Algérie: 9 personnes sur 10 ont eu du mal à respecter le confinement

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  • Le 22 juin 2020

  • Dominique Nancy
Durant le confinement, le temps passé sur Internet et devant la télévision semble avoir réduit le temps de lecture quotidienne des personnes interrogées.

Durant le confinement, le temps passé sur Internet et devant la télévision semble avoir réduit le temps de lecture quotidienne des personnes interrogées.

Crédit : Getty

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Une étude de Christopher Bryant et ses collègues sonde les Algériens confinés.

Selon une étude publiée en mai dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, une personne sur deux (50,3 %) a ressenti de l’anxiété au cours des trois premières semaines du confinement en Algérie alors que près de la moitié des gens se sont dits stressés (48,2 %), de mauvaise humeur (46,6 %) ou incapables de penser à autre chose qu’à la pandémie de COVID-19.

«Notre étude montre que 87,9 % des répondants ont trouvé difficile de suivre les instructions de confinement, total ou partiel. On a également observé un changement dans les habitudes de la population confinée, notamment en ce qui a trait aux heures du coucher et du réveil, à l’utilisation d’Internet et au temps consacré à la lecture quotidienne», déclare Christopher Bryant, professeur au Département de géographie de l’Université de Montréal.

Avec ses collègues Azzeddine Madani et Saad Eddine Boutebal (de l'Université Djilali Bounaama Khemis Miliana), M. Bryant a réalisé la première étude permettant de comparer les effets psychologiques du confinement sur les Algériens ainsi que leurs habitudes et comportements selon des variables sociodémographiques et de genre.

Pour les chercheurs, la fréquence très élevée de l’utilisation des médias sociaux et des ordinateurs ainsi que l’écoute de la télévision pendant le confinement seraient révélatrices d’une vulnérabilité potentielle associée aux symptômes d’anxiété et au stress ressentis au cours de cette période.

Les données de leur étude ont été recueillies auprès de 678 personnes, soit 405 hommes et 273 femmes, en situation de confinement total ou partiel en Algérie entre le 23 mars et le 12 avril derniers. Les chercheurs ont lancé leur enquête aussitôt que le confinement a été imposé et ont pu évaluer rapidement les effets de l’isolement. «Il s’agit d’un mode de vie auquel il est difficile de s’adapter pour les gens qui n’ont pas l’habitude de rester plusieurs jours à l’intérieur de leur domicile, ce qui a provoqué des changements dans les habitudes quotidiennes avec des effets négatifs sur les personnes», notent MM. Bryant, Madani et Boutebal.

Les chercheurs ne sont pas étonnés de ces résultats. «Ils vont dans le sens d’études effectuées sur la pandémie d’Ebola» et qui conduisent à des conclusions semblables, mais c’est la première fois qu’on montre l’incidence du confinement en Algérie. Bien que cette étude ne permette pas de généraliser les résultats à l’ensemble de la planète, elle aide les autorités sanitaires à mieux comprendre la situation et à prendre les mesures nécessaires.

Facteurs psychologiques

Christopher Bryant

Proche de l'Europe, l’Algérie a été très touchée par la pandémie de coronavirus. Le premier cas enregistré dans ce pays remonte au 25 février, après l'arrivée en Algérie d'un Italien contaminé. Mais la décision d’isoler la région de Blida, le «Wuhan d’Algérie», a été quelque peu retardée, ce qui a facilité la propagation du virus, rappellent les chercheurs dans leur article.

Ils ont évalué les répercussions psychologiques de la COVID-19 à l’aide d’un questionnaire global composé de 29 questions et comportant trois sous-échelles mesurant aussi les répercussions sociales et sur la mobilité pendant le confinement. Le questionnaire a été soumis par Internet.

Il faut préciser que les travaux des chercheurs portent uniquement sur les conséquences psychologiques et les habitudes quotidiennes. «On touche à d’autres volets de l’isolement dans deux autres articles qui font présentement l’objet d’une évaluation», dit M. Bryant.

