Vendre des animaux menacés d’extinction sur Facebook!
- Forum
Le 26 mai 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
Trois chercheurs de Montréal étudient le trafic d’animaux sauvages, qui passe en toute impunité par les grands réseaux sociaux.
Les trafiquants d’animaux sauvages utilisent le Web sans même se cacher, révèle une étude de deux doctorantes de l’Université de Montréal et d’un juriste montréalais. «Contrairement aux trafiquants de drogue, qui veillent généralement à protéger leur anonymat en utilisant l’internet caché [darknet] par exemple, les trafiquants de la faune ne s’embarrassent pas de telles précautions et agissent majoritairement sur les plateformes numériques licites telles eBay, Facebook, Instagram ou Craiglist», explique Élodie Demeau, qui travaille comme auxiliaire d’enseignement à l’Université et analyste au Groupe Vidocq tout en menant ses études de troisième cycle sous la direction du professeur Samuel Tanner, de l'École de criminologie.
Avec Karolan Jeffrey, également étudiante au doctorat à l’École de criminologie de l'UdeM, et Miguel Eduardo Vargas Monroy, directeur commercial chez Earth Alive Clean Technology, elle a fait paraître un article sur le sujet dans Revista Criminalidad, une revue publiée à Bogotá, en Colombie. L’article, qui compare les trafiquants d’animaux sauvages avec ceux qui vendent et achètent des drogues illégales, conclut que les premiers semblent jouir d’une certaine impunité. «Certains acteurs du commerce en ligne feraient preuve d’un laxisme en ce qui concerne la présence de produits issus du trafic de la faune, ce qui relèverait d'un conflit d’intérêts, puisque les plateformes de vente en ligne touchent des commissions pour les ventes conclues», déplore Mme Demeau dans un échange de courriels.
L’article sorti en 2019 a été diffusé par la police colombienne afin de sensibiliser le public à ce problème. Il répertorie de nombreuses études sur le sujet démontrant que les plateformes Facebook et Instagram seraient responsables de 80 % du trafic animal sur Internet. C’est la conclusion à laquelle parvenait une étude des Néerlandaises Jamie Bouhuys et Manon van Scherpenzeel rapportée par les auteurs. Les réseaux sociaux constituent une véritable aubaine pour le trafic d’animaux sauvages, puisque les trafiquants y ont majoritairement migré au cours des dernières années.
Interdiction totale
Plus de 800 espèces animales sont en danger d’extinction sur la planète, selon la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui a été ratifiée par 183 pays. Les sanctions varient selon le degré de vulnérabilité des espèces.
Malgré cela, le trafic illégal se poursuit, engendrant des revenus de 5 à 20 milliards de dollars d’après certaines estimations. «Le problème d’une telle règlementation est la difficulté de contrôler l’authenticité des permis, qui sont souvent contrefaits ou dupliqués», précise Mme Demeau.
Les chercheurs ont eu l’idée de comparer le trafic d’animaux sauvages avec le commerce illicite de drogue. Ce n’était pas la première fois qu’on établissait un tel parallèle, puisqu’en 2011 les criminologues Tanya Wyatt, de l’Université de Northumbria, et Nigel South, de l’Université de l’Essex, au Royaume-Uni, avaient conclu à d’importantes similarités, voire des chevauchements entre les deux trafics. Ainsi, ils avaient repéré des transactions de perroquets contre de la cocaïne ou l'utilisation d’animaux comme mules pour faire passer de la drogue aux frontières. «Nous avons opté pour une approche analogue, mais pour étudier le trafic de la faune dans l’espace virtuel», explique Élodie Demeau.
Peu d’intérêt chez les universitaires
Les auteurs n’ont pas pu déterminer si une espèce était davantage ciblée qu’une autre, donc plus en péril. Mais la doctorante rappelle que certaines espèces animales sont au bord de l’extinction; la plus petite intervention peut s’avérer fatale. «Ce trafic d’animaux sur le Net accroît la pression sur des milliers d’espèces dont la survie est déjà menacée», commente Mme Demeau.
La plus grande surprise des chercheurs a été de constater que les universitaires semblaient très peu s’intéresser au trafic de la faune sur Internet, pourtant très préoccupant à leurs yeux. «Nos principales données reposaient sur le travail de deux organisations non gouvernementales, TRAFFIC et IFAW, qui essaient, tant bien que mal, de faire reconnaître l’importance de ce phénomène et l’urgence de s’y attaquer.»