Troubles neurologiques fonctionnels ou la fin des maladies imaginaires

En 5 secondes Au CHUM, une équipe traite les troubles neurologiques fonctionnels, où le cerveau se dérègle sans lésion. L’UdeM intégrera le modèle de traitement au cursus des études médicales dès janvier.
L'équipe clinique TNF du CHUM: Dre Laury Chamelian, neuropsychiatre; Jasmine Carlier, doctorante en neurosciences; Dre Ariane Veilleux-Carpentier, neurologue; Dre Arline-Aude Bérubé, neurologue; Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et chercheuse; Noé Martineau, stagiaire en neurosciences; Kevin Ratté, stagiaire en neurosciences; Pierre-Luc Lévesque, physiothérapeute; Dre Karine Garneau, neurologue.

Un cerveau qui se dérègle sans être endommagé. Des symptômes bien réels sans maladie détectable. Au CHUM, une équipe interdisciplinaire traite les troubles neurologiques fonctionnels selon un nouveau modèle scientifique. Et dès janvier, celui-ci fera son entrée dans l’enseignement, pour la première fois au Québec, à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

 

Un matin, tout bascule

Les premiers symptômes sont apparus un matin de novembre 2022: vision floue, étourdissements, engourdissements des mains, nausées. La veille, Meggy Gagliardi s’était divertie pendant quatre heures avec un casque de réalité virtuelle. «J’avais l’impression d’être sur un bateau. Je me tenais littéralement aux murs pour marcher», raconte la femme de 38 ans qui avait pourtant l’habitude de ces expériences immersives.

Trois jours plus tard, devant l’absence d’amélioration de son état, elle se résout à consulter. La médecin de garde évoque alors une sclérose en plaques ou la maladie de Ménière. «Ça nous a mis en état de panique, mon conjoint et moi», dit-elle. Elle est aussitôt mise en arrêt de travail et se voit interdire de conduire.

Peu après, une perte de conscience la mène tout droit à l’hôpital, où elle se heurte au scepticisme des membres du personnel médical. «Tout ce qu’ils ont vérifié, c’est si j’avais la COVID-19 ou si j’étais enceinte», déplore-t-elle. On suspecte des migraines avec aura ou un épuisement postpartum. «Mais moi, je ne me sentais pas épuisée, ajoute-t-elle. Je n’étais pas dépressive. Ce que j’avais perdu, c’était mes moyens physiques!»

Son état se détériore de jour en jour, tandis qu’apparaît une panoplie de symptômes «bizarres». Les écrans, la lecture, la télé, même le téléphone lui donnent le vertige. «Je ne pouvais plus rien faire. Je me sentais prisonnière de mon corps», se souvient-elle. Ses enfants, alors âgés de deux et trois ans, ne comprennent pas pourquoi maman ne peut plus les prendre dans ses bras. «Je n’avais pas la force ni l’équilibre. J’avais le cœur en mille miettes!» confie-t-elle.

Un an d’errance médicale

Au bout d’un an, Meggy Gagliardi est prise de convulsions non épileptiques, allongée sur le plancher du salon. Son conjoint appelle l’ambulance. Le lendemain, le neurologue qui l’examine conclut: «Votre examen d’IRM [imagerie par résonance magnétique] est normal, vos prises de sang aussi. Vous avez peut-être un TDAH [trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité]. Il arrive que des personnes comme vous s’imaginent des choses…»

Abasourdi, son conjoint l’amène au CHUM, où un centre de neurologie spécialisé pourrait enfin l’aider. Après une longue attente, elle est prise au sérieux. L’urgentologue, frappé par son errance médicale, lui prescrit un examen de tomodensitométrie et une électroencéphalographie (EEG).

Deux semaines plus tard, elle rencontre la neurologue Arline-Aude Bérubé, aussi professeure adjointe de clinique au Département de neurosciences de l’Université de Montréal. Le diagnostic tombe: trouble neurologique fonctionnel (TNF). Autrement dit, ses symptômes sont réels, mais son cerveau envoie les mauvais signaux.

Vous avez dit TNF?

Le TNF est une affection du système nerveux qui provoque de vrais symptômes ‒ faiblesse, trouble de la marche, paralysie, tremblements, convulsions, perte de vision ou de sensation ‒ sans qu’aucune lésion ou maladie neurologique soit détectée par les examens habituels (IRM, EEG, analyses sanguines).

Longtemps qualifiées de «malades imaginaires», les personnes atteintes sont de fait aux prises avec une perturbation du fonctionnement cérébral qui brouille la communication entre le corps et l’esprit. «Je n’en avais jamais entendu parler», avoue Meggy Gagliardi, déstabilisée puis soulagée d’avoir enfin un diagnostic.

Réapprendre à marcher et à faire confiance à son corps

En quelques semaines, grâce à un programme de réadaptation sur mesure appliqué par un clinicien* qu’ont formé la Dre Bérubé et son équipe, Meggy Gagliardi réapprend à marcher et retrouve ses gestes du quotidien. «Mon traitement, c’était le Cirque du Soleil!» plaisante-t-elle. Équilibre sur demi-ballon, marche sur poutre ‒ avant, arrière, de côté, yeux ouverts, fermés ‒, exercices cervicaux avec un laser fixé sur la tête pour dessiner des formes… Elle apprend aussi à «parler» à son cerveau: «Ce n’est pas dans ma tête, mais ce n’est pas le bon signal», dit-elle. Les progrès ne se font pas attendre.

Le secret de cette réadaptation éclair? Une équipe interdisciplinaire tissée serrée et un nouveau modèle scientifique qui s’éloigne de la psyché.

