De l’aide pour les victimes d’actes criminels
- UdeMNouvelles
Le 21 janvier 2021
La Faculté de droit et l’École de criminologie de l’Université de Montréal s’unissent pour mettre sur pied la Clinique juridique pour les victimes d’actes criminels.
L’idée trottait depuis quelques années dans la tête des professeurs Jo-Anne Wemmers et Amissi Manirabona, respectivement de l’École de criminologie et de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, qui travaillent ensemble depuis 10 ans sur le droit des victimes. Mais c’est une importante subvention du Fonds d’aide aux victimes du ministère de la Justice du Canada qui permettra finalement à la nouvelle Clinique juridique pour les victimes d’actes criminels de l’Université de Montréal de lancer ses activités. L’argent servira notamment à concevoir un site Internet, mettre en place des outils de sensibilisation, embaucher un coordonnateur et évaluer les activités de la Clinique en finançant des étudiants et étudiantes qui effectueront la recherche.
Un service unique au Canada
La Clinique aura pour objectif d’informer les victimes sur leurs droits. L’information fournie les aidera à prendre des décisions appropriées. La particularité? Les conseils seront donnés par des étudiants et étudiantes en droit. «Il y a déjà des centres d’aide aux victimes d’actes criminels ‒ les CAVAC, qui sont d’ailleurs nos partenaires ‒, mais ceux-ci font plutôt des interventions psychosociales», explique Jo-Anne Wemmers. Le service proposé par l’UdeM sera donc unique en son genre au Canada, combinant information juridique et formation des étudiants et étudiantes.
Ceux et celles qui y participeront obtiendront des crédits de cours pratiques et travailleront sous la supervision d’un ou une responsable, membre du barreau et criminaliste. La formation acquise sera précieuse que ce soit en droit pénal international, au tribunal à venir pour la violence sexuelle ou dans les tribunaux régionaux.
Des étudiants et étudiantes d’autres disciplines (dont la criminologie) seront intégrés à la Clinique, entre autres pour accueillir et diriger les victimes. «L’idée est de faciliter la communication entre ce qui relève du droit et l’aide psychosociale, pour avoir une meilleure compréhension de ce que l’autre fait», ajoute Mme Wemmers. Des séances plénières permettront de poursuivre l’enrichissement mutuel.
L’importance de la formation
Les futurs avocats et avocates de la défense et procureurs et procureures de la Couronne pourront de cette manière être sensibilisés aux réalités des victimes. «Dans les formations en droit, le mot “victime” est souvent synonyme de “témoin”», indique Mme Wemmers. Avoir une victime d’acte criminel devant soi change la donne et confronte à la réalité. «Les étudiants et les étudiantes pourront véritablement appliquer la théorie qu’ils ont apprise. Ils n’oublieront pas après, ils seront conscientisés», affirme Amissi Melchiade Manirabona.
«Si l’on veut améliorer l’expérience des victimes dans le système de justice pénale, ça commence par la sensibilisation durant la formation», souligne Jo-Anne Wemmers. Depuis ses débuts en recherche, elle a en effet constaté que la réponse des procureurs était fortement liée à leur formation. Et en droit canadien, les jeunes juristes apprennent que les victimes sont des témoins. «On a beau écrire des livres et des articles, mais si l’on n’assure pas la formation de base aux futurs acteurs du système de justice pénale, le changement n’est pas évident», constate M. Manirabona. Celui-ci a d’ailleurs créé un cours de droit sur les victimes à la faculté. Un programme de deuxième cycle en criminologie (justice des victimes) est également dans les cartons: «Il faut former une génération d’experts sensibles aux besoins des victimes», résume Mme Wemmers.
Les victimes oubliées
«Les victimes ne sont pas représentées dans le système criminel, approuve France Houle, doyenne de la Faculté de droit de l’UdeM. Ainsi, c’est l’État qui dépose des accusations contre l’accusé. Le système ne fait une place à la victime qu’en tant que témoin, qui intervient seulement lorsqu’il y a une sentence. C’est là où les victimes de l’accusé pourraient faire valoir leur point de vue sur les répercussions de l’acte criminel», dit-elle. À part le soutien disponible, souvent sous une forme financière grâce au Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels, il y a peu d’accompagnement offert à la victime pour comprendre le système et son fonctionnement et y naviguer.
