Isolement et violence conjugale: un enjeu

Quel que soit leur âge, les enfants partagent le quotidien de leurs parents et sont affectés par la violence que leur mère subit.

Quel que soit leur âge, les enfants partagent le quotidien de leurs parents et sont affectés par la violence que leur mère subit.

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Comment respecter les mesures d’isolement quand on est victime de violence à la maison? Un entretien avec la spécialiste Joane Turgeon.

Joane Turgeon

Le gouvernement de François Legault a créé, fin mars, un fond d'urgence de 2,5 M$ pour aider les victimes de violence conjugale durant la pandémie de COVID-19. Selon la ministre déléguée à l’Éducation et ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, «la crise sanitaire actuelle et les mesures d'isolement imposées par le gouvernement exposent plus que jamais certaines femmes à des situations de violence.» Nous avons demandé à Joane Turgeon, psychologue spécialisée notamment en violence conjugale et chargée de cours à la Faculté de l'éducation permanente de l’Université de Montréal, de nous parler de cette problématique en ces temps difficiles.

Comment la situation actuelle est-elle vécue à la maison par les victimes de violence conjugale?

On le sait tous, la constante proximité peut faire monter le stress d’un cran dans toutes les familles. Malheureusement, les mesures absolument essentielles qui nous ont été imposées pour nous protéger de la COVID-19 ont comme «effet secondaire» de piéger les victimes en leur retirant le peu de liberté que pouvaient leur offrir leur travail ou les activités leur permettant de sortir de la maison de temps en temps pour trouver un peu de répit. Le confinement actuel ne laisse plus aucun espace aux victimes pour reprendre leur souffle, puisqu’elles sont coincées à la maison avec un conjoint omniprésent. Les risques d’agressions de toutes sortes augmentent donc rapidement.

Est-ce que seules les femmes sont concernées ou y a-t-il d'autres victimes?

Il y a aussi les enfants. Quel que soit leur âge, ils partagent le quotidien de leurs parents et sont affectés par la violence que leur mère subit. C’est très éprouvant pour un enfant de sentir le rapport de domination et la tension qui en découlent. Ce le serait tout autant si les deux parents essayaient de les lui cacher. Dans ce contexte, les enfants manifestent également des signes de stress: ils peuvent être irritables, nerveux, dissipés, avoir tendance à faire des crises et à être désorganisés.

Normalement, ces manifestations s’estompent naturellement quand ils vont à l’école ou à la garderie ou qu’ils jouent dehors, mais en période de confinement, tous les enfants risquent d’être plus difficiles à encadrer. Ainsi, la mère doit essayer de garder les enfants tranquilles pour ne pas irriter le père, mais avec les mesures de confinement cette tâche devient quasi impossible et des situations explosives, dont les enfants se croiront responsables, peuvent en résulter.

Est-ce que le confinement que nous vivons peut mener à des situations de violence conjugale qui n'existaient pas avant la crise?

Personne ne devient violent du jour au lendemain. Pour exercer de la violence envers sa partenaire, il faut d’abord s’autoriser à le faire. Pour dominer, dénigrer ou même frapper sa partenaire, il faut en arriver, à l’intérieur de soi, à considérer qu’elle est inférieure à soi, qu’elle vaut moins que soi, qu’elle mérite un tel traitement parce qu’elle est inadéquate, parce qu’elle doit faire ce qu’on lui demande, etc. Il faut aussi se considérer comme supérieur à elle et croire qu’il est légitime de la contrôler, de la chicaner et de la punir.

Cette façon de voir les relations amoureuses ne se manifeste pas soudainement et, à moins d’une réelle prise de conscience, elle se répète de relation en relation. Le confinement et tous les problèmes qui en découlent ne sont donc pas des causes de violence, mais peuvent en devenir les éléments déclencheurs.

Quels conseils donneriez-vous dans la situation actuelle aux victimes de violence conjugale?

Pour fuir la violence, il y a toujours le 911. C’est la façon la plus sécuritaire et la plus rapide de sortir de la maison. Pourtant, toutes les victimes ne peuvent pas partir de cette façon, et ce, pour toutes sortes de bonnes raisons. Quand la tension provoque une peur au ventre, on a besoin d’un endroit où l’on peut discrètement exprimer ce qui pèse trop lourd. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, il est très difficile pour une victime de trouver un lieu et même un moment pour s’isoler et communiquer avec quelqu’un pour obtenir du soutien.

Plusieurs maisons d’hébergement offrent un soutien téléphonique afin de répondre à ces besoins. Je recommande à celles qui sentent que la pression devient trop forte de ne pas hésiter à téléphoner à une maison d’hébergement, ne serait-ce que pour évacuer la tension et parler avec quelqu’un qui leur rappellera que la situation qu’elles vivent n’est pas normale. Les victimes peuvent aussi utiliser la ligne d’urgence SOS violence conjugale ‒ 1 800 363-9010 ‒, qui les mettra en communication avec l’intervenante d’une maison qui les écoutera et les conseillera. 

Et les proches, ont-ils aussi un rôle à jouer?

Bien sûr. Les proches doivent savoir que leur présence aide ces femmes, car plus la victime est isolée, plus le danger est grand pour elle. Il ne faut donc pas hésiter à recourir aux moyens de communication qui demeurent accessibles: courriel, textos, téléphone, courrier, médias sociaux, etc. Bien sûr, la prudence est de rigueur, puisqu’il est possible que toutes les communications de la victime soient étroitement surveillées. Ce n’est donc pas le moment de lui dire que sa relation est malsaine et qu’elle doit se séparer!

Pour la victime, qui souffre déjà de symptômes de stress post-traumatique à cause de la violence, la pression s’intensifie lorsque s’ajoutent tous les autres stress qui nous touchent actuellement: stress de la COVID-19, stress du confinement, de la perte d’emploi, des soins aux enfants, etc. Essayons de nous assurer que nos contacts avec elle diminueront son stress au lieu de l’augmenter. Communiquer régulièrement avec une proche que l’on sait sous l’emprise d’un partenaire violent pour parler avec elle de tout et de rien permet de maintenir un contact chaleureux et respectueux et de briser son isolement.

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