Les plans de reboisement en Afrique pourraient ne pas avoir les effets escomptés

Les répercussions de l’activité humaine sont visibles partout où les chercheuses ont mené leurs travaux, soit principalement en Tanzanie, au Congo et en République centrafricaine.

Les répercussions de l’activité humaine sont visibles partout où les chercheuses ont mené leurs travaux, soit principalement en Tanzanie, au Congo et en République centrafricaine.

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Une équipe internationale dirigée par une chercheuse de l’UdeM publie les conclusions d’une étude sur l’histoire biogéographique de l’Afrique subsaharienne.

Julie Aleman

Crédit : Amélie Philibert

Il faut tenir compte de l’état des écosystèmes matures avant de lancer des plans de reboisement massifs en Afrique subsaharienne. C’est la recommandation de la géoécologue Julie Aleman, chercheuse invitée au Département de géographie de l’Université de Montréal, en marge de la publication, cette semaine, d’une importante étude sur les biomes africains dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

«Les biomes de la région que nous avons étudiée, et qui comprend les pays au sud du Sahara, sont répartis en deux types assez distincts: la savane à environ 70 % et la forêt tropicale pour le reste. Quand nous analysons les ensembles d’espèces d’arbres qui les composent, nous constatons qu’ils sont extrêmement différents. De plus, en regardant attentivement l’histoire de ces biomes, nous réalisons qu’ils sont assez stables depuis 2000 ans. Reboiser avec des essences de forêt tropicale des zones qui sont plutôt associées à des savanes serait donc une erreur», explique-t-elle à quelques jours de la publication de l’article scientifique.

Sans vouloir montrer du doigt les pays qui pourraient commettre cette erreur, elle mentionne que des plans de reboisement prévoient la plantation de milliards d’arbres. Si l’intention est bonne, il faut éviter de créer artificiellement des forêts tropicales là où des savanes ont dominé durant plusieurs millénaires. De plus, le choix des essences est déterminant. Les acacias poussent davantage dans des milieux ouverts, alors que les celtis sont propres aux forêts. Dans certains cas, les plantations d’eucalyptus se sont avérées de véritables «catastrophes écologiques», selon Mme Aleman.

Reconstituer le passé

Le laboratoire de paléoécologie de l’UdeM, dirigé par Olivier Barquez, auquel elle est rattachée, a justement pour mission de reconstituer le passé des biomes. La collaboratrice principale de Mme Aleman, Adeline Fayolle, professeure à l’Université de Liège, en Belgique, a quant à elle assemblé les données floristiques (listes d’espèces d’arbres) de l’article. «Pour cela, nous avons procédé à une exploration de données à l’ancienne en ce sens que nous avons analysé une grande quantité de données existantes, publiées et parfois archivées dans des documents oubliés, sous la poussière, ainsi que des données acquises récemment sur le terrain pour tenter de comprendre l’histoire de la région», dit la coauteure de l’étude, signée également par une trentaine de chercheurs. Plusieurs collaborateurs viennent d’Afrique.

La grande force de l’étude est d’avoir tenu compte de données à la fois floristiques, environnementales et paléoécologiques. C’est ainsi qu’on a pu mieux comprendre le fonctionnement écologique des forêts et des savanes, par l’étude de 753 sites répartis dans les deux milieux. Les facteurs environnementaux qui agissent le plus sur ces milieux sont les précipitations et leur saisonnalité de même que la température.

Un des phénomènes les plus remarquables des savanes est la fréquence des perturbations qui les affectent. Les broussailles peuvent s’enflammer jusqu’à trois fois par an à certains endroits par exemple. Pour protéger la santé publique, il arrive que des gouvernements locaux veulent limiter ces incendies. Décisions légitimes, mais qui peuvent avoir des conséquences écologiques importantes car, la plupart du temps, les grands arbres ne sont pas atteints par les flammes et les cendres régénèrent le sol.

Milieux touchés

Les répercussions de l’activité humaine sont d’ailleurs visibles partout où les chercheuses ont mené leurs travaux, soit principalement en Tanzanie, au Congo et en République centrafricaine. Dans certains cas, des zones sont presque dénuées de faune.

Dès 2017, Julie Aleman tentait d’alerter l’opinion publique quant aux menaces qui pèsent sur les écosystèmes africains dans un article de The Conversation (Afrique). Bien qu’à ses yeux la situation ne soit pas désespérée, il faut cependant être prudent dans les interventions sur le terrain. Elle espère que son étude permettra d'approfondir la compréhension de la réalité biologique du continent africain. «Il s’agit d’une contribution plutôt théorique, mais je crois qu’on peut s’en inspirer pour alimenter les politiques de reboisement», conclut la chercheuse invitée de l’UdeM.

À propos de cette étude

L'article «Floristic evidence for alternative biome states in tropical Africa», par Julie Aleman et ses collaboratrices, a été publié le 27 octobre 2020 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.

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