Les effets des nouvelles infrastructures sur l'environnement, sous l’angle de l’informatique et de la géographie
- Forum
Le 4 février 2020
- Martin LaSalle
Le premier d’une série de rendez-vous organisés par la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM a permis d’explorer les défis environnementaux que posent les nouvelles infrastructures.
Il y a un peu plus d’une semaine, la Chine amorçait la construction d’un hôpital qui devait s’échelonner sur seulement 10 jours, capable d’accueillir 1000 patients victimes du coronavirus, dans la ville de Wuhan. À Montréal, commerçants et résidants se souviennent encore avec amertume des travaux de réfection du boulevard Saint-Laurent qui, en 2008, s’étaient étalés sur 13 mois…
Ces deux exemples illustrent parfaitement le thème «Infrastructures sous tension et défis environnementaux» choisi pour marquer une série de rendez-vous organisés par la Faculté des arts et des sciences de l'Université de Montréal et son doyen, Frédéric Bouchard, et dont le premier a eu lieu le 27 janvier.
Animée par la rédactrice en chef du magazine Québec Science, Marie Lambert-Chan, l’activité a permis aux quelque 50 participants d’avoir un aperçu des impératifs de la recherche sur ce thème, à travers l’expertise des professeurs de l’UdeM Kathryn Furlong, du Département de géographie, et Bernard Gendron, du Département d’informatique et de recherche opérationnelle.
Voici un survol de la teneur des échanges, qui étaient dirigés par Mme Lambert-Chan.
La construction d’infrastructures majeures implique différentes prises de décisions qui sont parfois bonnes, parfois moins bonnes… Comment votre discipline permet-elle d’aider les décideurs à mieux planifier les travaux?
Bernard Gendron: Dans le domaine de la recherche opérationnelle, nous considérons les enjeux de la planification et des opérations pour offrir différentes possibilités aux gouvernements, aux municipalités et aux entreprises. Nous parlons ici d’enjeux stratégiques et de la planification de travaux qui s’échelonnent sur quelques années [NDLR: comme le pont Samuel-De Champlain ou l’échangeur Turcot], à partir de l’évolution des clientèles, de la population et de l’environnement.
En fait, notre travail consiste à gérer l’incertitude et, pour ce faire, nous effectuons des calculs de projection relatifs à la transformation des systèmes dans le temps, qui servent à élaborer des modèles de représentation. Ces modèles sont nourris par des données issues du passé – comme l’évolution démographique et celle des quartiers – et de ce qu’on peut envisager pour l’avenir. Ce n’est pas toujours évident!
Pour ce qui est de la recherche en logistique, elle contribue plutôt à la prise de décision à court terme, comme le choix des fournisseurs de matériel, des modes de livraison – notamment pour le dernier kilomètre, c’est-à-dire la distance que le matériel ou le produit doit parcourir à la fin du trajet jusqu’au destinataire, après avoir franchi des centaines, voire des milliers de kilomètres par avion, par bateau puis par train ou par camion: selon l’environnement, on verra à réduire la tension sur le réseau routier et la chaîne logistique en optant pour des véhicules plus petits et plus écologiques.
Qu'en est-il de la géographie?
Kathryn Furlong: En géographie humaine, notre perspective de recherche porte plutôt sur les éléments dont on tient – ou ne tient pas compte au moment de prendre une décision concernant les infrastructures. En général, les infrastructures urbaines sont vues comme un moteur de développement économique et la prise de décision est teintée par la volonté d’attirer des entreprises pour qu’elles investissent. Mais cela ne fonctionne pas toujours: il y a quelques années à Vancouver, on a construit un train entre la ville et les banlieues autour desquelles sont établis immeubles en copropriété et industries, mais les usagers potentiels du train n’étaient pas au rendez-vous.
Nous constatons que, en période d’austérité, les gouvernements n’investissent plus seuls dans les infrastructures; ils les font construire par le secteur privé, qui finance les projets et qui en tire ensuite des bénéfices pour de nombreuses années, comme c’est le cas avec des routes ou des ponts à péage ou encore des usines de désalinisation de l’eau.
Mes travaux de recherche portent beaucoup sur les pays du Sud, où prévaut une vision tiers-mondiste du développement économique. Les grands projets sont financés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, mais lorsque les pays sont en défaut de paiement – par exemple en raison de la dévaluation de leur monnaie –, ils entrent dans le cercle vicieux du financement de leur dette en empruntant à d’autres créanciers. La recherche démontre que le sous-développement passe par la financiérisation du système d’endettement.
En recherche opérationnelle, vous visez l’optimisation. Qu’est-ce que cela signifie?
BG: L’optimisation est un sous-domaine des mathématiques qui consiste à considérer, à partir de différentes données, un grand nombre de possibilités et à choisir la meilleure solution qui soit. Prenons un cas simple: on cherchera à déterminer les trajets quotidiens d’un livreur, à partir d’un point de service, afin qu’il effectue sa tournée des clients dans le temps le plus court possible. Mais l’optimisation des infrastructures s’avère plus complexe vu la quantité d’informations à traiter. Ainsi, pour optimiser la construction d’une nouvelle ligne de métro, il faut désigner les meilleurs endroits pour établir les stations en tenant compte des besoins à la fois des utilisateurs, des gestionnaires et autres intervenants… dont les intérêts ne vont pas tous dans le même sens! Puis, on agrège les données qui pointent dans la même direction pour concevoir des modèles mathématiques à plusieurs niveaux qui s’influencent mutuellement. L’optimisation est une science qui a de multiples applications et qui va bien au-delà de la seule réduction des dépenses: il faut prendre en compte de nombreuses considérations sociales et environnementales.
Justement, sur le plan environnemental, que nous révèlent les études portant sur les infrastructures et relevant de la géographie?
KF: Je vois deux tendances.
La première concerne des systèmes hybrides et décentralisés, comme pour les réseaux d’aqueduc et en matière de production d’énergie. Plutôt que de miser uniquement sur des systèmes centralisés et uniformes comme on l’a vu par le passé, on se tourne davantage vers des systèmes plus petits ou hybrides. Par exemple, en Colombie, des villes intègrent les eaux de pluie dans le système d’aqueduc pour réduire leur empreinte écologique. Ces systèmes hybrides interreliés réduisent la pression sur le système centralisé et permettent un accès moins coûteux à l’eau potable [NDLR: au lieu de se servir de l’eau potable pour la douche, on utilise le réseau d’eau de pluie].
De plus, en devenant elle-même initiatrice de petits systèmes, la population est plus autonome face aux décideurs portés vers la centralisation.
L’autre tendance est celle des gouvernements aux politiques économiques austères, qui équilibrent leurs budgets et essaient d’attirer les investisseurs pour financer leurs infrastructures. Or, certaines infrastructures n’intéressent pas les investisseurs, mais elles sont très politiques, comme le Réseau express métropolitain!
Mais il existe aussi des systèmes politiques où les considérations environnementales ne pèsent pas lourd vis-à-vis du désir de construire, comme en témoigne d’ailleurs l’hôpital bâti en 10 jours à Wuhan, en Chine. Dans ce pays, on a coulé plus de béton en 10 ans qu’on en a utilisé pendant tout le 20e siècle aux États-Unis!