Regarder fréquemment de la pornographie n’est pas forcément lié à un trouble psychologique
- Forum
Le 13 mai 2020
- Martin LaSalle
Visionner fréquemment des vidéos pornographiques ou en regarder beaucoup n’est généralement pas associé à un problème de santé mentale, selon une étude menée par la chercheuse Beáta Bőthe, de l’UdeM.
La pandémie provoquée par le coronavirus a eu de nombreux effets partout sur la planète, dont celui d’entraîner une hausse de fréquentation des sites pornographiques.
Pour preuve, le site Web de vidéos Pornhub, qui était visité 115 millions de fois par jour en moyenne en 2019, fait état d’une augmentation d’environ 15 % de sa fréquentation quotidienne ‒ l’équivalent de plus de 17 millions de visiteurs additionnels. On y a même enregistré un pic de fréquentation 25 % plus élevé le 25 mars, jour où l’entreprise a dit vouloir «fournir sa part d’efforts pour promouvoir la distanciation sociale» en offrant gratuitement son abonnement Premium!
Mais visionner fréquemment de la pornographie mène-t-il ou est-il associé à un problème de nature psychologique tels la détresse, la dépression, le trouble de l’humeur ou l’hypersexualité?
Généralement non, selon les résultats d’une étude réalisée par Beáta Bőthe, stagiaire postdoctorale au Laboratoire d'étude de la santé sexuelle dirigé par la professeure Sophie Bergeron, du Département de psychologie de l’Université de Montréal.
De fait, les données tendent plutôt à démontrer que ‒ tant d’un point de vue clinique que d’un point de vue scientifique ‒ la fréquence de visionnement n’est pas forcément un indicateur fiable ou suffisant d’une consommation problématique ou compulsive de la pornographie.
Trois profils d’utilisateurs de pornographie
Publiée dans The Journal of Sexual Medicine, l’étude ‒ menée conjointement avec des chercheurs des universités Yale, Stanford et Concordia ‒ combine trois échantillons de sondages anonymes auxquels plus de 15 000 personnes âgées de 18 à 76 ans ont répondu.
Tous les participants ont été recrutés à partir d’une publicité affichée sur des sites Internet en Hongrie. Dans le premier échantillon, 14 000 personnes avaient vu la publicité sur un site de nouvelles. Dans le deuxième, 483 individus en avaient pris connaissance sur un site d’information communautaire et, dans le dernier échantillon, la publicité a intéressé 672 personnes qui surfaient sur un site pornographique.
À partir de 40 caractéristiques sociodémographiques et psychologiques autodéclarées par les répondants, Mme Bőthe a tracé trois profils distincts d’utilisateurs de pornographie. Ainsi:
- de 68 à 73 % consommaient peu de pornographie et de façon non problématique;
- de 19 à 29 % étaient des utilisateurs fréquents mais sans problèmes particuliers;
- de 3 à 8 % étaient des utilisateurs fréquents de pornographie et éprouvaient des problèmes.
Ainsi, il y a de trois à six fois plus de personnes qui affirment regarder fréquemment des sites pornographiques sans que leur consommation soit jugée problématique qu’il y a d’utilisateurs qui fréquentent souvent ces sites et pour qui l’utilisation est problématique.
«Par rapport aux utilisateurs fréquents qui ne rapportent aucun problème, les 3 à 8 % de répondants dont la fréquentation de sites pornographiques est soutenue et problématique signalaient des niveaux plus élevés d'hypersexualité, des symptômes dépressifs, une sensibilité à l'ennui, des sentiments d’inconfort concernant la pornographie et des niveaux plus faibles d'estime de soi et de satisfaction des besoins psychologiques liés à l’appartenance sociale, au sentiment de compétence et à l’autonomie», indique Beáta Bőthe.
Une combinaison de traits de personnalité en cause
La consommation de la pornographie est répandue dans les populations adultes: de 70 à 90 % des personnes ont visionné de la pornographie au cours de leur vie, selon différentes recherches effectuées sur la question.
Et pour la plupart des gens, l'utilisation de la pornographie n'est pas problématique et n'entraîne pas de conséquences négatives dans leur vie. Cependant, pour d'autres, cette consommation peut devenir problématique et avoir des effets néfastes, tels que des problèmes sexuels.
L’analyse des résultats permet surtout de dégager que c’est davantage une interaction entre différentes caractéristiques de la personnalité individuelle et les contextes sociaux et sociétaux qui peut conduire à une utilisation fréquente et problématique de la pornographie.
«L’étude met ainsi en relief la nécessité d’effectuer une évaluation plus large de la consommation de la pornographie à la fois dans la recherche et le travail clinique, qui ne tienne pas uniquement compte de la fréquence d'utilisation de la pornographie, mais de son utilisation problématique», ajoute la postdoctorante originaire de Hongrie.
Une étude qui se poursuit
L’étude de Beáta Bőthe représente la première étape de l'examen différencié des profils de consommation de la pornographie.
«Nous souhaitons maintenant intégrer des personnes en couple à notre étude afin de voir comment la pornographie peut être associée au bien-être sexuel à long terme», conclut-elle.
Pour prendre part à cette recherche menée de concert avec les professeures Sophie Bergeron, de l’UdeM, et Marie-Pier Vaillancourt-Morel, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, il suffit de communiquer avec les chercheuses par courriel.