La table au cœur de nos vies

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L’auteure, nutritionniste et diplômée Louise Lambert-Lagacé et la professeure en nutrition Marie Marquis discutent de leur passion commune: l’alimentation.

Louise Lambert-Lagacé et Marie Marquis ont, directement ou indirectement, aidé des milliers de personnes de différentes générations à mieux s’alimenter. La diplômée et la professeure en nutrition se sont rencontrées pour parler de leurs préoccupations, des solutions qu’elles entrevoient pour atténuer les problèmes liés à une alimentation déficiente, de leur amour pour l’acte de cuisiner et de leurs plaisirs… qui n’ont rien de coupable!          

Louise Lambert-Lagacé

MARIE MARQUIS: Quand on me demande ce que c’est de bien manger, je réponds qu’il y a autant de définitions qu’il y a de mangeurs! Pour moi, bien manger signifie manger moins, manger des repas faits d’aliments d’ici, peu ou pas transformés, variés, qui me plaisent au goût, et surtout les partager sans en faire une grande cérémonie; après tout, on mange trois fois par jour et cette routine ne doit pas être contraignante.

LOUISE LAMBERT-LAGACÉ: Je suis tout à fait d’accord! Bien manger est un plaisir, une pause, un moment précieux qui, malheureusement pour plusieurs, est devenu compliqué. Je constate à mon bureau que beaucoup de gens adhèrent à différentes théories ou modes et perdent ainsi le plaisir de manger.

MM: Ma crainte est que le public croie que cette complexité est alimentée par les nutritionnistes.

Ce n’est certainement pas notre intention de rendre l’alimentation plus difficile.

LLL: Au contraire, nous sommes devenues des raccommodeuses de l’alimentation! Face à une foule de tendances alimentaires nées je ne sais où, notre travail consiste souvent à neutraliser les nouvelles croyances et à faciliter la démarche vers une alimentation plus équilibrée.

MM: C’est vrai! Nos recommandations basées sur la science et les données probantes sont nuancées, non prescriptives… et pas mal moins spectaculaires ou attirantes que ce que les gens veulent souvent entendre. Je suis toutefois préoccupée par le sort des personnes qui n’ont pas entretenu leurs compétences à lire et à compter: décoder une étiquette nutritionnelle devient impossible pour elles, tout comme établir un budget pour pouvoir manger convenablement.

LLL: Le manque de compétences culinaires, combiné avec le manque de temps, n’aide personne à mieux manger. Une alimentation équilibrée associe les bons aliments et les belles recettes à un rite de partage, en famille et entre amis.

MM: Malgré une certaine évolution des rôles dans les ménages, ce sont généralement les femmes qui ont la charge mentale de non seulement faire à manger, mais aussi de penser à ce que la famille mangera à chaque repas, de planifier, de faire l’épicerie et de rallier tout ce beau monde à table. Et ce rôle est important: trouver et prendre le temps de cuisiner et de manger ensemble crée des occasions d’échange et d’émulation. Les parents qui cuisinent et mangent avec leurs enfants jouent un rôle de modèle sous-estimé et favorisent des apprentissages qui vont bien au-delà du contenu de l’assiette et de sa valeur nutritionnelle.

LLL: L’accessibilité des mets préparés dits ultratransformés accentue le recours à des repas moins nutritifs et contribue au problème généralisé qu’est l’obésité. C’est une erreur de mettre la faute sur les individus. Nous vivons dans des environnements obésogènes sur lesquels les gouvernements pourraient agir en limitant ou en interdisant les aires de restauration rapide près des écoles ou à chaque station-service. On pourrait taxer les boissons gazeuses, bannir la publicité d’aliments hypersucrés et économiser des milliards de dollars en réduisant les cas d’obésité et de diabète. Et pour ce faire, il faut du courage politique.