Dès lors, les avocats et avocates en devenir doivent prendre conscience que les droits des victimes sont des droits de la personne. Les droits des victimes comprennent le droit à l’information et à la consultation. «Il faut les tenir au courant. Si elles n’ont pas l’information, elles ne peuvent pas l’utiliser», précise Jo-Anne Wemmers. Les procureurs ont un grand rôle à jouer, puisqu’ils entrent en scène dès le début du processus. Mais même si la Charte canadienne des droits des victimes a été adoptée en 2015 et qu’elle devrait avoir le même poids que la Charte canadienne des droits et libertés, elle n’est pas respectée. «Les procureurs se préoccupent d’informer les accusés et de partager la preuve, mais les victimes devraient également recevoir cette information», mentionne Amissi Melchiade Manirabona.
Combler un vide
«L’ouverture d’une telle clinique est importante; elle va s’ajouter à celles qu’on a déjà et combler un vide», croit France Houle. La Clinique juridique de l’UdeM ne donne pas d’informations par rapport aux victimes de crime; elle renseigne par exemple sur les problèmes de logement et de loyer, la responsabilité civile ou le droit des affaires. Et si elle s’adresse principalement à la communauté universitaire, la nouvelle Clinique sera ouverte à tout le monde, chose assez unique dans le milieu universitaire.
Toute personne victime ou témoin de crimes est la bienvenue (fraude, voie de fait, violence conjugale, agression sexuelle, etc.) et l’accès aux services est tout à fait gratuit. «On s’attend à ce que ce soit des victimes de crimes graves qui viennent chercher de l’aide», avance Amissi Melchiade Manirabona. «Mais “graves” selon la perception de la victime et non celle du Code criminel», précise Jo-Anne Wemmers.
«L’Université de Montréal est un lieu de savoir, mais aussi un acteur important dévoué au bien-être des Québécois et des Québécoises. Cette initiative illustre parfaitement cette volonté de nos personnels enseignant et de recherche de descendre de la montagne pour soulager la détresse de certains et promouvoir la justice pour tous», déclare le directeur de l’École de criminologie, Jean Proulx.
Le travail se fera en collaboration avec les CAVAC de Montréal et de Laval, qui redirigeront les victimes ayant besoin d’information juridique vers le nouveau service de l’UdeM. La Clinique espère ouvrir ses portes à l’automne 2021. Les étudiants et étudiantes des deuxième et troisième années du baccalauréat pourront y être formés. Une dizaine ont même commencé un cours préparatoire qui servira à élaborer le matériel de sensibilisation (résumé des lois, vidéos, etc.). Les victimes seront accompagnées par un étudiant ou une étudiante en criminologie et un ou une autre en droit. «L’aspect interdisciplinaire, c’est vraiment important, et c’est ce qui est novateur. Les autres cliniques sont axées sur le droit, mais là on est vraiment dans l’enrichissement mutuel de la victimologie et du droit, au service des victimes», conclut Amissi Melchiade Manirabona.
Projet de loi no 75: plus de latitude pour les étudiants
Le projet de loi no 75, déposé en novembre 2020 par le ministre Simon Jolin-Barrette et adopté en décembre, tombe à point pour la nouvelle Clinique juridique pour les victimes d’actes criminels. La Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice viendra donner plus de pouvoir aux étudiants et étudiantes en droit qui interviennent dans les services reconnus par les universités. Ainsi, ils pourront donner des avis et consultations juridiques. «Certains avocats avaient peur que les cliniques leur prennent des clients. Avant, on ne pouvait donner que de l’information d’ordre général. La personne qui recevait cette information faisait un choix. Maintenant, on va donner des avis juridiques et donc aller plus loin en proposant la meilleure option pour la personne», souligne Amissi Melchiade Manirabona. Les autres provinces permettaient déjà aux étudiants et étudiantes en droit de donner des avis juridiques et même de représenter des clients en cour. «On fait quand même un pas en avant», ajoute-t-il.