Un glucomètre pour analyser le sucre du sang des abeilles parasitées par une mite

  • Forum
  • Le 23 juin 2020

  • Martin LaSalle
Venue d’Asie il y a 25 ans, la mite «Varroa destructor», ici fixée sur le thorax de l’abeille, est le parasite le plus dévastateur pour les colonies d’abeilles de l’est du Canada.

Venue d’Asie il y a 25 ans, la mite «Varroa destructor», ici fixée sur le thorax de l’abeille, est le parasite le plus dévastateur pour les colonies d’abeilles de l’est du Canada.

Crédit : Marie-Odile Benoit-Biancamano

En 5 secondes

Des chercheurs de l’UdeM se serviront d’un glucomètre pour mesurer les sucres dans le sang d’abeilles parasitées par une mite et qui en meurent trop souvent.

Au cours des 30 dernières années, le taux de mortalité mondial des abeilles a augmenté avec l’utilisation de pesticides, la modernisation agricole, le manque de biodiversité florale et, plus particulièrement, divers parasites et maladies.

L’un de ces parasites ‒ le bien nommé Varroa destructor ‒ est le plus dévastateur pour les colonies situées à l’est du pays: depuis 2007, l’Association canadienne des professionnels de l’apiculture observe un accroissement du nombre de colonies d’abeilles décimées; à l’hiver 2018-2019, plus du quart (25,7 %) d’entre elles ont disparu au pays.

Pour l’heure, la communauté scientifique sait que la mite Varroa destructor pond ses œufs dans les alvéoles contenant les œufs d’abeilles pour se nourrir des nymphes tout au long de sa croissance. On ignore toutefois ce que la mite absorbe exactement et quel en est l’effet précis sur les abeilles une fois devenues adultes.

C’est ce que tente de découvrir l’étudiant à la maîtrise Antoine Cournoyer, sous la codirection de la pathologiste Marie-Odile Benoit-Biancamano et du vétérinaire apicole Pascal Dubreuil, tous deux professeurs à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Financée par le programme Innov’Action agroalimentaire du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, l’étude est réalisée en collaboration avec la Dre Annie Deschamps, pathologiste clinique à la Faculté de médecine vétérinaire.

Un cycle de reproduction associé à celui de l’abeille

Marie-Odile B. Biancamano

Crédit : Marco Langlois

Pour survivre pendant les sept ou huit mois au cours desquels elles hibernent, les abeilles ont besoin d’être en parfaite santé et d'avoir une grande réserve d’énergie ‒ faite de graisses et de sucres ‒ pour produire de la chaleur dans la ruche.

Or, la mite Varroa destructor a un cycle de reproduction associé à celui de l’abeille: elle se reproduit dans les larves de la ruche et ses œufs croissent en même temps que les jeunes abeilles.

«En se nourrissant de leurs hôtes, les mites peuvent transmettre des virus aux jeunes abeilles, qui subissent du même coup une diminution de poids et, possiblement, de leur réserve de graisses et de certains constituants du sang, explique Antoine Cournoyer. Dès leur naissance, les abeilles parasitées sont affaiblies et leurs chances de survivre à l’hiver suivant sont diminuées.»

Un glucomètre à la rescousse

Antoine Cournoyer

Crédit : Studio Phocus

Pour vérifier si l’infestation par Varroa destructor altère la quantité et la qualité des corps graisseux, des hémocytes (cellules du système immunitaire) et des sucres en circulation dans le sang des abeilles, l’équipe de chercheurs et chercheuses réalisera une étude comparative à partir de six ruches constituées d’abeilles saines et de six autres ruches habitées par des abeilles infestées par le parasite.

L’expérience sera donc en partie menée au Centre de recherche en sciences animales de Deschambault, qui abrite de nombreux ruchers. (À noter qu’une ruche saine peut abriter de 40 000 à 80 000 abeilles!)

Après avoir extrait le liquide corporel des deux types d’abeilles, l'équipe en analysera les éléments, notamment à l’aide d’un glucomètre portatif dont se servent les personnes diabétiques pour mesurer leur taux de sucre dans le sang.

«La quantité et la composition de l’hémolymphe [le sang de l’abeille] seront étudiées afin de vérifier si l’infestation par Varroa destructor amène des variations notables des différents sucres et cellules en circulation, ajoute Antoine Cournoyer. Nous évaluerons la capacité du glucomètre portatif à devenir un outil pratique pour les vétérinaires, les chercheurs et même les apiculteurs sur le terrain afin de déceler les effets néfastes du parasite.»

De plus, une analyse au microscope des corps graisseux des abeilles infestées sera comparée avec celle des mêmes substances chez les abeilles saines.

Des avancées scientifiques et pratiques

Pour l’heure, il existe quelques traitements commerciaux pour limiter les infestations attribuables à Varroa destructor, et le DDubreuil étudie l’efficacité d’autres types de traitements.

«Le partage des résultats de notre projet de recherche favorisera l’avancement des connaissances sur la physiologie des abeilles ainsi qu’une meilleure compréhension des répercussions biologiques du parasite, conclut Marie-Odile Benoit-Biancamano. Nous espérons qu’il permettra aussi une meilleure gestion des colonies en minimisant les taux d’infestation et, indirectement, qu'il contribuera à l’amélioration de la qualité des produits dérivés et à la rentabilité des cultures.»

Un rôle économique important

Selon les plus récentes statistiques, le Canada comptait plus de 9800 apiculteurs et 750 000 ruches en 2016, qui ont entraîné des ventes de produits évaluées à près de 160 M$. Plus encore, Agriculture et Agroalimentaire Canada estime que la valeur pollinisatrice directe et indirecte des apiculteurs et leurs abeilles procure à l’industrie agroalimentaire des retombées de 4 à 5,5 G$ annuellement.