Marie Marquis

MM: Les nutritionnistes et d’autres acteurs en santé publique doivent se mobiliser davantage: d’abord pour exercer une influence politique susceptible de conduire à des changements… et ensuite pour devenir une voix particulièrement pour les groupes vulnérables de la population. Outre l’action politique, on doit tenir compte que le public est friand de recettes simples, nutritives, savoureuses et écoresponsables afin de les aider à cuisiner des repas à partir d’ingrédients de base.

LLL: En effet, on mange d’abord avec les yeux, les sites et les émissions donnent d’ailleurs des outils pour cuisiner bon et beau à la fois. Une bonne recette peut même conduire à adopter un aliment nouveau. Personnellement, j’adore essayer de nouvelles recettes, c’est une victoire et une œuvre de création!

MM: Les livres de recettes sont aussi sources de divertissement pour moi. Ils peuvent combiner simplicité et créativité. La force de Daniel Pinard, à l’époque, était qu’il ne se prenait pas au sérieux: ses recettes étaient exécutées avec une certaine désinvolture que les gens aimaient beaucoup. Une chose est certaine: pour plusieurs, les recettes sont chargées de précieux souvenirs, à conserver et à transmettre.

LLL: La diversité augmente le plaisir de bien manger.

Par exemple, le fameux régime méditerranéen nous a ouverts à une autre façon de cuisiner et de manger avec goût, à une foule de beaux légumes, de poissons arrosés d’huile d’olive, sans oublier le verre de vin!

MM: Les populations immigrantes nous ont également apporté beaucoup sur le plan de la variété. Tout comme le végétarisme, qui a permis d’élargir la gamme des possibilités culinaires. Nous sommes choyés par l’offre alimentaire au Québec, Ethné et Philippe de Vienne nous font littéralement faire le tour du monde avec leurs épices. Il nous reste encore tant de choses à découvrir…

Pour nous faire sourire, pensons entre autres aux insectes: plusieurs les trouvent peu ragoûtants, mais je prédis que, dans moins de 10 ans, l’entomophagie sera une tendance lourde en alimentation au Québec. Nous ne sommes pas encore culturellement prêts à voir les insectes dans nos assiettes, à apprécier leur texture, mais ça viendra. Et l’on relira cet article en souriant!

LLL: Il faut stimuler nos papilles. Être capable de goûter et de découvrir de nouveaux aliments – et pas que les insectes! –, c’est un passeport pour la santé et la vie.

Marie Marquis

Marie Marquis

Marie Marquis détient un baccalauréat en nutrition depuis 1981 et une maîtrise en administration des sciences de la santé de l’UdeM. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences administratives de l’Université du Québec à Montréal. Elle est fellow de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec. Directrice du Département de nutrition de la Faculté de médecine de l’UdeM et professeure titulaire depuis 1998, elle a reçu plusieurs prix d’excellence en enseignement et encadré plus de 75 étudiants et étudiantes des cycles supérieurs. En 2018, un groupe d’étudiantes qu’elle a dirigé a remporté le prix DUX 2019 dans la catégorie Communication pour le livre de recettes intitulé http://cscp.umontreal.ca/nutrition/documents/viens_manger.pdfViens manger!. En 2019, elles renouvelaient l’expérience avec une version axée sur le végétarisme Viens manger! Le végétarisme en toute simplicité, finaliste au même concours en 2020.

Louise Lambert-Lagacé

Louise Lambert-Lagacé

Diplômée en nutrition de l’UdeM en 1961, Louise Lambert-Lagacé dirige un bureau de consultation en nutrition depuis 1975. Elle a rédigé plusieurs livres sur la nutrition dont le dernier, Au menu des 65 ans et plus, a gagné le prix du Best in the World 2017 dans la catégorie Senior au Gourmand World Cookbook Award. À la télé, Mme Lambert-Lagacé a collaboré à plus de 600 émissions. Louise Lambert-Lagacé est membre de l’Ordre du Canada depuis 1999 et chevalière de l’Ordre national du Québec depuis 2006. Elle a récemment été nommée fellow de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec.

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