*Pour éviter un délai de 9 à 12 mois au CHUM, Meggy Gagliardi a été prise en charge plus rapidement par le physiothérapeute Antoine Deschamps-Laporte, copropriétaire de la clinique Physio Logis.

Du trouble de conversion au cerveau prédictif

«Quand j’ai été formée, au milieu des années 1990, le TNF était perçu comme un problème psychique lié à un conflit intérieur non résolu. On parlait de trouble ou d’hystérie de conversion», relate la Dre Bérubé, rencontrée au CHUM. 

Au cours des années 2010, les neurosciences renversent la perspective. Le TNF bascule vers le modèle du cerveau prédictif ‒ le modèle bayésien ‒, adopté par la communauté scientifique internationale en 2017. Le cerveau est désormais perçu comme un «estimateur statistique» qui anticipe les signaux sensoriels et ajuste nos perceptions selon ses attentes. Mais quand ce mécanisme s’enraye, des symptômes apparaissent sans qu’il y ait la moindre lésion. «On est passé d’un modèle psychologisant à un modèle métacognitif où l’environnement et la relation médecin-patient deviennent déterminants», indique la neurologue.

La naissance d’une clinique pionnière

À peu près à la même époque, le physiothérapeute Pierre-Luc Lévesque, alors à l’Hôpital Notre-Dame, observe lui aussi des cas déroutants de patients paralysés sans lésion ou de convulsions sans activité épileptique. «On pensait que c’était de la simulation ou une quête d’attention. Mais c’était faux. Ces gens souffraient réellement», reconnaît-il aujourd’hui.

En creusant le sujet, et au fil de ses échanges avec la neuropsychiatre Laury Chamelian, il découvre un consensus d'experts publié en 2013 au Royaume-Uni, qui recommande la physiothérapie pour traiter le TNF. À son arrivée au CHUM en 2017, il met sur pied un comité avec les Dres Bérubé et Chamelian. Six mois plus tard, la Clinique des troubles neurologiques fonctionnels du CHUM, première du genre au Québec, accueille ses premiers patients. L’équipe interdisciplinaire (neurologie, psychiatrie, physiothérapie, ergothérapie, neuropsychologie) vise dès lors à rétablir les fonctions atteintes, non à faire disparaître les symptômes.

En 2021, la Clinique adopte officiellement le modèle du cerveau prédictif. Exit, donc, les théories de conversion! Le virage porte ses fruits. «Depuis, les patients comprennent mieux leur trouble, acceptent plus facilement le diagnostic et retrouvent leurs capacités dans 70 % des cas. Parfois, le simple fait de comprendre les mécanismes du trouble suffit à enclencher une amélioration», observe la Dre Bérubé.

Pour Pierre-Luc Lévesque, la réadaptation vise à redonner au cerveau le bon mode d’emploi du corps. «Je nous vois comme des accompagnateurs», dit-il. Ses interventions reposent sur la redirection de l’attention, la reprogrammation des automatismes et la démonstration des capacités réelles: marcher à reculons, jouer au ballon, utiliser un métronome… Quand l’attention se détourne du symptôme, le corps retrouve sa liberté. «On montre aux patients à contrôler leurs symptômes. Chaque réussite leur donne confiance. Le patient devient alors l’acteur de sa propre réadaptation – ce qu’on appelle le concept d'agentivité», explique-t-il.

Chercher pour mieux soigner

L’arrivée de la neuropsychologue Carolane Desmarteaux a donné un nouvel élan à la Clinique. Passionnée de métacognition, la chercheuse étudie comment nos croyances modulent nos perceptions corporelles. «Quelqu’un qui pense trembler tout le temps finit par en être convaincu. La pensée entretient le symptôme», dit-elle. Son projet, mené avec le Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, conjugue l’hypnose, la pleine conscience et la suggestion.

La Clinique compte aujourd’hui neuf spécialistes et plusieurs étudiantes et étudiants en recherche. Le «modèle montréalais» qu’ils construisent commence à attirer l’attention à l’étranger. Au congrès de Vérone, l’équipe a d’ailleurs constaté que peu de cliniques intègrent le modèle bayésien avec autant de profondeur. «Nous faisons de la recherche de traitement pour guérir les gens», insiste Carolane Desmarteaux.

Prochaine étape: l’enseignement

La Clinique des troubles neurologiques fonctionnels du CHUM s’est aussi donné un mandat de sensibilisation et de formation. Elle offre déjà des journées de formation multidisciplinaire, auxquelles a notamment participé le physiothérapeute qui a suivi Meggy Gagliardi. 

Dès janvier 2026, l’équipe ira encore plus loin: la Dre Bérubé donnera à la Faculté de médecine de l’UdeM le premier cours au Québec consacré au TNF, soit un cours obligatoire de trois heures, offert aux étudiantes et étudiants de deuxième année en médecine, sur les maladies complexes et les symptômes médicalement inexpliqués. Son objectif: apprendre à la relève à reconnaître et à traiter ce trouble plus tôt. «Il faut former les soignants avant d’informer le grand public. Sinon, ce sont les patients qui leur apprendront ce qu’est le TNF», souligne-t-elle.

Meggy Gagliardi abonde dans son sens. Maintenant qu’elle a retrouvé ses capacités, elle sensibilise son entourage sur ses médias sociaux. «Mon cerveau avait décidé de se reprogrammer sans ma permission. Ça peut arriver à n’importe qui, du jour au lendemain. La bonne nouvelle? C’est réversible. Je suis la preuve que ce n’était pas dans ma tête et que la réadaptation, ça fonctionne!» conclut-elle.

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