Les effets psychologiques désignent les changements émotionnels qui se produisent chez un individu dans ses interactions avec ceux qui l'entourent, alors que les habitudes quotidiennes représentent des gestes que l'individu accomplit fréquemment dans sa vie quotidienne, tels que se laver les mains, se coucher et se réveiller, regarder la télévision et utiliser Internet.

Les résultats révèlent que l’engagement volontaire dans le confinement à domicile se classe au premier rang parmi les facteurs psychologiques aggravants. «Le manque de conscience sociale et d’expériences antérieures ainsi que la propagation rapide de l’épidémie n’ont peut-être pas laissé le temps nécessaire à une meilleure prise de conscience parmi les gens de la gravité du coronavirus et de l’utilité du confinement comme moyen de prévention», indiquent les chercheurs dans leur article scientifique qui souligne toutefois que 36 % de la population se lavait les mains de 10 à 20 fois quotidiennement.

Le sentiment d’anxiété peut pour sa part être lié aux difficultés d’accepter le confinement lui-même ou encore à l’organisation de la vie familiale à l’intérieur de la maison, selon les chercheurs. L’étude montre d’ailleurs que les variables relatives au sexe et à la situation familiale étaient associées à une augmentation de l’incidence psychologique du confinement. Les femmes étaient plus vulnérables à l’anxiété comparativement aux hommes et manifestaient plus de stress émotionnel, de peur et une humeur instable. Elles étaient aussi paradoxalement plus optimistes que les hommes relativement à leurs risques d’infection.

Les chercheurs voient dans la variable de stress psychologique un lien direct avec la propagation de l'épidémie, l'obligation du confinement à domicile combinée avec la difficulté d’y faire face et la transformation de la vie quotidienne en une routine ennuyeuse. Quant à la fluctuation des humeurs, elle refléterait une instabilité émotionnelle de l’individu qui affecte son environnement familial. Cet état semble lié non seulement au sentiment d'espace de vie limité, mais aussi à la peur de la pandémie et de ses diverses répercussions.

Une forte dépendance à Internet et aux appareils associés

Plus de 83 % des personnes interrogées ont confirmé s’être couchées plus tard qu’à l’habitude, soit entre minuit et trois heures du matin, alors que 12 % se sont endormies entre 20 h et 23 h.

En ce qui concerne l’heure du réveil, les résultats de l'enquête indiquent que près de 46 % des gens sondés se sont réveillés entre 10 h et 12 h et que 38,5 % ont dit s’être levés entre 7 h et 9 h. L’augmentation du temps de sommeil et le réveil tardif seraient liés à plus d’effets psychologiques négatifs du confinement. Les jeunes comme les plus âgés deviennent plus anxieux, stressés et impatients vis-à-vis des membres de leur famille.

Le temps passé sur Internet et devant la télévision semble avoir réduit le temps de lecture quotidienne: 38 % des répondants ont surfé sur le Web de 10 à 15 heures par jour alors que 33 % ont passé environ 10 heures devant leur écran télé. Seulement 35 % des participants à l’étude s’adonnaient une heure par jour à la lecture de romans; 14 % y consacraient deux heures et 37 % n’ont lu aucun livre. «Les gens semblent avoir modifié leur habitude de lecture traditionnelle au profit de la lecture électronique sur les téléphones intelligents et les ordinateurs, écrivent les chercheurs, qui constatent une forte dépendance à Internet et aux appareils associés. Selon les dires des répondants, près de 52 % sont intéressés par le contenu des réseaux sociaux (Facebook et Twitter) et celui de YouTube, et 30 % préfèrent lire, y compris la recherche scientifique, par voie électronique.»

D’après MM. Bryant, Madani et Boutebal, ces résultats montrent qu’il est nécessaire de suivre régulièrement l’évolution des habitudes quotidiennes, car elles sont révélatrices de l’état psychologique de la population et de son niveau de sensibilisation à la protection de la santé. Ils espèrent que cette étude aidera à définir de nouvelles stratégies d’intervention auprès des personnes à risque avant que les symptômes d’anxiété deviennent cliniquement importants.

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