grandissant au Québec pour la qualité du cadre bâti. En témoignent l’adoption récente par le gouvernement de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, le lancement d’un programme pour la qualité à la Ville de Montréal, la multiplication d’éditoriaux sur le sujet et l’adoption de plusieurs pratiques visant la qualité, qu’il s’agisse de modélisations, de certifications, de pratiques collaboratives, etc.  

Or, il y a encore peu de balises théoriques et peu de données empiriques sur la portée de ces pratiques. De plus, les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, tels que les changements climatiques, l’augmentation des désastres naturels, la crise du logement et les injustices persistantes, n’ont pas nécessairement conduit à une reformulation de notre notion de la qualité de l’aménagement. Faute d’outils, plusieurs praticiens, organisations publiques et privées et décideurs adoptent des idées «prêt-à-porter» sans connaître leur véritable effet. Sans une discussion approfondie sur le sujet, tout peut du coup être perçu comme étant «durable», «résilient», «participatif», «collaboratif» ou «novateur». Nous échappons également la possibilité d’avoir un débat de société sur ce qui est «urgent», «nécessaire» ou carrément «viable» et limitons notre capacité à adopter une position critique quant aux enjeux contemporains.  

Dans ce livre, je cherche à fournir les bases d’une théorie et d’une pratique critiques de la qualité. J’espère ainsi aider à clarifier les concepts et motiver les étudiants, praticiens, décideurs et élus à s’engager dans un débat de société sur les villes, bâtiments et lieux publics que nous voulons avoir aujourd’hui et demain. 

Un beau bâtiment, un édifice inspirant, une signature, une solution répondant aux exigences du client: est-ce ainsi qu’on reconnaît la qualité en architecture? Sinon comment la définir?

Chaque personne a sa propre vision de ce qui est un lieu de qualité. De plus, cette notion évolue dans le temps, influencée par nos expériences, nos connaissances, nos priorités, nos idées de la justice et de la beauté, les pratiques et normes sociales. On peut donc imaginer qu’il y a un nombre infini de notions de la qualité. Mais en réalité, la notion de qualité est comme un gâteau aux carottes: il y a un grand nombre de recettes et un nombre presque illimité de résultats différents. Mais la plupart de ces recettes demandent, à dosage varié, un nombre limité d’ingrédients. Certains gâteaux auront plus de sucre, d’autres moins de cannelle ou plus de noix. Dans ce livre, je révèle que les principales notions de la qualité mobilisent en réalité seulement une douzaine de principes, qui agissent comme les ingrédients d’une recette de cuisine. Nous avons tous nos propres recettes, mais les concepts de base sont souvent les mêmes.  

À la lumière des enjeux contemporains, nous devons certainement actualiser nos recettes. Nous devons reconsidérer non seulement les caractéristiques de l’objet – son esthétique, sa résistance, son usage –, mais aussi celles du processus et de la pratique. Nous devons considérer ce qui est possible des points de vue économique et écologique. Nous devons réfléchir aux conséquences sur les générations futures, sur les espèces à risque et sur les individus et populations les plus vulnérables. Nous devons également naviguer dans des controverses fort difficiles autour de ce qui est «juste» et «essentiel» aujourd’hui et le sera demain. En d’autres mots, nous devons considérer le caractère politique et moral du projet d’architecture, d’urbanisme et de paysage. 

L’innovation dans le secteur de l’aménagement peut-elle être traitée comme dans d’autres industries?

Nous sommes de plus en plus enclins à transférer les notions de l’innovation propres aux produits de consommation aux domaines de l’urbanisme et de l’architecture. Il y a une tendance grandissante à favoriser les villes et bâtiments «intelligents» et les applications mobiles pour les services urbains comme le transport, le loisir ou le logement. Plusieurs concepteurs sont à la recherche de la solution la plus disruptive possible et les entreprises cherchent davantage à utiliser l’intelligence artificielle, la robotisation et la modélisation numérique dans l’élaboration de la ville. Au Québec, il y a une dépendance croissante – et parfois peu nécessaire – aux systèmes mécaniques dans les bâtiments.  

Dans ce livre, j’explique pourquoi l’innovation dans le domaine des produits n’est pas la même chose que l’innovation dans la ville. Les enjeux ne sont pas les mêmes. Par exemple, l’innovation dans l’urbanisme touche des citoyens non consentants dans leur vie collective et civique. Cela diffère de notre consentement au moment d’acheter un téléphone intelligent ou une nouvelle application pour notre usage individuel et privé. Aussi, l’appétit pour la technologie dans le domaine urbain et public est souvent accompagné d’une vision néolibérale de la construction de la ville. L’enjeu est donc éminemment politique. 

Dans un monde qui se réchauffe et dans lequel nous détruisons des écosystèmes à un rythme sans précédent, il est certes indispensable de changer nos façons de faire. Mais nous ne pouvons pas innover sans comprendre la dimension éthique et politique des changements. Toute transformation dans la ville implique des gagnants et des perdants. Il est donc fondamental de considérer les répercussions à court et à long terme pour tous les acteurs. 

À qui destinez-vous ce livre?

Il est destiné aux professionnels: architectes, urbanistes, designers, ingénieurs, architectes de paysage, etc., chercheurs et étudiants du secteur de l’aménagement. Mais j’adresse également plusieurs messages aux décideurs politiques et aux fonctionnaires. La qualité du cadre bâti passe par la consolidation des entreprises donneuses d’ouvrage… de qualité. Nous avons besoin d'institutions publiques fortes, capables de faire face aux pressions du marché et aux intérêts des compagnies. On n'atteint pas la qualité; on ne peut que la chercher. Cela veut dire que la qualité est un travail collectif, une discussion constante sur notre notion du territoire, de l’environnement et de la justice. Ce livre est un appel à entamer ce dialogue de façon transparente et ouverte avec un très grand nombre de parties prenantes. 

À propos de ce livre

Gonzalo Lizarralde, La qualité en architecture, urbanisme et paysage: théories et pratiques critiques, Les Presses de l’Université de Montréal, 2024, 306 p. 

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